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Faire des placements ou engager des investissements stratégiques ? Des réserves de change et un «violent» déficit en matière grise

par Salem Ferdi

Pas d'inquiétudes à se faire sur les réserves de change. C'est le message envoyé par le gouverneur de la Banque d'Algérie après les inquiétudes exprimées récemment par certains spécialistes. L'argumentaire technique est solide. Mais est-ce le vrai débat pour l'économie algérienne ?

A ceux qui s'inquiètent sur les placements à l'étranger des réserves de change, le gouverneur de la Banque d'Algérie, Mohamed Leksaci, a apporté des éléments de réponse rassurants. Ces placements ont rapporté 4,60 milliards de dollars en 2010 contre 4,74 milliards de dollars en 2009. Ces rendements étaient de 5,13 milliards de dollars (mds USD) en 2008, de 3,81 mds USD en 2007 et de 2,42 mds USD en 2006. Les placements sont à 98% répartis entre Etats-Unis et l'Europe, sont effectués en portefeuille de titres souverains (valeurs d'Etat) que l'Algérie avait achetés entre les années 2004 et 2007. Ces titres sont soumis à un taux d'intérêt moyen fixe de 3% en 2010, un rendement légèrement inférieur à celui de 2009 et 2008. Les réserves de change s'établissaient à 162,2 mds USD fin 2010, soit plus de trois années d'importations de biens et services, contre 148,9 mds USD à la fin 2009. «La politique (de gestion des réserves) menée par la banque d'Algérie depuis 2004 a prouvé son efficacité en 2011", a affirmé le gouverneur de la Banque d'Algérie. Seulement 2% des réserves de change sont actuellement placés dans des banques, ce qui est de nature à prémunir l'Algérie des chocs éventuels. La poursuite de la stabilité financière externe de l'Algérie à moyen et long termes «repose fortement sur la poursuite de la gestion prudente des réserves officielles de change par la Banque d'Algérie» a-t-il déclaré. Il s'agit de préserver la valeur du capital (des réserves), en minimisant les risques de perte de la valeur marchande des actifs par le maintien d'un portefeuille diversifié, à maintenir un niveau élevé de liquidité, avec des actifs revendables à tout moment et enfin à optimiser le rendement, a expliqué M. Laksaci. Il ne faut pas confondre « excès de réserves de change et excès de richesse» car le premier représente tout simplement l'épargne publique alors que la richesse économique provient de l'investissement, a-t-il précisé.

Investir dans la formation des générations montantes

Le constat est absolument juste. Et c'est cela le véritable objet du débat, parfois confus, sur les réserves de change. Il est probable que ces réserves rapporteront encore moins en 2011 qu'en 2010 mais c'est une question parfaitement secondaire. La seule vraie comparaison pertinente au niveau économique porte sur la performance comparée entre un placement et un investissement productif. Qu'auraient pu apporter en termes de croissance, de création d'emplois, d'exports hors hydrocarbures, de substitution aux importations une partie de ces réserves transformées en investissements ? Il ne s'agit pas d'investir massivement l'ensemble de ces réserves dans une économie dont la capacité d'absorption reste limitée. Mais bien d'allouer une part de cette encaisse pour augmenter le rythme et diversifier les investissements. «Ce n'est pas très FMI, mais le FMI a souvent tort. On peut essayer d'améliorer de manière significative le niveau de formation des générations montantes. C'est un vrai investissement qui n'a rien à voir avec une gestion boutiquière qui a l'apparence d'une gestion sage alors qu'elle consacre la dilapidation de ressources non renouvelables», estime un spécialiste. Il y a bien entendu ceux qui préconisent de se lancer dans la création d'un fonds souverain mais il se pose un vrai problème de ressources humaines et de capacités de supervision pour une telle entreprise. Il y a surtout l'objection, on ne peut plus évidente, qu'un fonds souverain irait investir ailleurs au lieu de le faire en Algérie. En réalité, la création du Fonds national d'investissements et le renforcement des fonds de wilayas paraissent plus pertinents. Le vrai enjeu est bien le tissu de PME qu'il faut renforcer en moyens humains et financiers. Il est clair que construire des routes, des lignes de chemin de fer et des logements ne suffit pas à construire une base économique.

Changer la donne avec un «plan novembre»

Un ancien responsable du secteur économique souligne que la caractéristique essentielle de l'économie algérienne est la faiblesse de niveau de formation général. « L'Algérie fait face à un violent déficit en matière grise », estime-t-il, et il lui faut à tout prix former des cadres de haut niveau pour repeupler les entreprises et l'administration. L'enjeu de la ressource humaine est fondamental. Une partie des réserves de change peut être investie très utilement à redonner des conditions et des moyens à l'université, à inventer de nouvelles grandes écoles, à améliorer le niveau des enseignants du primaire au supérieur. L'investissement le plus stratégique est de former dans le sens de l'excellence. La massification de l'enseignement est une « réussite », il faut réussir le saut qualitatif dans toutes les branches pour compenser la déperdition des cadres et rattraper le niveau des pays émergents. Le talon d'Achille de l'économie algérienne, c'est son déficit à tous les niveaux de qualifications dont l'effet est, logiquement, une faible performance des acteurs. « Une dynamique vertueuse fondée sur le développement des capacités des Algériens est le meilleur des investissements. Du technicien de base à l'ingénieur de haut niveau sans exclure aucun domaine de formation. Il faut développer des pôles d'excellence, nous avons un gisement de 1,3 millions d'étudiants qui a besoin d'être fortement valorisé », estime-t-il. Il ne s'agit pas de s'engager dans un plan monumental. « On peut soustraire une fraction de 10 milliards de dollars des réserves et les investir dans la création de pôles d'excellence, à importer du savoir-former, des formateurs, des méthodes, des moyens et acclimater en l'Algérie ce qui a marché ailleurs. «Imaginez un plan quinquennal enseignement doté d'un budget de dix ou vingt milliards de dollars ? Cela changerait l'image de l'Algérie. Et avec la disponibilité d'une main-d'œuvre formée à tous les niveaux, on transforme vraiment la donne. On aura fait un plan novembre dans l'éducation et dans l'économie», estime un ancien ministre. Histoire d'élever un niveau qui est celui des comptes d'épiciers pour penser l'avenir en termes stratégiques.