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Bureaucratie : entre les mains du «pouvoir» des guichets

par Belkacem AHCENE-DJABALLAH

«J'arrivais à la wilaya au moment de l'ouverture des portes. La cohue s'était éparpillée comme des essaims de sauterelles vers les différents bureaux où des chefs de service détenteurs du terrible pouvoir de décision pouvaient faire d'un homme, un honnête et bon citoyen ou bien un révolté et un insoumis, pour un simple refus de donner l'information ou de recevoir quelqu'un. Il suffit du dédain d'un préposé au guichet ou d'une simple erreur informatique sur une carte grise pour que le pétitionnaire se sente frappé de hogra»

(Extrait du dernier roman de Abderrahmane Zakad, «Les Amours d'un journaliste» , p 123, Alger, 2012)

Décidemment, le citoyen Algérien bas de gamme (c'est bien plus réaliste de le dénommer ainsi, sans que cela ne soit injurieux) ne se sortira jamais de ce foutu labyrinthe bureaucratique qui règne sans partage sur tout le territoire national, même dans ses parties les plus désertiques. Un phénomène qui résiste à toutes les attaques et autres offensives gouvernementales et même présidentielles. Un vrai dur à cuire !

Il y a de cela trois à quatre décennies, au " bon vieux temps" du «socialisme flamboyant», il nous fallait faire toute une «queue» (ou «chaîne» pour les prudes) de plusieurs heures pour pouvoir acheter un kilo de fruits? d'ailleurs en bonne partie pourris ou mal calibrés ou «piqués» , car le meilleur et le mielleux était soit «exporté» , soit livré à domicile , aux grands, ceux de ce que l'on appelait alors «nomenklatura» (ministres et directeurs d'entreprises ou d'institutions publiques clés, cadres du Parti au pouvoir, militaires hauts gradés? et autres petits futés? tout le pouvoir «réel», quoi !).

Il y a de cela à peine une décennie, il nous fallait faire toute une «queue» de plusieurs heures pour pouvoir retirer sa paie ou sa retraite, rapidement, à la poste du coin? et plusieurs jours à la banque. Cela dure encore, mais, grâce à l'informatique, une seule heure ou deux de «queue» suffisent ?. en dehors des jours de «virement»? des jours de «grève»?. de caisses désargentées ? de déconnection internet ? ou de pannes d'électricité.

A CHAQUE PERIODE SA «QUEUE» !

Depuis peu (à partir de l'arrivée, quelques gouvernements plus tôt, à la tête d'un ministère de souveraineté, d'un «mokh», obnubilé par le «tout-renseignement» et voulant «photographier » tous les citoyens) , une autre «queue» est née ; non celle des cartes d'identité nationale ou celle des cartes grises ou celle des permis de conduire ? ou même celle des passeports , qui , toutes, se trouvent «allégées» (sic !) par une organisation basée sur le principe du rendez-vous (comme pour les visas dans les ambassades étrangères), mais celle des Palais de justice . Ces lieux sont devenus, par la force de la loi, le passage incontournable pour obtenir l'obligatoire décision (hokm) en bonne et due forme du proc' du coin permettant aux services de l'état-civil d'apporter les rectifications et autres corrections aux mille et un défauts (du plus grave au plus simple en passant par le plus loufoque) relevés dans les extraits (naissance, mariage, décès ..) ; extraits originaux absolument nécessaires , pour certains d'entre-eux, pour obtenir le fameux 12 S (qui ne peut, dit-on , être donné qu'une seule fois) ? lui-même désormais absolument nécessaire pour obtenir ?.le fameux passeport biométrique. Tout cela après avoir exhibé une «tonne» de papiers : Extrait de naissance n°12 (lui-même peut-être truffé d'erreurs? et qu'il faut d'abord rectifier?. et, vous n'avez pas intérêt à fournir un double au carbone, il sera rejeté), extrait de naissance du père, de la mère, extrait de mariage .On s'y perd !

Durant des années, sinon durant toute une vie, les gens se contentaient de leur livret de famille, trouvant toujours un «arrangement» amical quelque part dans les bureaux et les coulisses des Apc. Qui ajoutant une kesra ou un alif pour l'arabe, qui gommant ou retouchant une lettre pour les caractères latins, qui?.

Désormais, c'est la ruée, c'est la cohue, ce sont des cris, c'est le désespoir? le guichet (ier) règne en maître et les employés , débordés, se réfugient derrière la liste de documents à fournir? liste parfois non affichée?. en tout cas presqu'illisible. Beaucoup de candidats, peu de reçus. Les bureaux d'ordre débordent de courrier en partance pour les mairies et, aussi, les commissariats (car, ici, il faut une confirmation, parfois en présence de témoins). Les proc' ne savent plus où donner de la tête, entre le traitement des affaires habituelles liées aux crimes et aux délits? et le règlement des affaires civiles des simples citoyens. En attendant la fin du «cauchemar», le processus s'est trouvé compliqué par une informatisation qui a pris un énorme retard par le passé et qui, maintenant , en plein maelström, se met à figer, à toute vitesse, les documents? avec d'autres difficultés pour les éventuelles corrections, sachant bien que les fautes de transcription, entre autres, en arabe ou en caractères latins, fourmillent, et que d'une correction naît souvent une nouvelle erreur ou omission. Le parcours du combattant recommence alors ! Un drame pour celui dont les documents à fournir sont «périmés» et doivent être refaits ?.parfois à 600 ou à 1000 km? ou à l'étranger.

C'est un simple exemple (problème) de la grande problématique du bon fonctionnement de nos grands services publics?. qui a été une des premières préoccupations, il faut le reconnaître, du Premier ministre, le citoyen Sellal, dès septembre 2012, et problématique qui s'est retrouvée à l'ordre du jour du dernier Conseil des ministres (une communication a été entendue) en date du mercredi 26 décembre 2012 : réhabilitation, modernisation, allègement des procédures administratives, égal accès de tous les citoyens ?..tout cela pour un service public continu et de qualité. Elle devait être certainement bien longue la communication en Conseil ! C'est dire que ce n'est pas là un ramassis de problèmes pouvant être résolus rapidement à «coups de gueule» et même d'instructions présidentielles ou ministérielles. Le mal (nous avons dépassé le simple phénomène) bureaucratique est là, bien ancré dans les mentalités et les comportements quand il n'est pas institué, devenu consubstantiel à notre éducation, à nos formations et aux organisations. Un lourd héritage de l'occupation turque, de la colonisation française et des pratiques «socialistes» des années 60-80 ; tout un héritage totalement altéré par les pratiques «fraternelles» de l'ambiance «islamique» des années 90.

Ajoutez-y la gangrène de la corruption des années 2000, ainsi que le mépris à l'endroit des masses que l'on ne pouvait voir qu' «affairistes» et «arnaqueuses», mélangeant le grain et l'ivraie? puis, chez certains de nos grands administrateurs, la manie (ou la folie) de vouloir «ficher» tout le monde , sous couvert d'alibi «sécuritaire» et de «biométrie» imposée ?. De Charybde en Scylla ! Un sac de nœuds inextricables, le bas du système, les exécutants, se réfugiant derrière les réglementations et les instructions (parfois contradictoires), le haut débordé par la masse de travail et, découragé, fatigué, lassé, se retrouvant, pieds et poings liés, entre les mains du «pouvoir» des guichets?.des «appariteurs» et des «agents» dits de sécurité. Comme à la «belle époque» des années 70-80, avec le règne des «chauffeurs» et des «secrétaires». Que faire ? Accélérer le processus de numérisation et d'informatisation (de ce qui peut l'être ou de ce qui reste) ?

Alléger au maximum les procédures et la masse de «papiers» intermédiaires ? Former les agents à la communication citoyenne et sociale ? Ouvrir et multiplier les voies de recours (avec des médiateurs ou des assistants judiciaires de niveau relevé?qui ne «plument» pas, au passage, les citoyens ?) et en faciliter l'accès aux citoyens en difficultés ? Ce qui est certain, c'est qu'il faut aller très vite et frapper fort. Et, commencer, d'abord, par apprendre aux rédacteurs de l'état-civil à écrire les noms et prénoms des citoyens et les noms de lieux sans fautes, sur la base de listes, ouvertes mais correctes, qui ne laissent aucune place à l'improvisation et aux fantasmes.

La bureaucratie, c'est comme la poussière, devenue crasse avec le temps : plus longtemps on l'ignore, plus dure à enlever elle sera.

PS : Le lecteur aura corrigé de lui-même certaines «coquilles»

apparues, parfois, dans les textes publiés