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Tunisie: la LFC prévoit «des recettes irréalistes» pour les uns, «pas assez de dépenses» pour les autres

par Anouk Ledran A Tunis

Alors qu'on ne sait toujours pas quand la loi de finances complémentaire 2012 sera soumise au vote à l'Assemblée constituante, le projet élaboré par le gouvernement fait grincer des dents les acteurs du monde économique et social. Ils estiment qu'il n'est pas en phase avec la situation du pays et doutent de la capacité de l'Etat à mobiliser les ressources prévues.

« Le projet de la loi de finances complémentaire 2012 ne livre pas un message clair à même de rassurer les Tunisiens». Mohamed Haddar a traduit en ces termes, lors d'une table ronde organisée le 21 mars par l'Association des économistes tunisiens (ASECTU), qu'il préside, les réserves du monde économique tunisien sur le projet de loi de finances complémentaire 2012, adopté le 5 mars en conseil des ministres, et sur lequel l'Assemblée constituante devrait se prononcer prochainement.

Il prévoit une augmentation de 2,5 milliards de dinars du budget de l'Etat par rapport au budget initial, pour atteindre 25,4 milliards de dinars, soit une hausse de 10,8%. Pour ce faire, les recettes fiscales devront s'élever à 15,1 milliards de dinars contre 13,8 milliards prévus dans le budget initial - soit une hausse de 1,3 milliard de dinars par rapport au budget initial - et les recettes non fiscales devront pour leur part atteindre 4,6 milliards de dinars - soit une augmentation de 2,2 milliards de dinars.

LES REVENUS DE CESSION DES BIENS DE BEN ALI SURESTIMES

Des objectifs «irréalistes», selon Jamel Belhaj Abdallah, directeur général au ministère des Finances dans le gouvernement de Beji Caïd Essebsi et actuel directeur général de la caisse des dépôts et consignations. Il estime notamment que les recettes de cession des entreprises confisquées à l'ancienne famille au pouvoir sont surestimées, étant donné la faible capacité d'absorption de l'économie tunisienne: le projet prévoit 1,2 milliard de dinars contre 400 millions de dinars mentionnés dans le budget initial. «Dans la situation actuelle, peut-on mettre sur le marché des actifs de cette valeur ?», s'est-il interrogé.

La même critique est formulée au sujet des recettes de privatisation, qui passent de 100 millions de dinars dans le budget initial à 1 milliard de dinars. Le budget mise enfin sur 600 millions de dinars de dons extérieurs contre 172 millions de dinars prévus dans le budget initial, et sur 350 millions de dinars de recettes fiscales supplémentaires obtenues grâce à une sorte d'amnistie fiscale. «Je ne pense pas que l'on puisse atteindre le chiffre indiqué, a dit Jamel Belhaj Abdallah. L'amnistie de 2006 n'a généré que 200 millions de dinars».

Les experts sont unanimes à souligner que le budget révisé reflète une vision très optimiste de l'année économique 2012, en prévoyant un taux de croissance de 3,5% (contre -1,8% en 2011) et un baril de pétrole à 110 dollars. Pour l'économiste Abderrahmane Lagha, un taux de croissance de 3,5% «demeure tributaire d'un climat politique et social stable, chose qui n'est pas encore observée». Une idée que partage l'Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT), selon un communiqué publié le 24 mars sur son site internet. L'objectif des 3,5% «ne peut être atteint que grâce à la mise en place d'un climat des affaires sain et d'un climat social apaisé, souligne l'analyse. Or, nous constatons une absence totale de messages rassurants adressés aux acteurs économiques locaux et étrangers».

Mohamed Haddar s'est plus particulièrement inquiété «des répercussions aussi bien sur le coût des importations que celui de la dette» de la dépréciation du dinar par rapport au dollar, estimé à 1,5 dinar au lieu de 1,42 prévu initialement.

UN BUDGET INSUFFISANT FACE AUX ATTENTES SOCIALES

Au chapitre des dépenses, l'économiste Mongi Boughzala a souligné que «la grande part du budget de l'État devrait être allouée à la création d'emplois et à la dynamisation économique des régions démunies, tout en réduisant petit à petit les autres dépenses», peinant à identifier le même ordre de priorité dans le projet de loi de finances complémentaire 2012. La loi de finances complémentaire prévoit une hausse des dépenses de 2,465 milliards de dinars - augmentation de 1,247 milliard de dinars des dépenses de gestion, en hausse de 9,2%, et de 1,2 milliard de dinars des dépenses de développement, en hausse de 23%.

Ce dernier montant est «loin d'être suffisant pour répondre aux revendications sociales de la population», estime l'UGTT, qui juge le projet de loi de finances complémentaire «très loin des objectifs de la révolution» et «en deçà des attentes» des acteurs économiques et sociaux. «Le budget doit prendre en considération le volet développement, c'est-à-dire s'interroger combien doit-on réserver pour le développement, que faire ? Pour qui ?», a aussi expliqué Mohamed Haddar.

Les experts économiques de l'UGTT notent également que le projet de loi de finances complémentaire risque de renforcer la détérioration du pouvoir d'achat des citoyens, alors que les pressions inflationnistes étaient estimées à 5,1% en janvier dernier, et que le taux de chômage frôle les 20% (800 000 demandeurs d'emploi). En ligne de mire, notamment, la révision à la hausse du droit d'enregistrement, des taxes relatives à la recharge des téléphones mobiles ainsi que l'institution de taxes complémentaires sur les quittances et les abonnements délivrés par la société tunisienne Autoroute. La demande intérieure «devrait pourtant constituer le principal moteur de la croissance économique», vu la décélération de la croissance économique partout dans le monde, note la principale centrale syndicale.

En réponse, le secrétaire d'Etat aux finances, Slim Besbès, a souligné que la priorité pour le pays était la survie de l'économie et la continuité du cycle d'activités, tout en maîtrisant le déficit budgétaire, qui passera à 4,6 milliards de dinars, contre 4,1 milliards prévus dans la loi de finances initiale.