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Professionnalisme : Les dérives se multiplient dans la gestion du football

par Abed Charef

En multipliant les pressions, les présidents de clubs de football ont obtenu de nombreuses concessions. Mais ils ont fini par pousser les autorités à la faute. Incapable de gérer un professionnel moderne, l'administration envisage en effet de revenir à la réforme des années 1970, en faisant subventionner les clubs par des entreprises publiques. Une nouvelle manière de remonter le temps.

Sonatrach apporte son argent, la fédération paie le transport et les frais d'hébergement, l'Etat fournit les subventions, le public assure l'émeute en cas de mauvais résultat : après deux années, c'est le bilan du football professionnel présenté par M. Mohamed Raouraoua. Ce qui n'empêche pas les clubs de parler de professionnalisme, d'entreprise, de contrats et de performance, ni la FAF de parler de bilans, d'avancées et de nouvelle organisation.

Selon des informations, la FAF prendra en charge la moitié des frais de transport par avion. Comme Air Algérie consent déjà une réduction de moitié sur les prix du billet, le transport devient, de fait, gratuit. Quant aux frais de séjour, la FAF paiera aux clubs 100.000 dinars par jour, ce qui représente, en gros, 4.000 dinars par personne. Cette somme devrait couvrir la moitié des frais, pour un séjour hors cinq étoiles.

La fédération prend déjà en charge les frais d'inscription aux compétitions africaines ainsi que les frais de transport.

Sonatrach, de son côté, avait annoncé, visiblement sur injonction, de revenir dans le football. La compagnie pétrolière devait prendre en charge le club le plus populaire d'Algérie, le Mouloudia d'Alger, club qu'elle a déjà parrainé dans les années 1970. Des pressions diverses ont amené la compagnie à élargir ses bienfaits à trois autres clubs, ce qui a suscité la colère des autres équipes qui se sont estimées lésées de ne pouvoir accéder à cette rente. Ces équipes ont menacé de lancer une grève, ce qui a obligé la FAF et la Ligue nationale de Football à retarder la reprise du championnat pour bien amorcer le virage.

Depuis, M. Raouraoua tente de calmer le jeu, en promettant à tous, un accès égal à la manne financière de l'Etat.

La dérive s'est poursuivie et, par glissements successifs, on en est arrivé à la vieille solution bureaucratique qui apparaît aujourd'hui absurde: le ministère de la Jeunesse et des Sports a laissé entendre que chaque club pourrait désormais, être parrainé par une entreprise publique. Un retour à la bonne vieille méthode des années 1970, celle d'un sport à la soviétique où une entreprise, affichant un bilan déficitaire, joue le sponsor forcé au profit d'une équipe qu'elle est contrainte de traîner comme un boulet.

A CONTRE COURANT DE LA GESTION MODERNE

Le résultat était inévitable, alors que l'objectif initial était parfaitement défendable. Il y a trois ans, dans l'euphorie de la victoire contre l'Egypte, l'Algérie décidait de passer au professionnalisme, pour répondre au cahier de charges de la Confédération africaine qui se mettait, elle-même, aux normes de la FIFA. Mais la décision algérienne butait sur trois objectifs : les acteurs du passage au professionnalisme n'étaient pas prêts. Certains sont totalement inadaptés.

Ainsi, au moment du lancement de l'aventure professionnelle, beaucoup de dirigeants de clubs professionnels se sont empressés de prendre possession des clubs qui venaient d'être privatisés. Ils les considéraient comme un butin. Depuis, ils passaient leur temps à deux occupations essentielles : proclamer, d'un côté, que les clubs ne sont pas viables, qu'ils sont ingérables, pour quémander l'argent de l'Etat ; mais, d'un autre côté, repousser les attaques de ceux qui voulaient s'emparer des clubs devenus des cibles très courtisées. Ceux qui tiennent les clubs ne veulent pas les céder ou bien demandent des sommes exorbitantes, comme ce fut le cas pour le Mouloudia d'Alger et Sétif ; ceux qui veulent les déloger pour prendre leur place souhaitent hériter à bas prix d'équipes dotées d'un nom, d'infrastructures et d'une organisation opérationnelle.

Les présidents des clubs agissent comme des émeutiers. Ils menacent de faire grève et de couper la route pour obtenir de l'argent.

Ils y ont réussi, forçant l'Etat à annoncer une série de décisions pour leur donner de l'argent, tout en poussant discrètement des entreprises très riches, comme les compagnies de téléphone mobile, à jouer les sponsors. Mais la pression des présidents de clubs a provoqué un effet inattendu. Elle a poussé les autorités à commettre erreur sur erreur, alors qu'il y avait possibilité de gérer de manière ferme, sans concession, tout en poussant à une vraie transition vers le professionnalisme.

Certes, le football a besoin d'être accompagné sur le chemin du professionnalisme. Le ministère peut annoncer un plan d'aide sur cinq ans, dégressif : prendre en charge la moitié des frais des clubs, et diminuer cette aide de dix pour cent, chaque année. Ce schéma peut être modulé, mais il devrait conduire à une sélection économique progressive, tout en poussant les clubs à mieux s'organiser. Les présidents qui ne peuvent suivre le rythme doivent se retirer. Après tout, l'administration peut limoger un président de club si son équipe est à l'origine de troubles à l'ordre public, comme cela s'est passé lorsque les supporters du Mouloudia d'Alger ont occupé la rue.