Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Hommage à Abdelkader Ould Kadi

par I. Arab

Subrepticement, comme à ton habitude, presque sans crier gare - à peine nous as-tu laissé le temps d'envisager un instant, sans trop y croire d'ailleurs, l'irréparable comme une funeste possibilité -, tu décidas de t'en aller. De te retirer de ce monde corrodé par l'ingratitude et l'indifférence des hommes. Pour ne déranger ni la file d'attente qui bouffe, insouciante, ses heures et ses jours, ni les disparus pris dans les nasses de l'inconnu, tu es parti sur la pointe des pieds sans faire de bruit. Tu es parti en solitaire explorer l'ailleurs, l'au-delà. Cela fait neuf ans, une éternité tantôt, tantôt l'instant d'avant, que ton cœur, pourtant si costaud, si grand pour avoir eu à supporter l'insupportable, le dénuement, les misères du monde, la froideur des caches, des masures, la vanité des sots, leurs viles suffisances, les angoisses du doute?, et à étreindre frénétiquement, passionnément, toutes les espérances, des plus simples aux plus folles, a décidé de décrocher. La maladie, insidieuse, fourbe, a eu raison de ce cœur, de toi et de nous tous. Depuis, Kader, tu nous manques terriblement, affreusement. Tu manques à tes proches, à tes amis, à tes compagnons. Tu manques à ta ville qui, depuis, s'est dépeuplée. Ta frêle mais altière silhouette qui a cessé d'arpenter ses rues hante ses lieux combien familiers. Les cafés où tu aimais tant deviser avec tes amis d'un jour ou tes amis de toujours. Miramar, ce quartier où tu déambulais. Es-Seddikia où tu te réveillais à tous les petits matins. Le Plateau et tous ces espaces ouverts sur la vie, ouverts à la vie. Ces espaces de la cité où laborieusement tu préparais demain.

Kader, depuis ce maudit avril 2002, nous avons - la vie est ainsi faite, n'est-ce pas ? - appris à vivre sans toi ou plutôt désappris à vivre avec toi. Non pas qu'on t'ait oublié, mais? tu sais, habiter l'absence ne facilite pas les choses ! On finit forcément par ne plus faire attention. Par se laisser prendre aux pièges d'une routine crasse drapée des solennités dérisoires des vrais-fausses urgences. C'est vrai, on s'est assoupi un peu. Heureusement qu'il y a ce bruit sourd de l'absence pour nous rappeler, le temps d'une évocation, à la plus facile de nos obligations, la moins coûteuse aussi. Au plus sommaire de nos devoirs, le devoir de mémoire. Ne pas oublier ! Ne pas t'oublier !

Ciao ! Et à plus, l'ami !