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«L'Algérie se prépare à ne plus acheter Djezzy», selon des experts

par Samy Injar

La dernière sortie du ministre des Finances était censée montrer que le processus d'acquisition de 51% de OTA par le gouvernement algérien était en bonne voie.

Elle a eu tout l'effet inverse. Alger s'aménage progressivement une porte de sortie honorable en admettant que la valeur arrêtée par son cabinet d'estimation de Djezzy peut ne pas être acceptée par Vimpelcom, le propriétaire de la filiale algérienne de OTH. Le virage vers le non achat est amorcé.

Les deux experts financiers qui ont réagi à la déclaration de Karim Djoudi, le ministre algérien des Finances, au sujet du processus d'acquisition de Djezzy ont requis l'anonymat à cause de leur relative proximité avec le dossier. Leurs conclusions sont spectaculairement convergentes : «l'Algérie est en train de s'aménager une porte de sortie pour ne pas acheter Djezzy». Le ministre des Finances a annoncé la semaine dernière que l'évaluation de OTA -Djezzy était terminée pour les deux parties - algérienne et russe - et que celles-ci étaient entrées en négociation sur le prix de cession. Pour le premier expert, «il n'y a eu aucune information qui montre que le cabinet Shearman and Sterling LLP (France) a en effet touché à tous les aspects du modèle économique de OTA avec ses centres de profit excentrés et sa complexité. Si un montant a été proposé sur sa valeur, il repose sur les données comptables connues. Nous ne sommes alors pas très loin de la valeur proposée par les Egyptiens en 2010. Pour moi, le gouvernement algérien ne va pas acheter Djezzy». C'est à la même résolution que parvient un spécialiste en fusion-acquisition qui travaille sur la place d'Alger depuis deux années. «Ce qu'il faut regarder depuis un moment, c'est l'insistance du ministre des Finances qui rappelle que nous sommes sortis de la préemption pour passer à une acquisition ordinaire. Si en plus il y a un écart entre la valeur reconnue de Djezzy et le prix que les Algériens voudront en donner aux propriétaires russes, alors il se peut aussi que le deal ne se fasse pas. Par ses déclarations le ministre des Finances entame un virage pour ne pas acheter Djezzy».

Naguib Sawiris avait affirmé en 2010 que les Sud-Africains de MTN lui avaient fait une offre de 7,8 milliards de dollars pour l'acquisition de Djezzy. Les deux experts évoquent des moyens dont disposent le gouvernement algérien pour faire accepter à Vimpelcom un prix de cession beaucoup plus bas que la valeur, maintenant reconnue et demeurée confidentielle, de Djezzy selon l'évaluation du cabinet Shearman and Sterling, engagé par la partie algérienne. «Il y a la proximité de la fin de la licence GSM dans trois ans, un nouveau redressement fiscal sur a tête de OTA, et aussi le risque pour Djezzy de louper la licence 3G». Autant de nuisances qui feraient baisser le prix de vente de l'opération algérienne du groupe Vimpelcom-OTH.

ANADARKO ET MAERSK RENDENT «PLUS CHERE» LA TRANSACTION

Mais, avec tout cela, si les Russes tiennent à une valorisation «réaliste» de leur affaire en Algérie, le prix à payer demeurerait élevé. Et le renoncement esquissé à l'achat prend tout son sens. En particulier après l'affaire Anadarko-Maersk. «L'Algérie vient de décider de rembourser 4,4 milliards de dollars à ces deux compagnies pétrolières. Même si cela se fera en quantité de pétrole que nous n'avons pas encore extrait, c'est un manque à gagner colossal qu'il faut soustraire des prévisions de recettes en 2012 et les années suivantes. Débourser plusieurs autres milliards de dollars pour prendre la majorité dans Djezzy paraît dans ce contexte encore plus périlleux», estime un des deux spécialistes. Plusieurs signaux ont montré, depuis plusieurs mois, les hésitations des autorités algériennes dans l'affaire Djezzy. L'accord de confidentialité, indispensable pour engager le processus d'évaluation de OTA, a été retardé de 10 mois pour n'être signé qu'à la fin de l'année 2011 «comme si le ministère des Finances n'était pas pressé de savoir». Ensuite, le gouvernement algérien a été totalement incapable de désigner un «véhicule» algérien pour l'acquisition des 51% qu'il comptait acheter dans le capital de OTA. Plusieurs pistes ont été évoquées en janvier dernier, Sonatrach et la Banque extérieure d'Algérie (BEA) notamment, mais tout cela est vite retombé pour laisser place à un mutisme des autorités, signe d'une indécision perceptible. Le scénario le plus probable pour nos deux experts est que le gouvernement algérien prenne prétexte d'une surenchère russe dans la négociation en cours autour du prix de cession de Djezzy «pour déclarer le processus rompu». Le fait de ne plus être dans une opération de préemption offre la possibilité de ne pas conclure. «Ce serait une bonne nouvelle pour l'argent public», estiment les deux experts. L'Algérie n'a pas de solution pour nationaliser Djezzy alors que Algérie Télécom est en quasi-faillite managériale.