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Libye: Nouvelle bavure de l'OTAN, le conflit s'enlise

par Yazid Alilat

Le conflit en Libye est en train de s'enliser de plus en plus; ni les insurgés, encore moins l'intervention militaire internationale n'ont pu faire «partir» le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi. Ce constat d'un futur cuisant échec de l'intervention militaire de la coalition internationale, menée par la France, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne devient patent pour les observateurs et le sort de la Libye s'oriente vers une guerre civile, menaçant le pays d'être coupé en deux, avec en toile de fond, une inquiétante «somalisation». Pour autant, Kadhafi s'accroche toujours au pouvoir et a poussé l'ironie jusqu'à demander au Président américain Barack Obama, l'arrêt des bombardements dans une lettre écrite de sa main. Dans le même temps, ses troupes assiègent toujours la ville de Misrata, alors que l'aviation de la coalition, sous contrôle de l'OTAN, a encore provoqué une bavure jeudi. Le bilan est lourd : quatre personnes ont péri, dont deux insurgés et deux médecins et 14 sont blessées et six portées disparues. Le secrétaire général de l'Alliance atlantique Anders Fogh Rasmussen a exprimé, hier vendredi, ses vifs regrets pour les morts causées la veille par un raid de l'aviation alliée sur une colonne de chars d'insurgés près de la ville de Brega (est de la Libye).Dans un premier temps, l'Otan avait refusé de s'excuser, soulignant qu'elle n'était pas au courant que les insurgés utilisaient des chars. L'opposition libyenne a indiqué qu'elle n'exigeait pas des excuses, mais des explications et une meilleure communication avec la coalition. «Nous estimons qu'il s'agit d'une frappe fratricide, menée par l'Otan par erreur», selon le chef d'état-major des insurgés, le général Abdelfatah Younès. D'après un témoin, les avions de l'Otan ont ouvert le feu, deux fois en direction d'un char et l'ont fait exploser. Des avions ont également survolé jeudi Tripoli où des explosions ont été entendues dans la banlieue-est de Salaheddine.

Combats à Ajdabyia, Misrata assiégée

Hier vendredi, les troupes loyalistes à Mouammar Kadhafi ont tiré six obus sur l'entrée ouest d'Ajdabiya, forçant les insurgés à se replier dans le centre de cette ville de l'est de la Libye. Vendredi, Ajdabiya était toujours contrôlée par les insurgés, selon des journalistes de l'AFP. Mais la veille déjà, des rumeurs d'une attaque imminente des troupes régulières avaient provoqué la fuite de milliers de civils et d'opposants armés en direction du fief des insurgés à Benghazi, à 160 km plus au nord. Par ailleurs, la communauté internationale se mobilisait pour aider les habitants de Misrata, assiégée par les forces loyalistes, depuis plus d'un mois. Emboîtant le pas à l'Otan, qui a fait de Misrata sa «priorité numéro une», l'Onu a appelé à une cessation des hostilités autour de la ville. «La situation sur le terrain est critique pour un grand nombre de personnes qui ont un besoin immédiat de nourriture, d'eau potable et d'aide médicale d'urgence». «La possibilité de quitter la ville est désormais une question de vie ou de mort». L'Otan avait promis de «tout faire pour protéger les civils de Misrata», conformément au mandat de l'Onu, mais souligné que le régime de Kadhafi utilisait des boucliers humains, rendant les frappes aériennes délicates. Pour soulager la population, Misrata va pouvoir être ravitaillée par la mer par les insurgés, au départ de Benghazi, à 260 milles nautiques (480 km) plus à l'est, a annoncé le ministre français de la Défense Gérard Longuet. «Précédemment, la lecture de l'embargo était qu'aucun bateau ne pouvait alimenter aucune ville». Dans le port militaire de Benghazi, tenu par les insurgés, deux bateaux de pêche et un remorqueur attendaient jeudi que la houle se calme pour repartir vers Misrata. En fait, des appels à l'aide internationale avaient été lancés depuis quelques semaines, par les insurgés et les humanitaires pour soulager les quelque 300.000 habitants de cette ville, dont plusieurs centaines ont été tués ou blessés au cours des combats. Le chef militaire des insurgés, le général Abdel Fattah Younès, avait accusé mardi l'Alliance atlantique de «laisser mourir les habitants de Misrata». «À Misrata comme dans d'autres villes, les forces de Kadhafi dissimulent leurs blindés, selon un expert militaire américain. L'armée régulière libyenne se déplace désormais dans des voitures civiles. Elle s'abrite aussi derrière des boucliers humains. Depuis le ciel de Misrata, les pilotes de l'opération «Protecteur unifié» doivent frapper des cibles plus difficiles à discerner que sur une grande route côtière. Selon des experts militaires et des analystes politiques, le risque d'un enlisement est devenu patent en Libye, notamment du fait des limites fixées à l'intervention de l'Otan, de la désorganisation des insurgés mal armés et de la résistance du régime de Mouammar Kadhafi. Le colonel Burckhard, porte-parole de l'état-major des armées françaises, a reconnu jeudi que la situation était «complexe», les forces pro-Kadhafi ayant «modifié leur mode d'action» en réponse aux frappes de la coalition. Le général américain Carter Ham a estimé, de son côté, peu probable que les rebelles parviennent à lancer un assaut sur Tripoli pour renverser Kadhafi. Le chef de la diplomatie française, Alain Juppé, se dit néanmoins convaincu que «la question aujourd'hui est de savoir dans quelles conditions Kadhafi va partir et non pas comment il va pouvoir se maintenir au pouvoir». De son côté, l'Otan a réfuté vendredi l'idée qu'il y a une impasse politique ou militaire en Libye. «Bien au contraire, la communauté internationale avance pour trouver une solution politique», a déclaré à la presse sa porte-parole Oana Lungescu. «Nous savons qu'il ne peut y avoir de solution purement militaire», a-t-elle ajouté.

Lettre de Kadhafi à Obama

La transition en Libye devrait être au cœur de la réunion du groupe de contact, mercredi prochain au Qatar. Dès jeudi soir, le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, élaborait une «feuille de route». L'analyse d'Alain Juppé a été confortée par l'annonce d'une nouvelle défection, celle de l'ancien ministre libyen de l'Énergie Omar Fathi Ben Shatwan. Par ailleurs, la Maison Blanche a exigé mercredi, de Mouammar Kadhafi des actes après avoir reçu une lettre de sa main, suite au retrait des avions américains de combat en Libye. «Une trêve est suspendue à des actes et à une fin des violences et non à des mots», a souligné le porte-parole de la Maison Blanche. Dans cette lettre de trois pages, écrite dans un anglais parfois approximatif, le colonel Kadhafi demande à Barack Obama l'arrêt de la campagne de l'Otan, selon une source gouvernementale américaine. Le dirigeant libyen exhorte son homologue, qu'il surnomme «notre fils», à mettre fin à «une guerre injuste contre la petite population d'un pays en développement». «Vous êtes un homme qui a suffisamment de courage pour annuler une action injuste et menée à tort», ajoute-t-il. «Je suis certain que vous êtes capable d'endosser cette responsabilité». Le Guide libyen, qui souhaite bonne chance à Obama pour sa réélection en 2012, affirme que la Libye a «plus souffert moralement que physiquement» des frappes. Il estime également que la démocratie ne peut être bâtie par les missiles et les avions, et réaffirme que les rebelles sont pilotés par Al-Qaida. Visiblement, Mouammar Kadhafi cherche une porte de sortie politique honorable, même si, au fond, lui et ses fils s'accrochent toujours au pouvoir. Le gouvernement libyen a même affirmé qu'il était prêt à négocier toute forme de réforme politique, mais exclut le départ du Guide de la «Révolution».