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Daignez me prêter attention, M. le wali?

par Farouk Zahi

?pour vous exposer quelques réflexions qui me taraudent l'esprit depuis longtemps. La première est cette désagréable sensation de paresthésie qui m'empêche, depuis quelque temps déjà, de vous sentir aussi bien dans votre dimension régalienne qu'humaine.

On a élevé autour de vous plusieurs barrières, le plus souvent immatérielles, mais réelles. D'oligarchiques «Mazarin» régentent votre espace immédiat. Ils ont fait de l'affable commis de l'Etat que vous êtes certainement, un gourou que peu de personnes approchent. Excusez mes propos dont certains vous sembleront excessifs, moi, ce vieil administré qui garde une image idyllique de vos prédécesseurs et dont certains ne sont plus de ce monde. Ils n'étaient pourtant pas issus de grandes écoles, mais portaient dans leur âme les meurtrissures de la vie. Ils n'ont à aucun moment dénié à leur administré ou à leur collaborateur, le droit à la parole ou à l'entrevue. Ils s'adressaient à l'ainé comme s'il s'agissait de leur propre ascendance et à l'immature, comme s'il s'agissait de leur propre descendance. Je me rappelle comme si c'était hier, de ce wali d'une ancienne wilaya du Centre, qui enfourchait sa bécane et qui faisait les quelques chantiers d'alors, quand le pays était encore désargenté. La voiture officielle, une vieille DS Citroën héritée probablement de l'administration coloniale, était plus destinée au protocole qu'à l'usage quotidien. Un autre, dit-on, chargeait sur ses épaules des matériaux destinés au chantier de construction du siège de sa wilaya ; ou encore celui qui tenait tête à un puissant ministre qui lançait la phase pastorale de la défunte révolution agraire. Sanctionné, il assumait dans l'honneur ses intimes convictions. Si ces images sont magnifiées, c'est qu'elles avaient du sens, sinon la mémoire collective les aurait effacées à jamais. Il est des hommes de la nouvelle génération qui ont perdu la vie au cours de missions sanglantes. Notre pensée va à Mohamed B'Lal, wali de Tissemssilt, assassiné avec son staff au détour d'une cédraie. Il aurait pu se planquer comme beaucoup l'ont fait, en arguant du contexte sécuritaire défavorable. Les dispositions sécuritaires, renforcées et à juste titre à cette époque de turbulence, n'ont plus à notre sens, de raison de perdurer ; l'ambiance n'étant heureusement plus le même.

 Le protocole tend de plus en plus à prendre le pas sur les objectifs assignés aux inspections, car il s'agit bien de visite de travail et d'inspection affirme-t-on. Heureux encore que ces tournées puissent faire espérer des multitudes ; d'aucuns, plus excessifs, considèrent à tort ou à raison en dépit des arguties qu'on tente de faire valoir, que les charges du maire du chef lieu sont en fait assurées par le wali lui-même. Sinon comment expliquer l'écart de plus en plus béant entre les commodités du chef lieu et la périphérie ? Contrairement au déséquilibre régional décrié par les seuls initiés, le déséquilibre local est amèrement constaté par le citoyen lambda. Il lui suffit maintenant, de faire une virée au siège de la wilaya pour se faire sa propre opinion.

Il a été récemment donné à votre serviteur, d'assister de loin à l'arrivée d'un wali, longuement attendu dans une daïra. Au passage de l'illustre cortège constitué de 4 /4 rugissants et de limousines rutilantes aux vitres teintées, le temps suspendait son vol. Le maire premier personnage de la ville, était comble du burlesque, collé à la vitre arrière d'un véhicule utilitaire qui tentait de rejoindre les mustangs. Il devra faire le trot pour pouvoir rallier la délégation qui a pris une longueur d'avance. N'aurait-il pas été plus convenant que cet édile soit installé à côté du chef de l'exécutif pour l'entretenir, quelque peu, sur l'état de la cité et répondre aux éventuels questionnements ? L'intimité du moment peut apporter à elle seule, des solutions à des problématiques qu'aucune séance de travail ne pourra résoudre. La rue défoncée par endroit et parcourue par le cortège officiel, gardera dans l'indifférence générale ses nids de poule. Le citoyen lambda se posera toujours la question de savoir, si le wali est déjà passé par là ou pas. Et pourtant il est passé ! Ce citoyen dont la crédulité est primaire, ne sait pas que ce n'est pas si simple de réparer des trous dans la chaussée. Pour cela, il faut qu'il sache que la commune est soumise au sacerdoce d'une nomenclature annuelle de projets. Elle devra introduire une fiche de projet que les services techniques de l'Etat doivent avaliser au titre du programme de développement. Après quoi, on transmettra par l'intermédiaire de la daira, tous les dossiers d'inscription d'objectifs planifiés à la Direction de la Planification pour un premier arbitrage. Tout ceci dépendra, bien sûr, des priorités que la wilaya aura arrêtées. Pendant ce temps, l'érosion et le flux circulant entameront encore dans les berges des trous qui vont être plus importants que les premiers décrits par la fiche technique. Quand les crédits seront enfin débloqués, ce ne sera plus une réhabilitation, mais un décapage et un enrobage de toute la chaussée et pour lesquels les crédits mis en place sont de loin insuffisants. Les défuntes régies communales, mises à mort par la bêtise humaine, ont laissé un vide que toutes les élucubrations intellectuelles ne peuvent combler.

Vous avez autorité sur une multitude de cadres supposés être de grande valeur professionnelle agissant par délégation. La synergie active que les textes règlementaires présupposent est souvent contrariée par des comportements puérils de prééminence. Tentant d'obtenir les grâces du chef, certains feront dans la séduction de l'entrisme quitte à s'allier au diable du clanisme. A partir de là, la cohésion solidaire de groupe dépecée par l'étroitesse de vue, partira en lambeaux. Certains chercheront des appuis auprès du cabinet qu'ils trouveront aisément, parce que le chef reçoit discrétionnairement les uns, plutôt que les autres. D'autres trouveront refuge auprès du secrétariat général. Il suffira que la frilosité soit avérée entre les deux structures pour que les fissures apparaissent sur l'édifice. Représentant local de chacun des membres du gouvernement et par conséquent de son secteur respectif, vous détenez à vous seul les destinées de chacun d'eux. A la pratique, ces secteurs ne sont pas traités de la manière la plus équilibrée qui soit. Il suffira de constater cela lors des sessions de l'assemblée délibérante consacrées à chacun des secteurs. Le contrôle populaire ne s'exercera souvent que sur les «parents pauvres» de la circonscription territoriale que sont l'Education, la Santé, la Protection sociale et subsidiairement les secteurs des Ressources hydriques, le Transport, les Postes et télécommunications.

Quant aux secteurs de la Culture et du Tourisme, plus passéistes que prospectifs, ils ne semblent intéresser personne. Et à ce titre, leurs responsables peuvent être considérés comme des peinards ce qui est d'ailleurs faux. Ils doivent mal vivre leur dépit. Pour le patrimoine commun, l'archéologie et le tourisme culturel, il faudra malheureusement, repasser. De véritables mentors ont fait de vieux os à la tête de secteurs dits techniques qu'il n'est nul besoin de citer. Placés sous l'aile du cabinet et assurés de leur prémunition contre la curée délibérante, parfois féroce et humiliante, ils assument leurs fonctions en toute sérénité.

Quant à votre représentant local et qu'on appelle communément Chef de daira ( Un agriculteur du Madher(1) l'appelle non sans justesse : Cheikh daira,). Ce corps dont la plupart des membres sont éligibles aux fonctions de wali, gagnerait à avoir plus de crédit auprès de la population et plus de considération au niveau des services de la wilaya. A ce titre, il faudrait commencer par lui épargner l'humiliation dans sa quête d'outils de travail qu'il ne cesse de quémander auprès de puissants chefs de bureaux de l'administration locale. Ces outils ou moyens logistiques sont tellement prosaïques, qu'ils ne méritent même pas l'évocation. L'exercice serait que certaines de vos audiences soient organisées dans le cabinet même, de ce responsable qui est le premier fronton de l'institution. En plus de l'avantage d'éviter l'interpellation du tout-venant en plein tournée, l'entrevue en aparté évacuera la profuse assistance constituée d'élus dont l'intérêt à la chose publique n'est qu'occasionnel et souvent clientéliste. Il existe malheureusement, des élus nationaux qui ne font leur apparition sporadique que lors d'événements marquants. Le reste du temps, ils sont d'une transparence matérielle spectrale. Ces ombres furtives hantent volontiers, le clair-obscur des coulisses. La règle n'étant pas générale, il y a lieu cependant, d'excepter les élus intègres soucieux de l'intérêt de leur électorat.

Le citoyen dont la culture est d'essence rurale, est plus sensible dans son environnement immédiat qu'ailleurs. Son déplacement aléatoire vers des lieux qu'il méconnait ou qu'il connaît peu, ne fera qu'altérer un peu plus l'état d'esprit dans lequel il a été réduit par absence de réponse suffisante à ses préoccupations. L'impact du bouche à oreille sur la communauté nourrie par l'oralité, a certainement, plus de valeur marchande que n'importe qu'elle déclaration d'intention faite en public. Les dividendes de la relation personnalisée, même condescendante dans certains cas, survivront et pour longtemps dans l'imaginaire populaire. Il est des «faits d'armes» d'équité exercés par de grands responsables que la mémoire collective a gardé dans ses recoins. Je ne terminerais pas sans restituer cette réflexion de l'agriculteur cité plus haut, qui pour illustrer le parcours bureaucratique du fellah disait ceci : «Le responsable est un monsieur qui, au sommet d'une échelle démesurée enduite de graisse que vous venez d'escalader laborieusement, vous dira sous forme de reproche : «mais, tu as encore oublié tel papier !». Avec une telle conviction, aucune politique de bien être social, fut-elle généreuse, ne peut transcender la méfiance vis-à-vis de l'administration locale.

(1) Zone agricole de Bou Saada