Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Chlef, 30 ans après le 10 octobre 1980, où en est-on ?

par Mohamed Ghriss

Suite et fin

Interrogations citoyennes et imbroglio

Cette situation d'ambiguïtés a vite fait de laisser place, chez les citoyens concernés, à de grandes inquiétudes se posant toutes sortes de questions, comme celle portant sur les opérations d'éradication de l'habitat vétuste et à quel coût? Ou s'interrogeant encore sur la non prise en compte, apparemment par les autorités, des propositions avancées du mouvement associatif au nom des sinistrés, tous se demandant «que sont-elles devenues?» Un cheikh se répétant avec amertume «comme si de rien ne s'était passé, dirait-on, mais qui écoutera nos doléances à la fin?» Cet avis est en tout cas partagé par ceux qui ne disposent pas de moyens conséquents à même de leur permettre de répondre aux prescriptions des nouvelles formes procédurales pour la reconstruction de leur habitat.

 C'est ce qui semble expliquer, en somme, le refus de la majorité de la population chélifienne concernée par cette entreprise procédurale vouée d'avance à l'échec, affirme-t-on. A titre d'exemple, jusqu'à présent sur les quelques 18. 000 dossiers des locataires de baraques concernés moins d'un millier ont été traités. Cela concerne, bien entendu ceux qui ont les possibilités d'engager les opérations de reconstruction de leurs baraques. Mais qu'en sera- t-il de ceux, majoritaires à faibles revenus, qui considèrent que l'octroi des 70 millions de centimes sont largement insuffisants pour rebâtir leurs logis?

Un citoyen évoque son cas concret: «J'ai déposé mon bilan estimatif de reconstruction au service de l'urbanisme de l'APC de Chlef pour l'obtention du permis de construire, mais à ma grande surprise mon dossier est vite rejeté! La raison invoquée est que l'estimation financière de l'ordre de 70 millions de centimes mentionnée est insuffisante, me déclare-t-on! Mais c'est vous, les autorités qui avaient fixé l'attribution de cette somme que vous jugez à présent insuffisante pour vous et suffisante pour nous?», a répliqué notre bonhomme, mais en vain. Car ce citoyen a été obligé de présenter un autre bilan estimatif, le rehaussant cette fois au montant de 150 millions de centimes, ce qui lui a permis de se faire délivrer le fameux document l'autorisant à construire! C'est comme dirait l'autre le « Hallal alayna, Haram aleykom!»( le permis pour nous le non permis pour vous»).

Reflétant en quelque sorte le bon sens commun, un autre citoyen évoque, à propos de l'octroi de cette somme de 70 millions de centimes pour la reconstruction d'un habitat décent, ces propos teintés d'ironiques : «Considérez le cas d'un travailleur qui était âgé de 30 ans en octobre 1980 lors du tragique séisme de la défunte El Asnam, il est âgé à présent en octobre 2010 de 60 ans et se trouve donc dans situation de retraité avec une pension valorisée disons de 22 000 dinars. En recourant à la CNEP pour emprunter, en vue de compléter les 70 millions octroyés pour la reconstruction de son habitat familial on lui retiendra automatiquement le 1/3 sur ce qu'il perçoit.

 En fin de compte combien lui reste-t-il pour nourrir sa famille, couvrir ses frais additifs de reconstruction sans parler des dettes de remboursement qui s'accumuleraient au fil des ans, tenant compte des 2°/° d'intérêts exigés, cela si jamais Le Généreux Bon Dieu lui prête longue vie ?»(«ya mèn ?a'ach» ?)

 D'autres cas peuvent être cités, mais pas besoin d'une énumération de ces pénibles situations citoyennes endurées par des chefs de famille, pour faire cas de la situation de plus en plus inquiétante ayant trait au devenir de leur progéniture, et qui interpelle les hautes autorités du pays pour reconsidérer l'octroi de cette aide insuffisante de 70 millions. Cette dernière, curieusement, semble pareille à celle de la mesure d'aide attribuée aux résidents des zones rurales dans le cadre de l'encouragement du secteur agricole ?alors qu'il s'agit dans le cas des sinistrés du séisme de Chlef de la reconstruction de logis en secteur citadin , en souffrance depuis des lustres, et nécessitant des équipements et aménagements architecturaux en concordance avec les normes urbanistiques et socio- environnementaux modernes, en jonction avec la voierie, les annexes socio-éducatifs, culturels, sanitaires, commerciaux, etc. Et ce pour que la population chélifienne, lasse d'attendre depuis plus de 30 années d'endurances, puisse enfin résider dans des conditions décentes d'habitat convenables, à l'abri des conséquences des intempéries, et notamment des maladies résultant de l'amiante, et autres découlant de cet environnement cauchemardesque des cités - dortoirs environnées partout de conditions hygiéniques et sanitaires désastreuses.

Une situation sanitaire alarmante

 A ce propos, ce n'est pas un hasard, avance-t-on, si Chlef est devenue la première Wilaya en Algérie frappée de plein fouet par les maladies respiratoires et allergiques, avec notamment ce diagnostic fréquent du cancer pulmonaire alarmant (en raison de la présence de l'amiante maintes fois signalée dans les cités en préfabriqué, élément nocif dû à la vétusté des baraques). Et d'aucuns de rappeler, comme M. Hocine Boghari, qui déclare à ce propos :»face à cette menace planant sur la santé des citoyens, les autorités avaient fait part, auparavant, de la nécessité d'un centre anti-cancer régional. Ce centre préventif censé pouvoir contribuer à alléger les peines des souffrants atteints par ce mal contraignant n'a pas vu le jour pour autant, le projet ayant été, semble-t-il, abandonné par les instances sanitaires et autoritaires locales qui ont opté pour son remplacement par un service intégré- annexe à l'hôpital de Chlef, les raisons de ce choix demeurant naturellement inconnus pour le citoyen. Ce qui n'a pas manqué de susciter moult interrogations au sein de la population, notamment parmi les malades souffrant de cette affection, se chiffrant par centaines de cancéreux dans la région, et qui se voient constamment obligés d'aller suivre des traitements palliatifs à Blida, ou à Alger, quand ils ont la possibilité d'y accéder, ces centres anti- cancer étant fréquemment saturés». Et toujours selon M. Hocine Boghari , «Ce projet de Centre Anti Cancer (C.AC) a été évoqué en 2008 par le ministre de la santé, avec choix désigné du terrain, juste à coté du nouvel hôpital à Hay Bensouna qui devait constituer avec cet établissement un ensemble de soins spécialisés pour toute la partie centre - ouest du pays en vue de devenir un C.H.U, avec notamment la création d'une faculté du médecine, mais a malheureusement été, encore une fois, «ajourné» ou annulé par les autorités qui en ont décidé autrement.» (fin de citation)

D'une manière générale, en l'absence d'une volonté d'engagement sans faille de la part de l'administration locale, la situation caractéristique de Chlef en proie à mille et un maux, ira en s'accentuant d'année en année. Comme cela a été donné de le voir avec maints faits et situations déplorables en attente toujours de solutions radicales pour mettre un terme aux calamités endurées quotidiennement par cette grande cité de baraques moisissantes. Certains sites dans un état vétuste avancé (d'intérieur autant que d'extérieur) offrent un sinistre spectacle de délabrements, d'environnements marécageux, où prolifèrent les rats, les insectes, etc.), une dégradation ayant atteint un tel point qu'une ancienne figure politique de l'Etat Algérien en visite sur les lieux avait qualifié la zone de ?« plus grand bidonville du pays !». C'est que depuis le séisme de 1980, le très lourd fardeau de pénibles conséquences vécues par les Chélifiens, tout au long de 30 longues et pénibles années, a profondément modifié l'écosystème de la région, avec un impact négatif aussi bien sur l'environnement que sur ses habitants, durablement marqués dans leurs corps et âmes.

L'espoir en un nouveau cadre de vie, malgré tout

 Cependant, en dépit des multiples embûches et aléas de la vie quotidienne dans les sites ou à travers les recoins éparpillés de Chlef éclatée en divers «faubourgs» sur un rayon de 40 km 2 faisant d'elle l'une des plus grandes superficies banlieusardes du pays - avec pour conséquence d'énormes et excellents terrains agricoles «bouffés»par la faute des précipitations de planificateurs zélés dont l'urgence des plans de reconstruction n'excuse pas les monumentales erreurs commises, - les Chélifiens gardent toutefois l'espoir en un cadre de vie meilleur, dans un proche avenir Inchallah! Cela est perceptible parmi ceux qui se disent enthousiasmés par la perspective des plans de renouveau de la ville de Chlef, qui, de par sa situation géostratégique favorisante, (contrée Centre ?Ouest située à mi-distance entre Alger et Oran), est mis en avant en vue de devenir un grand carrefour économique du pays.

 C'est à espérer grandement, pour que la ville puisse pleinement jouer son rôle dans l'économie de la région et du pays. Chlef saura alors mieux rendre hommage, à chaque commémoration, par delà les temps, à ses chers disparus et aussi aux Algériens qui s'étaient d'emblée manifestés lors de la tragédie pour porter secours à sa population sinistrée. Car le 10 octobre 1980 ce fut aussi un acte de solidarité nationale d'une ampleur absolument rarissime dans le monde, témoin en sont les archives et les avis d'observateurs étrangers.

Cela ne s'oubliera jamais, comme se doit de se le rappeler périodiquement le devoir de mémoire envers les morts. Que Le Tout Puissant Miséricordieux, le Grand «Rahmane» ait pitié des victimes de ces calamités et Puisse-t- Il guider les pas de tous celles et ceux qui se sont fait un devoir de veiller, de près ou de loin, sur le devenir dans la bonne voie de la contrée de Chlef ressuscitée et engagée de plus belle dans la voie de sa juste et convenable reconstruction. Afin qu'elle puisse, à nouveau, retrouver son franc sourire, dans un environnement fait de fraternité concitoyenne, de justice sociale et de tolérance, ouvert à tous les esprits épris de paix, de liberté et de libre communication émancipatrice des êtres . Il y va du devenir de ces fragiles enfants «pataugeant» dans ces sites d'habitats inappropriés, avec cet air totalement insouciant de leur sort mais aux regards radieux si innocents que ce serait un crime, pour quiconque, de négliger leur avenir et leur épanouissement dans un cadre environnemental favorable au même titre que celui de tous les autres enfants du pays.