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Tu enfanteras dans la souffrance

par Ali BRAHIMI

Dès leurs naissances, au cours des années 1930, les principales tendances politiques, en Algérie, ont été contaminées par les douloureuses maladies de la division des rangs et la lutte des clans.

Ce genre d'enfantement effectué dans la souffrance n'est pas caractéristique au mouvement national Algérien. En effet, cela concerne l'ensemble des pays autrefois colonisés. Ce qui est nettement typique, chez-nous, c'est la répétition des scissions et les opérations téléguidées des ruptures incessantes au sein des partis politiques (les gens de la boulitique ainsi désignés et décriés par le parti des béni oui oui et les cheikhs enturbannés), qui ont démoralisé les sincères élites révulsées par tant de déceptions

En plus, ces déboires ont participé à la régression de la prise de conscience des larges couches de la population d'où leur soumission à l'ordre colonial ainsi imposé en maître absolu difficile, aux yeux de quelques personnalités politiques Algériennes de l'époque, de se mesurer à sa puissance renforçant ainsi la mentalité d'assistanat maladivement acceptée par les couches sociales découragées qui, en contrepartie, se défoulent en complaintes auprès des Zaouïas et les cimetières des ancêtres symbolisant des refuges à leurs impuissances.

Dans le but d'atténuer leurs souffrances morales , quelques strates sociales préfèrent s'abandonner aux jouissances dépravées et les contes surnaturels voire de soumission au mauvais sort : jeux de carte, dame et domino?, ébriété et kif a volonté dans les lieux de débauche ; des troubadours encensant la politique collaboratrice ; le démission face à l'accroissement, dés la naissance voire au cours de l'adolescence ( l'âge moyen des décès ne dépassait pas 40 ans), du taux élevé des mortalités à cause des épidémies du choléra, la peste, le typhus, la fièvre etc.

Il serait utile de collationner succinctement certains faits politiques de cette époque. Ce genre de fatalisme a enfanté l'institution, dans la douleur, de trois principales tendances politiques :

La première est le PPA (Parti Populaire Algerien) à l'image du front populaire français et ses largesses sociales durant les années 1930. Cette période est également caractérisée par la montée du nationalisme populiste, dans le monde arabe, ainsi que celle de ses segmentations à l'image du groupe des « jeunes turcs », dont le défunt Chakib Arslan inspirateur du défunt Messali El Hadj, déçus par la chute de l'empire ottoman qui s'affichait défenseur de l'Islam

La deuxième est celle des Ulémas algérien, espérant la renaissance de la nation de l'islam et de l'arabité, s'affichant réformatrice en vogue chez l'ensemble des pays arabo- musulman, coïncidant curieusement avec l'institution, en 1928, de l'association des frères musulmans en Egypte et la chute quelques années plutôt de l'empire ottoman. La troisième fondée après les massacres du 8 mai 1945, est l'UDMA (l'Union Démocratique du Manifeste Algérien) remplaçant l'Union populaire Algérienne fondée en 1938, après la deuxième Guerre Mondiale, qui a fait ouvrir la voie de la démocratie à l'Américaine ainsi que la découverte des vastes champs pétrolifères dans le monde arabe, dont l'Algérie, notamment chez les pays sous influence de l'idéologie du Wahhabisme entre autres.

Il serait doublement utile de remarquer aussi que les deux grands partis (MTLD et l'UDMA) ont inséré la démocratie dans leurs sigles. C était à la mode. Par contre, l'association des Ulémas a opté en faveur du panarabisme et l'islamisme modéré d'où la création des clubs progressistes (Nadi Tarski), genre café maure des intellectuels qui prêchaient les mérites de la tolérance, la cohabitation, la solidarité, envers les religions monothéistes

Ces trois principales tendances ont ensuite enfanté, parfois dans la souffrance, des organisations aux sigles et objectifs incompris par la majorité de la population: Le PPA: MTLD (mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques) ; centralistes (un groupe de militants du comité central, à cheval sur les ulémas et l'UDMA voire plus tard L'OS ( organisation spéciale transformée en groupes paramilitaires) Afin d'éliminer ce sigle compromettant vis-à-vis de la police coloniale, quelques fidèles au défunt Messali El Hadj, dont des centralistes habitués aux coups fourrés, ont déclenché une petite révolution, autour de lui, éliminant ceux perçus comme des indociles au père du nationalisme Algérie qui, hélas, faisait le vide autour de sa personne déjà endolorie voire accablée par les critiques et les successifs emprisonnements dans les geôles coloniales.

L'association des Ulémas, qui a engendré le scoutisme musulman de nature sensibilisatrice et pacifique, les medersiens (talabas) dans le but de contrecarrer l'enseignement des Zaouïas et confréries (Tourokia) considéré par les ulémas comme un frein à la renaissance de l'Islam

L'UDMA : structurée par des familles moyennes, médecins, pharmaciens, professeurs de langue française, intellectuels assimilationnistes voire gauchistes du genre Parti Communiste Algérien.

Le CRUA (comité révolutionnaire pour l'unité et l'action) qui a été le premier à adopter les mots révolution, union, action d'où le FLN prenant en vitesse tous les autres partis qui ont été incorporés (assimilés) en tant que personnalités politiques. Conscients, un petit groupe de personnes (comité des 22) a décidé, au vu des tergiversations n'aboutissant à rien de tangible et de la gravité de la situation du peuple Algérien, de changer de fond en combler l'approche de la politique. En d'autres termes, la création du FLN et l'Appel du 1er Novembre 1954 déblayant l'époque des hésitations.

Ainsi, lui aussi, a été enfanté dans la douleur par rapport à la politique du père du nationalisme Algérien. Hélas, après l'indépendance, les partis politiques incorporés, dans l'unité des pensées et l'action pendant la guerre de libération, n'ont pas pu ou voulu revendiquer, avec force, leurs anciennes positions et idées politiques, pour diverses raisons dont justement le vibrion des clans qui a, autrefois, contaminé le mouvement National revendicatif qui, à force des survivances du passé et les zizanies entre les clans postindépendances, procréera au cours de la décennie 1980, notamment à partir d'octobre 88, dans la douleur, un front d'extrémistes disparates et revanchards enfantant la décennie des massacres inouïes. Encore pour la unième fois, le peuple algérien traversera le chemin des supplices. L'un des chefs historiques du 1er Novembre 1954, le défunt président Mohamed Boudiaf (premier coordinateur du FLN) a lutté toute sa vie contra les excès du pouvoir politique et surtout du culte de la personnalité, dont il lui même subi ses nocivités dans la douleur de l'emprisonnement et l'exil, a malheureusement oublié que ce culte ne disparaît pas du jour au lendemain.

Son retour d'exil, le 16 janvier 1992, est un monumental oubli, de cette obsession du pouvoir sans partage, d'autant plus qu'il avait écrit un livre dans ce sens. En plus, il s'apercevra assez tard que ce mal a déjà fait des dégâts abyssaux dont l'intégrisme et les vengeances entre des clans atteints, eux aussi, .de la hantise de perdre le pouvoir de l'argent acquis par celui de la politique. Arrivé à ce niveau de combinaison, des deux pouvoirs ci-dessus décrits, rien n'est désormais proscrit. Tout était permis et banalisé. Y compris les assassinats politiques transmis en direct par la télévision. Hélas, trois fois hélas, le défunt n'a pas assez mesuré l'ampleur des dégâts dont la les fléaux de la corruption et ses procréations au sein de tout le corps social.

A ce propos, le défunt président Houari Boumediene disait qu'un coordinateur politique, du FLN de la 5é Wilaya Historique, actuellement haut responsable d'Etat, transportait de l'Ouarsenis jusqu'à Tlemcen un grand sac plein de billets d'argent. Il n'a pas pris le moindre sou. En effet, l'argent est un pus, disait ce haut responsable d'Etat toujours en place. Actuellement, chez-nous, ce qui est en train de se dérouler au sein du corps fiévreux des partis politiques, toutes tendances confondues, en particulier le parti du FLN, envahi par des affairistes aux sacs noirs, dont l'actuel secrétaire serait, d'après les signes avant-courrieurs, sur la sellette et qui sera bientôt remplacé par un vétéran militant du FLN, d'avant et après l'indépendance, déjà désigné membre du Sénat. Est-ce le remède efficace au mal qui ronge ce parti né après un accouchement dans la douleur depuis le 1er Novembre 1954 et redressé en 1956?, 1962, etc. ?

Afin de se prémunir, autant que possible, nous semble-il, des conséquences néfastes de ces graves maladies chroniques d'avant et en cours, une thérapie de choc et au scalpel s'impose à tous les niveaux de la société Algérienne désarticulée, compartimentée et tourmentée par tant de fléaux dont le chauvinisme voire la segmentation, entre et au sein même des régions, une des plaies enfantées par le colonialisme..

Un jour, peut-être, l'Algérie (qui a raté tant d'occasions de se transformer) enfantera sainement et sereinement une politique adéquate. Peut-être.