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Excédents : le procès à la Banque d'Algérie confond «effet et cause»

par Saïd Mekki

Les récentes déclarations du gouverneur de la Banque d'Algérie sur les réserves de change et la parité du dinar ont, comme il est de tradition, suscité des réactions sceptiques. Le bas de laine du pays, sujet sensible, court-il vraiment des risques ? Eclairage.

La parole du gouverneur de la Banque d'Algérie est, à défaut d'être contestée, source d'interrogations. Le thème, récurrent, se rapporte à la protection des opulentes réserves de l'Algérie et de leur rendement. L'opacité dont fait preuve la Banque centrale n'est pas de nature à rassurer ceux qui s'inquiètent de la dévalorisation possible de ces réserves au regard de la crise de la dette européenne et des mouvements erratiques des marchés de capitaux. Mohamed Laksaci qui défend une politique de prudence privilégiant la sécurité des placements plutôt que leur rémunération a visiblement de la peine à surmonter le scepticisme ambiant. Certains commentateurs laissent entendre à demi-mot que le secret entretenu sur l'affectation des ressources excédentaires pourrait bien couvrir des choix hasardeux ; surtout que plusieurs banques centrales à travers le monde n'hésitent pas à faire état de contre-performances et à déplorer la décote de leurs actifs placés dans diverses institutions financières, notamment en Europe. Le gouverneur répond, sans plus de précisions, qu'une partie des dépôts de la Banque d'Algérie a été retirée des banques commerciales pour être logée dans des banques centrales. La mesure illustre le caractère de la gestion de «bon père de famille», selon l'expression consacrée. Et l'on peut faire crédit de sa sincérité à M. Mohamed Laksaci. «On voit mal effectivement les cambistes de la Banque centrale prendre des positions spéculatives ou s'aventurer hors des sentiers battus mais rassurants des placements de premier ordre, qu'il s'agisse de bons du Trésor américain ou de la souscription à des émissions obligataires d'emprunteurs de qualité reconnue, comme l'Allemagne ou les pays scandinaves» explique un financier. Et de fait, les possibilités de placements de premier rang sont relativement peu nombreuses. Sans compter qu'outre les Etats-Unis, ceux représentés par les principales économies européennes sont les plus sûrs en dépit de la crise de la dette souveraine de certains pays de l'UE.

UNE QUESTION D'INFORMATION

Les niveaux de rémunération des placements «sûrs» sont naturellement plus faibles que ceux liés à des risques plus élevés. Les rémunérations sont parfois à peine supérieures à l'inflation globale. Le procès fait à la Banque centrale est à bien des égards exagéré surtout quand on met en cause le professionnalisme de ses gestionnaires. Mais l'Institut d'émission pèche par excès d'opacité. Les réserves de change de l'Algérie appartiennent à la communauté nationale et il est naturel qu'une information régulière soit réclamée sur la manière dont elles sont réparties. Il n'est pas nécessaire pour cela d'entrer dans le détail de la gestion des risques de la Banque centrale. Mais en définitive, qu'elle soit plus marquée au sceau de la prudence qu'à celui de l'audace spéculative, la gestion des réserves peut paraître secondaire au regard de ce que cette considérable encaisse révèle des inquiétants fondamentaux de l'économie algérienne.

GESTION DES RESERVES OU DES RESSOURCES NON RENOUVELABLES

Le stock de réserves de change est avant tout l'expression de l'atonie d'une économie incapable d'absorber efficacement les excédents dégagés de l'exploitation de ressources fossiles. La performance de la gestion financière de la Banque centrale est certes importante mais ce qu'il convient de mesurer est plutôt le rendement à terme et la volatilité des placements contre leur valorisation s'ils étaient demeurés dans le sous-sol à l'état liquide ou fluide. La gestion financière ne peut pas remplacer la gestion stratégique de ressources non renouvelables. Le même constat peut être établi pour la politique de change mise en œuvre par la Banque centrale. Le débat autour de la dépréciation ou de la dévaluation du dinar élude la question cruciale de l'inefficacité des politiques publiques, si tant est qu'il y en ait d'identifiables, et l'incapacité de l'économie algérienne à quitter le cycle invalidant de la dépendance aux importations pour enfin embrasser une dynamique de production. Ce qui pose question est bien l'inutilité de cette énorme encaisse dormante dont le seul usage serait d'assurer un filet de sécurité dans l'hypothèse du retournement du marché mondial de l'énergie. Si elles fascinent par leur importance, ces réserves sont l'illusion de la richesse tant qu'elles ne servent pas à stimuler l'économie interne et à en modifier substantiellement l'orientation. L'importation de biens de consommation et la réactualisation d'infrastructures clés en main par l'exportation d'hydrocarbures sont les éléments de la synthèse d'une économie incapable de produire. Pourquoi ne peut-on amorcer la moindre démarche cohérente et convaincante de développement ? C'est bien à la lumière de cette réalité déterminante que la critique de l'action de la Banque d'Algérie peut donner l'impression de confondre l'effet et la cause. En quoi la donne serait-elle changée si les réserves de changes pouvaient être améliorées ou dépréciées de quelques points de pourcentage ? Les déséquilibres structurels de l'économie ne peuvent à l'évidence être corrigés par des mécanismes financiers aussi sophistiqués soient-ils.