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Le crime parfait

par Abed Charef

Le crime parfait n'existe pas, mais le coup d'état parfait existe. Il exige un scénario assez sophistiqué, mais classique. Il lui faut d'abord un pouvoir en place incompétent et relativement impopulaire. Le renverser apparaît alors comme une mesure de salubrité publique, un acte allant naturellement dans le sens de l'histoire. Le succès du coup d'état provoque un immense soulagement. C'est la réalisation d'une aspiration populaire que le pouvoir en place voulait à tout prix empêcher. Comment n'y a-t-on pas pensé plus tôt ? Pour remplacer le pouvoir finissant, il est nécessaire d'avoir des personnalités populaires, ayant une bonne image et dotées d'une certaine crédibilité. Au besoin, cette crédibilité se fabrique grâce au pouvoir des médias, dont le rôle est essentiel pour le succès de l'opération. Ils se chargent notamment de créer les symboles qui facilitent l'opération, avec des références primaires : le pouvoir finissant doit incarner le Mal, et le nouveau pouvoir sera le Bien. Les conditions doivent être réunies pour que l'exécution du coup d'état bénéficie d'un fort soutien populaire. Cela passe par la création d'une attente au sein de la population. La rue doit penser que le coup d'état est l'accomplissement de ses vœux, non un putsch organisé par d'autres groupes agissant pour d'autres intérêts. Cette attente peut être réelle. Mais si elle ne l'est pas, des faiseurs d'opinion, omniprésents dans les médias, vont la créer. Nicolae Ceausescu a eu l'honneur d'être la première victime de ce type de coup d'état. Mais depuis, la recette a été sensiblement améliorée. Le coup d'état a lieu désormais dans la liesse, sans effusion de sang, avec des fleurs si possible. Et en direct sur les plateaux de télévision. Ce fut le cas avec les révolutions colorées, comme cette célèbre révolution orange en Ukraine. D'autres expériences ont suivi, mais la recette est la même. En football, les ingrédients de ce coup d'état parfait ont été réunis en France lors de la Coupe du Monde. Il y avait, d'un côté, un pouvoir en place représenté par un entraîneur incompétent, détesté, avec un bilan calamiteux : Raymond Domenech. Cet homme avait réussi à mener les finalistes de la Coupe du Monde 2006 à l'anarchie, au désordre et à la défaite. Il s'appuyait sur une personnalité archaïque, un homme d'un autre temps, un amateur, Jean-Pierre Escalette, président de la fédération française de football, alors que le football moderne est une affaire de professionnels, riches et compétents. Face à ces archaïsmes, il y avait les champions du monde 1998, jeunes, beaux, médiatiques. Ils ont la légitimité, comme les anciens maquisards, ils ont d'extraordinaires réseaux de complicités dans les médias. Ils ont l'argent. Ils sont crédibles. Ils ont un palmarès. Et ils ont un appétit de pouvoir énorme. Domenech est le Ceausescu du football français. Il est indéfendable. Personne ne dira qu'il a été finaliste d'une Coupe du Monde jouée à l'étranger, qu'il a perdu aux penalties et qu'il l'aurait probablement gagnée si la compétition avait été organisée en France. En face de lui, il y a Laurent Blanc, une sorte de messie du football. Champion du monde, surnommé «le président» : il était prédestiné pour le poste. Tous les chroniqueurs l'adorent. Particulièrement ses amis de 1998 qui se sont recyclés dans les médias. De plus, il n'a que des qualités. A peine a-t-il abandonné son équipe de Bordeaux cette saison, et a-t-il montré envers les journalistes un comportement qui rappelle étrangement celui de Domenech. Derrière lui, il y a aussi les puissants clubs de football, ceux qui considèrent le foot comme une affaire de sous avant d'être une compétition sportive. Ceux qui évaluent une élimination en millions d'euros et non en émotion. Ceux-ci voulaient plus de pouvoir, et ils ont fini par l'obtenir. Le footballeur du dimanche, lui, a applaudi le changement. Il a applaudi une opération qui va améliorer le revenu de joueurs qui touchent cinq millions d'euros par an. Il est heureux de voir la fin d'un système qui lui garantissait un stade municipal où s'amuser, une petite subvention pour s'équiper, ainsi que la possibilité pour lui et ses enfants de pratiquer du sport dans des conditions décentes. Le coup d'état est si réussi que ses premières victimes ont été convaincues d'avoir remporté une immense victoire. C'est le coup d'état parfait.