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Campagnes électorales : Les politiques planifient-ils leur com'?

par Belkacem Ahcene Djaballah *

Le marketing politique a existé ! On l'a rencontré. Habitués à «copier» tout ce qui se fait en Europe (et aux Etats-Unis), tout ce qui sert à conquérir ou à consolider le pouvoir, nos décideurs ont usé (et abusé en raison même du monopole détenu, parfois pour se «faire plaisir » ou pour se donner des attestations de réussite) des techniques et méthodes appliquées d'abord au simple commerce.

C'est en 1990, avec l'ouverture du champ politique qui a introduit une « certaine concurrence », que l'on a vu apparaître les premiers plans et programmes de communication. Mais, cela ne vint pas du pouvoir en place (dont le Fln), encore trop enfermé dans ses certitudes et sa compétence supposée ni, d'ailleurs, des vieux partis ayant trop vécu dans une clandestinité stérilisatrice ( il existerait, donc, une «consanguinité» en politique qui, peu à peu, amène une dégénérescence de la créativité).  Elle ne vint pas des nouveauxpartis ayant peu de moyens humains, matériels et financiers, les idées n'amenant pas nécessairement le succès auprès des foules assoiffées de plus d'action et de moins de discours. Encore que certains nouveaux «leaders» firent un «tabac» grâce à leurs discours sincères et engagés, à leur virginité apparente et à des idées toutes nouvelles. Cela vint avec un nouveau et très jeune parti politique, en l'occurrence le Fis (dissous) qui, pourvu de gros moyens financiers, appuyé par des personnes se trouvant à l'étranger, universitaires ou affairistes bien formés et/ou bien introduits, s'est rapidement préparé pour accompagner, les élections (locales puis nationales), en acquérant les outils nécessaires (il fut un des premiers à exploiter les Ntic en mettant en place son propre réseau de communication dont l'audiovisuel et les appareils fax ? une technologie nouvelle et « révolutionnaire » à l'époque - étaient la colonne vertébrale : une véritable toile de communication autonome de collecte, de production et de transmission de l'information), en attirant, d'une façon ou d'une autre, les cadres humains nécessaires. et, en faisant appel - dit-on-à des services extérieurs d'entreprises spécialisées qui lui ont élaboré sinon un plan, du moins des programmes de communication: Le laser, avec des inscriptions sacrées dans les cieux du Stade du 5 juillet (une trilogie presque païenne, toujours payante : Dieu, le ciel et des champions), le slogan facile à retenir choisi pour les élections (Six = Fis), les parades organisées de manière «militaire» donc très frappantes, les costumes traditionnels en tant qu'uniforme, les minbars des mosquées, les hauts ?parleurs, les barbes fleuries et parfumées, la présence de femmes en hidjab et plus que belles, des rencontres sportives regroupant les stars du mondial 82 et ce « pour collecter de l'argent, afin d'aider les déshérités », , une ligne politique ne déviant à aucun moment, montrant de la détermination, une idéologie simple, pour ne pas dire simpliste, à la portée de tout un chacun?voilà de quoi capter l'attention, susciter l'intérêt, faire naître le désir de participer puis d'agir au sein des foules puis seul. La recette du zombie (et, plus tard, du kamikaze) Le marketing politique a existé ! On l'a rencontré durant la décennie rouge (ou noire, c'est selon). Lorsque l'Algérie, quasi-totalement boycottée sur le plan international (même par bien de ses « amis et frères ») et dont les Institutions étatiques et les forces de sécurité se trouvèrent presque seules face au terrorisme, a mis au point une stratégie avec des programmes de communication destinés à l'étranger (afin qu'il y ait, sinon une adhésion, du moins un peu plus de compréhension de la lutte anti-terroriste menée) et aux citoyens algériens. C'est en 1994 que naquirent les «cellules de communication» concept et organisation adaptés à une situation difficile. Un véritable maquis nécessitant des «combattants» mobiles, imaginatifs et efficaces, agissant de manière coordonnée et planifiée, bien que souple.    

Des programmes bien plus que des plans. Le marketing politique a existé et son pendant opérationnel le plus important, le plan de com', ont existé ! On les a rencontrés à partir de l'année 1999, avec la préparation de l'arrivée au pouvoir de Abdelaziz Bouteflika. Testés timidement pour le premier mandat, avec, certes, l'intervention de «communicators» algériens proches du candidat et, selon les mauvaises langues de l'époque, de «gourous» étrangers dont le fameux Séguéla, inventeur du slogan mitterrandien « La force tranquille», mais aussi et surtout avec une impulsion assez forte du candidat lui-même qui avait sa propre expérience de la chose politique, internationale et algérienne, ainsi qu'un réseau personnel et parallèle de communicateurs. Ne dit-on pas que le premier média, c'est le « Chef » ?

La stratégie de com' s'est affinée lors de la préparation du second mandat en raison d'une « concurrence » inattendue ( ???) , celle de Ali Benflis, un homme qui avait participé à la préparation de la stratégie de communication en 1999. Une concurrence qui, si elle n'était pas contrecarrée par une action efficace et pointue, semblait porteuse de gros risques.

Le «chef» et le réseau personnel ne suffisaient plus et de gros moyens intellectuels, matériels et financiers (le premier mandat avait préparé le terrain) devaient être mobilisés. Ce fut une campagne axée sur l'imagination créatrice de nouveaux «communicators » désormais rodés, à travers tous les médias possibles: radio et télévision (d'autant que l'adversaire principal avait à sa « disposition » une ou deux télés satellitaires), affiches et affichage, slogans, photographies, discours, présence étudiée au sein des foules?..

Le marketing politique existe et son pendant opérationnel le plus important, le plan de com', existent. Bien sûr, la stratégie de com' s'est améliorée pour la préparation du troisième mandat. Et, il fallait qu'elle s'améliore obligatoirement, en raison, tout particulièrement, du «boycott» par des hommes politiques «crédibles» et crédibilisants. Par ailleurs, l'appel au boycott et la peur d'une forte abstention, peut-être découverte lors de « sondages » particuliers ou à travers les reportages journalistiques, n'a fait que renforcer l'idée qu'il ne fallait prendre, cette fois-ci, aucun risque. D'où une stratégie de com' tracée au millimètre près, ne s'alourdissant d'aucun scrupule. A la guerre comme à la guerre ! Cible(s): Tout le peuple, mais conjugué par régions, par villes d'importance, par couches, par métiers, par genres? par thèmes, le tout géré par une sorte de «logiciel» qui détermine la démarche idoine au moment T (ex: Sport à Sétif, Femme à.., Armée à?, Agriculture à?, Bain de foule à?, Culture à .., Jeunesse à?., Emploi à?.., Amazighité à?) Objectif : Re-élection de A. Bouteflika à la magistrature suprême «en toute démocratie». Asseoir et élargir la légitimité. En matière de vote, risque presque zéro ! Message(s): Continuité et stabilité, force et sérénité (en 2004, c'était force et dignité, ce qui ne dépayse pas l'électeur? d'autant que cette dernière a été, nous dit-on, retrouvée). Outils:        Tous les canaux, personnels et interpersonnels, et tous les outils sans aucune exception, traditionnels et modernes. Budget : Pas de problème cette fois-ci, les gros soutiens volontaires ou alléchés ou inspirés ou convaincus se bousculant au portillon, celui de l'Etat devenu insignifiant. Media planning: Com' intégrée et soutenue du premier au dernier jour.

Résultat (attendu en dehors de l'élection de A. Bouteflika à la Présidence de la République pour un troisième mandat) : Un taux d'abstention quasi-nul, même dans les régions supposées hostiles. La recherche du plébiscite qui permettra d'aller encore plus loin et encore plus vite dans la mise en œuvre des pans délicats du programme présidentiel, dont l'amnistie générale, acte final du processus de réconciliation nationale.

A partir de là, avec une Direction désormais bien rodée, surtout durant le second mandat, tout en n'hésitant pas à faire appel, pour les travaux pointus, aux meilleurs spécialistes existants en Algérie ou vivant à l'étranger, ainsi qu'aux ateliers les plus performants, les programmes, clairs et précis, ne peuvent qu'être efficaces, sachant pertinemment que les autres candidats en lice ne peuvent compter que sur des moyens limités.           

Ils passeront donc leur temps à « protester », ce qui est usant, et à ressasser leurs critiques habituelles à l'endroit du « pouvoir » et du «système». Un seul grand danger! Une campagne parfaite qui se retrouve débordée sur les ailes par les habituels zélés qui en font trop, beaucoup trop, au risque de créer, en cours de route ou en fin de parcours, ou juste au moment de la grande décision, des « retours de manivelle » et des rejets. Chez les Algériens, qui carburent, dans le choix de leurs dirigeants, à l'affect bien plus qu'à la raison, même chez les plus convaincus, le risque n'est jamais zéro. Le marketing politique existe, mais on ne l'a pas encore rencontré et son pendant opérationnel le plus important, le plan de com', est le grand absent de la campagne électorale actuelle. Il est vrai qu'une campagne présidentielle, centrée sur un seul produit (l'homme-candidat et son programme) est bien plus « facile » à gérer qu'une kyrielle d'individus qui, même au sein d'un seul parti, sont, tous, des compagnons de route (dont un élément nouveau et très important, les femmes) centrés sur une région ou une localité, chacun avec des positions, des caractères et des comportements différents et assez souvent, chez nous bien plus qu'ailleurs, des « sorties » inattendues. De plus, le paysage politique s'est retrouvé brusquement bouleversé avec l'apparition d'un grand nombre de partis politiques nouvellement agréés, inexpérimentés, à quelques semaines des élections et n'ayant que peu de temps pour s'organiser et structurer leurs campagnes.

Seuls émergent, et c'est là, certainement le vrai écueil (« fraude » est un bien grand mot), les partis ayant déjà pignon sur rue, bien qu'ils soient, presque tous, assez perturbés avec, chacun, son mouvement de «redresseurs ».          Les programmes et les discours des 45 partis et des groupes d'indépendants se suivent et se ressemblent, puis se téléscopent, affolant les zapettes, avec, globalement, 80% ou bien plus d'arguments communs Seules différences. Le ton: conciliant, critique, assez critique ou menaçant?./les postures : neutres, souriantes, ou grimaçantes?/ les visages: à moitié cachés, découverts, sympathiques, sévères, austères, antipathiques??

Pour une fois, la présence en force des femmes a enjolivé quelque peu le paysage bien qu'elles restent assez « coincées », car trop longtemps brimées ou marginalisées.

Un signe positif. Mais, comme on connaît le machisme de nos concitoyens masculins, on ne sait pas encore si c'est un axe de travail porteur.

*Professeur associé à l'ENSJ/SI de Ben Aknoun