Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Affaire STH-Sonatrach Du «gré à gré» à la barre

par Houari Saaïdia

Palais de justice d'Oran. Jeudi 16 décembre 2010. Il est 1 heure passée. D'une porte latérale, ressurgissent le président de la cour et ses deux conseillers. D'une voix émoussée, le juge annonce la mise en délibéré du verdict sous huitaine. La sentence de l'affaire STH-Sonatrach sera rendue le mercredi 22 décembre. Les accusés sont reconduits à la geôle.

 La salle se vide en une poignée de secondes. Quatorze heures auparavant, vers 11 heures. Le couloir des pas perdus attenant à la salle d'audience du pénal (communément appelée chambre d'appel) grouille de monde. Sur les visages des proches des cinq ex-cadres de STH, incarcérés il y a aujourd'hui une année, se lit l'inquiétude. Epais porte-documents sous le bras, les avocats sont sur le pied de guerre. L'impatience est générale. La décision du président d'audience de statuer sur ce gros dossier en dernier y est pour beaucoup?

 L'affaire est enfin appelée. «Faites entrer les accusés !» Le hasard fait bien les choses, les cinq prévenus entrent dans le prétoire en respectant leur (ancien) ordre hiérarchique : le PDG en premier, suivi par le directeur régional (DR), puis le DG adjoint et directeur de l'administration générale (DAG), ensuite le directeur technique et du développement et enfin le cadre du département juridique. Le président fait l'appel. Deux absents parmi les dix témoins convoqués. Les deux experts-comptables et commissaires aux comptes ne sont pas présents. Les avocats sautent sur l'occasion. En une seule voix, ils demandent le report de l'affaire. Le juge rejette la demande. Les robes noires insistent et insistent. Selon eux, sans la présence du collège des deux experts assermentés qui ont établi le rapport d'expertise sur ordre du juge d'instruction de la deuxième chambre du tribunal correctionnel d'Arzew, il ne peut y avoir un débat de fond et donc un procès juste et équitable.

 Maître Khaled Bourayou, appelé à la rescousse de l'ex-PDG de STH Mokdad Nabil suite à la condamnation de celui-ci à huit ans d'emprisonnement en première instance, met du piment dans le débat en évoquant un autre motif de report: la défaillance d'un témoin-clé, en l'occurrence Fkir Sahraoui, l'ex-directeur technique et du développement STH port d'Arzew, devenu à partir de 2007 DG adjoint chargé de l'exploitation des ports de chargement, avant d'être démis de ses fonctions par le PDG Mokdad Nabil pour insubordination. «C'est par cet homme que sont venus tous les malheurs.

 C'est lui qui est derrière toute cette histoire. Nous exigeons donc sa présence ici car nous avons beaucoup à dire à propos de cet homme», lâche Me Bourayou. Le juge: «Vous pouvez le déchirer à belles dents, mais quand votre tour de plaidoirie viendra.» Me Bourayou: «Ah çà ! Vous pouvez compter sur moi votre honneur.» Rire dans la salle.

 Finalement, le juge n'accède pas à la demande de la défense et ouvre séance tenante l'audience. Il lit, à grands traits, les faits reprochés à ces anciens responsables du management de la filiale Société de gestion et d'exploitation des terminaux marins à hydrocarbures détenue à 60% du capital par le groupe Sonatrach, poursuivis pour «passation de marchés publics contraires à la réglementation, dilapidation de deniers publics et abus de fonction». Il s'agit de quatre transactions remontant à la période 2007-2008, dont trois conclues avec des opérateurs étrangers et une avec une entreprise nationale privée, selon le mode de «gré à gré» au motif de l'urgence.

Le «gré à gré» comme mode d'urgence

La cour ouvre le premier dossier: un contrat d'achat de flexibles de chargement des navires à distance signé avec l'entreprise française Trelleborg, le dossier de loin le plus pesant. Le contrat a été signé le 27 novembre 2008 et portait sur 203 unités (47 pour le port d'Arzew, 100 pour le port de Skikda et 56 pour le port de Béjaïa) de deux types (tuyaux submersibles et tuyaux flottants) pour un coût total de 21,5 millions d'euros. Plusieurs irrégularités sont relevées par les deux experts désignés par le magistrat instructeur. Le PDG est prié de s'expliquer devant la justice. Le recours au mode du «gré à gré», il le motive par deux «impératifs». Primo, l'urgence de l'opération: «les anciens équipements étaient obsolètes et dans un état de péremption très avancé. Le prolongement de leur usage représentait non seulement une menace de graves accidents (fuite, implosion?) mais un vrai risque de catastrophe écologique à l'instar de ce qui s'est passé au golfe du Mexique il y a quelques années à cause d'un problème quasi similaire. Et puis, avec les gardes-côtes ça ne badine pas ; ils étaient toujours sur notre dos, nous épinglant au moindre incident. » Secundo, l'opportunité économique: «Au bout de deux ans après l'installation du système de chargement des navires à distance, c'est-à-dire depuis l'extérieur du port, nous avons dépassé nos objectifs de plus de 25%.»

Le juge au PDG : «Ok, je vais avec vous dans cette logique. Le code des marchés publics exige que vous lanciez un appel d'offres ouvert dès que le montant du marché dépasse les 8 millions de dinars, néanmoins la A-408 R-15 vous autorise à recourir au gré à gré sous certaines conditions explicitement définies et qui doivent être justifiées, notamment le caractère urgent de l'opération qui est une condition sine qua non. Or, entre le jour où vous avez décidé que l'ancien marché était infructueux pour manque de soumissionnaires et le jour de publication de cet acte, deux mois sont passés. Et entre la signature du contrat et le premier arrivage de quatre flexibles, six mois se sont écoulés. Mieux que tout cela, le matériel que vous avez importé en 2009 contre l'équivalent de 210 milliards de centimes est jusqu'à ce jour entreposé dans les magasins, aucun tuyau n'ayant été mis en place. Où est donc ?votre' urgence ?» Questionné un peu plus tard sur ce même point, Daoudi Mustapha, qui occupait à la période des faits le poste de directeur technique et de développement de STH, en sa qualité de signataire du contrat Trelleborg par délégation du PDG, a repris le même argument de l'urgence pour justifier le choix direct de ce partenaire, en précisant que «c'était la garde-côte qui avait tiré la sonnette d'alarme».

Ce cadre se vante à la barre d'avoir pu «rabattre le prix de la transaction de 30 à 21 millions d'euros pour cette marchandise qui était destinée exclusivement aux USA et, en outre, d'avoir imposé au fournisseur français d'inclure dans le contrat une clause relative à la formation de 23 ingénieurs algériens».

 Le juge: «Ce matériel est à ce jour stocké dans les magasins du port, faute de compétences pour l'installer. C'est bien d'avoir ajouté une clause concernant la transmission du savoir-faire, mais n'était-il pas judicieux d'ajouter une clause concernant la mise en place de l'équipement ? » Le juge apprendra, tout comme la salle d'ailleurs, que STH avait lancé par la suite un deuxième appel d'offres pour l'installation de cet équipement. Le contrat Trelleborg sera d'autant mis à l'index qu'il va s'avérer que l'entreprise Trelleborg Industrie SA, basée à Clermont-Ferrand (France), filiale du suédois Trellebord AB, a été condamnée par la justice américaine à verser 3,5 millions de dollars pour entente illicite, corruption et trucage d'appel d'offres concernant la vente de matériel maritime. Interrogés, les responsables de STH qui ont choisi ce partenaire, disent n'avoir appris cette histoire de condamnation que dans le bureau du juge d'instruction. Le juge leur répliquera qu'il suffisait de demander lors des démarches le certificat de conformité.

 La cour passe au second dossier: la transaction des barrières de sécurité et des bornes escamotables, conclue avec le français DBT-Sas par gré à gré après une consultation restreinte sur une «short-list». Pour renforcer la sécurité de ses installations au niveau des accès portuaires, STH avait besoin réellement de 6 bornes escamotables et 7 barrières fixes. Cependant, le contrat passé avec DBT-Sas France, le 29 décembre 2009, a porté sur une quantité «excessivement plus importante», à savoir 275 bornes et 6 barrières, pour un montant total de 6,1 millions d'euros. Ce contrat a été signé le 29 mars 2009 mais les barrières n'ont pas été mises en place jusqu'à ce jour car leur situation douanière au niveau du port de Béjaïa n'a pas été régularisée. Pour justifier le raccourci du gré à gré pour s'équiper en ces barrières, l'ex-DR, Khiat Amar, a apporté la même version que ses coaccusés : «Des directives strictes de la 2ème Région militaire pour sécuriser au plus vite tous les accès des ports d'Arzew et de Bethioua pour prévenir des menaces dans le cadre d'une alerte contre un attentat kamikaze par camion semi-remorque.»

 S'ensuit le contrat «Ernest & Young», projet visant à équiper STH port d'Arzew d'un programme de sécurité technologique, qui a coûté près de 500.000 euros. Là, les deux experts ont relevé que l'équipe de travail «Ernest & Young» qui a exécuté la mission à Arzew, composée de quatre cadres, a perçu des rémunérations calculées sur la base de 55 jours travaillés alors qu'elle n'en a fait réellement que 27. Quand on sait que les quatre missionnaires étrangers touchaient entre 1.190 et 2.200 euros/jour !... Le quatrième et dernier marché concerne un projet de réhabilitation et de dépollution de six bassins de la station de déballastage 3 du port d'Arzew, confié par gré à gré à une entreprise nationale privée appelée Enecto, pour un montant de 7 milliards de centimes. Le ministère public a plaidé pour un alignement des sanctions, requérant une peine de 8 ans de détention contre les cinq accusés en bloc.