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Crise de la dette : l'avis de tempête sur l'Europe va perdurer en 2012

par Saïd Mekki

Le bilan de l'année 2011 est certainement l'un des moins brillants de l'histoire économique de l'Union européenne. Les marchés financiers ont littéralement pris en otage les pays de la zone euro en spéculant sur les dettes publiques des pays les plus fragiles, ciblant l'un après l'autre les Etats les plus endettés. L'effet domino inauguré par la débâcle irlandaise en 2010 semble irrésistible.

Dans une progression qui semble aller crescendo, le Portugal, la Grèce, l'Italie et l'Espagne sont dans le collimateur d'une spéculation peu sensible aux gesticulations de dirigeants européens dont les divergences s'expriment publiquement. Les sommets «cruciaux», de la «dernière chance» se sont succédé à un rythme vertigineux : les Conseils européens, les réunions des membres de l'eurozone et les rencontres bilatérales germano-françaises annoncées comme ultimes et décisives n'ont guère abouti à stabiliser une situation critique. Dramatisée par le rôle d'oracles de mauvais augure dévolu aux agences de notation par les médias. La crise grecque, psychodrame financier de l'année 2011 mais véritable tsunami social pour le peuple grec, menace de se propager à l'Italie, illustrant le phénomène de contagion redouté par les économistes. Athènes a dû admettre son incapacité à honorer ses engagements de réduction de ses déficits et contre une seconde bouée de sauvetage lancée par l'UE et le FMI a dû changer de gouvernement et admettre la supervision de ses politiques publiques par une Troïka d'experts délégués par l'UE, la BCE et le FMI. A peine le chaudron grec un peu refroidi, les Européens ont dû faire face à la détérioration de la position de l'Italie.

LE PSYCHODRAME DU TRIPLE A

Rome a subi la hausse brutale des taux d'intérêts de ses obligations d'Etat menaçant de faillite la troisième économie de la zone euro. Une partie importante de la dette italienne étant détenue par les banques françaises, l'inquiétude a gagné les marchés et les agences de notation évoquent la possibilité de dégrader la note affectée à la dette publique de l'hexagone. Un véritable psychodrame a ainsi animé les unes des journaux français sur la perte du triple A, présentée comme une catastrophe nationale. Aucune économie de la zone euro n'est indemne de la réévaluation négative des agences de notation, même la très rigoureuse Allemagne est placée sous surveillance par Standard & Poor's?

La crise de la dette des PIGS (Portugal, Italie, Grèce et Espagne) ne serait elle que le début d'un processus susceptible de concerner les économies les plus puissantes de la zone et de mettre en péril l'Euro dans sa configuration actuelle ? En tout état de cause, la crise de la dette souveraine et de la monnaie unique n'est pas seulement de nature économique. La position consolidée des membres de l'eurozone, où chaque émission de dette souveraine est évaluée comme marqueur de crédibilité, est pourtant bien plus favorable que celle des Etats-Unis dont le besoin de financement public est deux fois supérieur.

UNE CRISE POLITIQUE D'ABORD

La crise de la dette est - d'abord ? - une crise politique qui traduit le déséquilibre structurel entre une monnaie unique et des politiques budgétaires nationales. Il restera que les attaques spéculatives ont abouti à la chute de gouvernements et l'arrivée aux commandes, sous influence étrangère directe, de technocrates présentés comme apolitiques et censés rassurer les marchés dont ils sont issus. Ainsi Lucas Papademos en Grèce, Mario Monti en Italie, ou encore Mario Draghi à la Banque centrale européenne sont tous des anciens de la banque Goldman Sachs, qui a notoirement contribué au maquillage des comptes publics grecs pour permettre l'adhésion de pays à l'Euro. A Madrid, le nouveau chef du gouvernement, le conservateur Mariano Rajoy, a nommé mercredi 21 décembre Luis de Guindos, ancien président de la banque Lehman Brothers pour l'Espagne et le Portugal de 2006 à 2008, au ministère de l'Economie. Il n'est pas sûr cependant que le recours à des experts ultralibéraux soit la panacée rêvée par les dirigeants de l'eurozone. Quel est le degré de détérioration des conditions sociales que sont disposées à accepter les populations de la région la plus riche du monde ? La question n'est pas vaine, dans une perspective de récession confortée par l'accentuation de la rigueur budgétaire. Les dissensions entre dirigeants politiques et les différences d'approches ne contribuent guère à susciter l'optimisme. Ainsi, la France défend l'idée d'Eurobonds, de mutualisation explicite des dettes souveraines, dont l'Allemagne très sourcilleuse quant à l'indépendance de la BCE, ne veut pas entendre parler, La cacophonie européenne a été clairement perçue par les marchés lors du débat sur la modification des Traités européens, voulue par l'Allemagne. Cette modification ne sera pas entérinée par l'ensemble des 27 pays membres de l'UE, la Grande-Bretagne, soucieuse de défendre le rôle de la City, ayant refusé de s'associer à une initiative qui prévoit, entre autres dispositions, l'introduction d'une règle d'or au niveau des Constitutions nationales et la limitation du déficit à 0,5% du PIB.

800 MILLIARDS D'EUROS A EMPRUNTER

L'Europe, 20% de l'économie globale, est à la croisée des chemins entre approfondissement de l'intégration politique et égoïsmes nationaux, entre la nécessité de la croissance et l'impératif de réduction des dépenses publiques. Ces questionnements sont lancinants pour dessiner des issues à une spirale d'endettement dans une situation de perte de compétitivité globale et de récession. Si 2011 a été particulièrement difficile les perspectives pour 2012 ne sont guère enthousiasmantes : les Etats du vieux continent devront emprunter environ 800 milliards d'euros auprès des marchés pour assurer leur fonctionnement et pour tenter de relancer des économies plombées par l'austérité. L'avis de tempête sur l'euro n'est pas près d'être levé.