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Cour des comptes: Cris de détresse des magistrats

par G. O.

Les magistrats de la Cour des comptes estiment que «la non publication des rapports annuels réduit considérablement leur vertu dissuasive et leur impact sur l'opinion publique en général et les décideurs en particulier».

C'est ce qu'a soutenu un de leurs confrères qui les a représentés hier à la journée parlementaire sur la loi de règlement budgétaire. Abderrahmane Saci a en premier fait savoir que «la Cour des compte est consultée sur les avant-projets annuels de lois portant règlement budgétaire, les rapports d'appréciation qu'elle établit à cet effet sont transmis par le gouvernement à l'institution législative avec le projet de loi y afférent», stipule, par ailleurs, l'article 18 de l'ordonnance 95-20. Il prévient cependant sur l'étendue des interventions de la Cour en matière de contrôle des finances publiques que « les résultats atteints par la Cour ne pourront être appréciés qu'au regard des moyens qui leur ont été dévolus». Il affirme ainsi que « l'institution a été confrontée à un problème d'effectifs en activité en raison du volume considérable de travail dont elle avait la charge (plus de 15 000 comptes environ pour un peu plus de 250 magistrats)». Il ajoutera au chapitre des contraintes de la Cour «d'autres externes caractérisées par un environnement mal préparé à la philosophie de contrôle, un système d'information et d'organisation défaillant, du moins non approprié (?)». Ce qui exige, selon lui, «de profondes transformations dans l'organisation et le fonctionnement des services relevant du secteur public appelé à se moderniser et l'activité du contrôle à s'adapter en conséquence». Parce que, souligne-t-il, encore «les nombreuses insuffisances relevées ne permettent pas à la Cour de s'acquitter convenablement de sa mission, au-delà de celle relative à la nécessaire vérification de la conformité aux lois et règlements». Il revendique à cet effet «une meilleure connaissance des coûts, un allégement des contrôles préalables, une responsabilisation plus marquée des gestionnaires et un rapprochement de la gestion publique à la gestion privée».

La Cour, dit-il, «a non seulement constaté des divergences entre les comptabilités administratives et celles des comptables mais a attiré l'attention du ministère des Finances sur la nécessité de la confection d'un compte général de l'Etat». La Cour «éprouve aussi des difficultés à se prononcer sur la comptabilité du secteur économique avec les règles d'efficience et d'efficacité».

LA NON PUBLICATION DES RAPPORTS ET LA VERTU DE DISSUASION

Au titre de la communication, le magistrat rappelle que le rapport de la Cour des comptes est adressé «particulièrement» au président de la République. Pour noter que «dans certains pays, l'importance de ce rapport revêt un caractère incontestable du fait de son impact psychologique en raison de sa publication en partie. (?). Dans notre pays, la diffusion et la publication d'un tel document appartiennent à l'initiative du président de la République (?). Présentement, la nouvelle approche conduit à orienter le contrôle de la cour vers les résultats. C'est pourquoi le rapport annuel ne recouvre désormais que les questions essentielles ayant un impact réel sur l'amélioration de la qualité de gestion». Abderrahmane Saci en conclut alors que «la non publication des rapports annuels comme c'est le cas, réduit considérablement leur vertu dissuasive et leur impact sur l'opinion publique en général et les décideurs en particulier, appelés à améliorer la qualité de leur gestion». Il attire l'attention sur l'efficacité de la Cour qui ne peut donc se mesurer qu'à « la fréquence à laquelle seront adoptées les recommandations contenues dans les rapports auxquels donnent lieu les travaux entrepris».

Le magistrat revient sur «le contrôle particulier des lois de finances» qui, dit-il, «constitue une des missions majeures de la Cour». Il fait remarque à cet effet que «la pertinence voire la fiabilité ou la crédibilité des résultats successifs contenus dans les lois de finances dépendent en grande partie des modes d'organisation et des procédés de gestion et de la mise en œuvre convenable des dispositifs correspondants». Il constate qu' «au-delà de leur application, les dispositifs en vigueur n'ont pas évolué et n'offrent pas des informations complètes et adéquates en relation avec les normes modernes de gestion et du contrôle». D'où, ajoute-t-il, «tous les écarts observés quant au respect des principes budgétaires et comptables présentement admis (tels ceux liés (?) à la sincérité, à la transparence et l'exhaustivité». Il affirme en outre que «le travail d'appréciation de la Cour du projet de la LRB se trouve malheureusement limité non seulement en raison de contraintes endogènes à l'institution mais surtout à cause des modes d'organisation et de gestion peu appropriés». Il relève ainsi «l'absence d'un plan comptable et d'un compte global de l'Etat voire même d'un code de la comptabilité publique approprié, ce qui a davantage influé négativement sur l'intérêt et la portée pratique de la LRB dans notre pays».

Il relève «les limites du cadre budgétaire et comptable régi durant de longues années par un ensemble de textes d'inégale valeur juridique et dont l'application a été à l'origine de certains dysfonctionnements et incohérences dans la gestion et le contrôle des opérations financières et comptables correspondantes».

LA COUR RECLAME DES PREROGATIVES DE CONTROLE DES FINANCES PUBLIQUES

Et bien qu'il note l'entrée en vigueur de nouvelles lois pour y remédier (loi 84-17 et 91-21), il affirme que «ce dispositif a connu ses limites et ce pour de nombreuses raisons administratives, techniques, contexte en pleine mutation?». Il pointe du doigt la non évidence de l'articulation et de l'incohérence du cadre légal et réglementaire fixant les règles de présentation et d'exécution des opérations financières et comptables ; «une insuffisance dans la lisibilité et la sincérité des comptes ou des chapitres, l'absence de bilans consolidés des comptes publics, une multitude et instabilité de textes d'application qui entravent l'exercice cohérent des prérogatives dans leurs différentes étapes, et souvent sources d'interprétation divergentes et d'interférence entre les compétences respectives ; un cadre budgétaire annuel ne favorisant pas l'appréciation des politiques publiques (?)».

Il recommande que «le redressement des finances publiques et les difficultés de financement imposent une autre conception de la gestion et de contrôle des opérations correspondantes ». Il suggère « d'opérer une refonte de l'organisation des formes de gestion par le passage progressif d'une gestion de moyens à une gestion par objectifs et corrélativement d'assurer une transition d'une comptabilité de caisse à une comptabilité patrimoniale». Mais ceci exige selon lui «une vision globale et stratégique des finances publiques avec pour corollaire une plus grande transparence favorisant l'émergence d'un débat démocratique et un meilleur suivi du patrimoine public ; un cadre analytique susceptible de faciliter une analyse adéquate des coûts et l'efficacité des services publics (?)». Sa conclusion est que «toutes les réformes budgétaires et comptables entamées n'ont pas été menées à leur terme ; les résultats produits et observés ne sont pas satisfaisants et ce en dépit des fonds engagés et nonobstant quelques progrès sectoriels réalisés ; toutes les conditions n'ont pas été réunies pour appliquer convenablement les prévisions retenues et les pesanteurs administratives y sont plus marquantes (absence de prise de décision au moment opportun, de coordination, de vision globale et intégrée)?».

Il estime que la Cour des comptes ne peut progresser dans ses missions sans la définition d'objectifs précis. «Permettre à cette institution de s'insérer dans le tissu de la vie économique et sociale, dans ses relations avec les décideurs et les représentants du peuple». Il souligne que «sa contribution dans la bonne gestion des fonds publics doit s'inscrire dans une perspective clairement définie et ne souffrant d'aucune équivoque (approche intégrée dans le processus de contrôle)».