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Libye : Kadhafi attaque le port de Misrata

par Yazid Alilat

La situation en Libye s'enlise inéluctablement, avec des combats toujours violents entre forces loyalistes et insurgés, au moment où la coalition internationale maintient la pression sur le régime de Mouammar Kadhafi.

En Libye, presque toutes les villes vivent en fait un état d'insurrection généralisé. Mardi, le fait saillant dans ce pays dorénavant déchiré entre pro et anti-Kadhafi aura été l'attaque brutale du port de la ville de Misrata à coups d'obus. Les forces pro-Kadhafi, repoussées de la ville rebelle de Misrata, attaquaient mardi son port, à 12 km à l'est, blessant des réfugiés africains et forçant un bateau humanitaire venu les évacuer à s'éloigner au large.

 Depuis deux mois, les accès routiers à Misrata, grande ville côtière à 200 km à l'est de Tripoli, sont coupés par les forces pro-Kadhafi. Le port est le seul lien de la ville avec l'extérieur. L'aéroport, très endommagé, est en effet aux mains de l'armée libyenne, selon les rebelles. Aux environs de 14h30, plusieurs roquettes Grad ont touché le port, selon un photographe de l'AFP sur place.

 Un bateau de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), venu poursuivre l'évacuation des milliers d'Africains qui cherchent à fuir la ville encerclée par les forces gouvernementales, s'est alors éloigné de 2 km au large par mesure de sécurité. Selon le docteur Khalid Abou Falra, du principal hôpital de la ville, «plusieurs réfugiés ont été blessés par le bombardement. Il y a peut-être des morts, nous n'avons pas de précisions pour le moment».

 Devant cette attaque surprise des forces loyalistes, ?'l'Otan a demandé au bateau de l'OIM de quitter le port», ont déclaré des insurgés, affirmant qu'»une vingtaine de véhicules» des forces gouvernementales approchaient du port vers 15h30. Un peu plus tôt dans la journée, les insurgés de Misrata avaient affirmé avoir chassé les pro-Kadhafi de la ville assiégée depuis deux mois tandis que l'Otan a mené de nouvelles frappes à Tripoli où le régime libyen a assuré que le colonel Kadhafi était en «lieu sûr» et avait «le moral».

 A Misrata, plusieurs chefs de groupes de combattants ont déclaré que les forces gouvernementales, durement pilonnées depuis deux jours, s'étaient retirées de la ville et se trouvaient dans ses faubourgs. «Des affrontements ont lieu à la limite ouest de la ville, le reste est nettoyé. Il reste sans doute quelques soldats cachés dans la ville qui ont peur d'être tués, mais il n'y a plus de groupe de soldats», a précisé l'un d'eux. Cependant le porte-parole militaire du Conseil national de transition (CNT) de l'opposition à Benghazi (est), le colonel Ahmed Omar Bani, s'est montré nettement moins optimiste sur la situation de Misrata: «C'est un désastre là-bas, Kadhafi n'est pas en train de perdre». «Misrata est la clé de Tripoli. Si (Kadhafi) abandonne Misrata, il va abandonner Tripoli. Il n'est pas assez fou pour faire cela», a-t-il ajouté. Des combats se déroulent aux abords de la ville et le roulement continu d'explosions lointaines s'est fait entendre toute la soirée de lundi jusqu'à une heure avancée de la nuit. L'attaque du port par les troupes de Kadhafi serait une nouvelle tactique pour empêcher les évacuations et les approvisionnements en vivres, médicaments et munitions de guerre des insurgés par mer.

L'Otan n'a pas visé Kadhafi

L'Otan a démenti mardi avoir cherché à prendre directement le colonel Mouammar Kadhafi pour cible quand elle a bombardé dimanche son bureau dans son immense résidence du secteur de Bab Al-Aziziya, dans la banlieue de Tripoli. « La mission de l'Otan en Libye est de protéger la population civile, pas d'imposer un changement de régime », a affirmé le commandant de la mission de l'Otan en Libye, le général canadien Charles Bouchard. Selon ce dernier, le raid de dimanche visait un centre de communications situé dans la résidence du colonel Kadhafi, utilisé pour coordonner les attaques contre des civils. Mouammar Kadhafi «n'était pas dans la salle lorsque la bombe est tombée sur le bâtiment, comme nous l'avons vu à la télévision le lendemain» du raid, a-t-il déclaré à la presse par vidéoconférence de son QG situé à Naples (Italie).

Le porte-parole du régime libyen, Moussa Ibrahim, a indiqué que le colonel Kadhafi est à Tripoli «en lieu sûr» et il «a le moral». Il a dénoncé le bombardement qui a détruit dans la nuit le bureau du dirigeant comme un «acte terroriste» et une «tentative d'assassinat», lors d'une conférence de presse devant le bâtiment détruit à Bab Al-Aziziya, résidence du colonel Kadhafi. Le colonel Kadhafi est «en lieu sûr (...), il travaille chaque jour, il mène la bataille pour fournir au peuple services, nourriture, médicaments et carburant», a ajouté M. Ibrahim, en présence d'une vingtaine d'ambassadeurs de pays africains et asiatiques.

Moscou irrité

Sur le front diplomatique, Moscou maintient ses positions sur l'intervention militaire de la coalition internationale en Libye. Selon le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, la Russie ne soutiendra aucune nouvelle résolution de l'ONU sur la Libye, prévoyant un recours à la force. Si une nouvelle résolution du Conseil de sécurité de l'ONU mène à «une escalade de la guerre civile et prévoit un recours à la force, nous ne pourrons pas la soutenir», a déclaré M. Lavrov, cité par l'agence RIA Novosti. Par contre, si elle «prévoit la fin immédiate des violences et un appel aux parties en conflit à se mettre à la table des négociations, la Russie la soutiendra entièrement», a-t-il souligné.

La Russie, qui dispose d'un droit de veto au Conseil de sécurité de l'ONU, s'était abstenue le 17 mars lors du vote de la résolution 1973 qui a autorisé l'intervention d'une coalition internationale en Libye contre le régime du colonel Mouammar Kadhafi et le déclenchement de frappes aériennes.

 Mais la Russie s'est montrée critique depuis sur la mise en œuvre de cette résolution, M. Lavrov estimant notamment que cette intervention risquait de prendre la forme d'une opération «terrestre», un acte «risqué et aux conséquences imprévisibles». De son côté, l'Union africaine a qualifié de «début encourageant» ses rencontres lundi avec des représentants des deux camps belligérants en Libye, à son siège à Addis-Abeba, pour tenter d'avancer vers un cessez-le-feu dans ce pays. Le président de la Commission de l'UA Jean Ping et le comité ministériel ad hoc de l'UA sur la Libye ont rencontré lundi en fin de journée tour à tour une délégation du gouvernement libyen puis une délégation des rebelles du Conseil national de la transition (CNT), qui faisait pour la première fois le déplacement à Addis-Abeba. «La présence pour la première fois (à Addis-Abeba) de membres du Conseil national est un début encourageant pour qu'on continue le dialogue et pour qu'on arrive à un cessez-le-feu» en Libye, a commenté le porte-parole de M. Ping, Noureddine Mezni.