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Oran, ville ou grand douar ?

par Benkoula Sidi Mohamed El Habib *

«Aujourd'hui, c'est le cancer urbain. [Oran comme Alger] est malade, non pas urbanisée mais scrofulée, chancrée, parasitée, sans qu'aucun ordre, aucune hiérarchie, aucune structure ne donnent un minimum d'urbanité à ces milliers de constructions». En effet, tout le monde constate le laisser-aller et la très mauvaise gestion auxquels est livrée notre ville.

Une pluie de deux heures, à peine forte, a paralysé Oran.Les banques ne fonctionnaient plus, les trémies ont été inondées, les routes ont offert un paysage macabre et les trottoirs ! Les trottoirs, n'en parlons pas. Aucun coin d'Oran n'échappe à l'état instauré, celui de l'anarchie, de l'abandon et de la saleté.

 Les architectes ainsi qu'une bonne partie de la population locale ont confirmé la règle, il n'y a pas d'urbanisme à Oran, et que la ville a entériné son statut de grand douar d'Oran, livré à lui-même à la manière des bidonvilles.

 Des projets d'envergure ont succombé. D'anciens quartiers comme Les Castors ont connu le spectre du chavirement des eaux. Mais ce qui s'est produit de plus grave, en espérant que les pluies ne reviennent pas de sitôt, est le fait général que les Oranais ont constaté que tous les projets d'Etat réalisés, des infrastructures aux équipements ne sont pas fiables. Cela confirme ce que nous avons toujours dit : nos responsables n'assument pas leurs responsabilités. Et que cela a mené à des situations qui sont devenues insupportables pour les citoyens.



Oran, prête ou pas pour le GNL16

 

 Dès lors, une grande question s'impose : est-ce que notre douar d'Oran sera prêt pour l'événement fatal ? Le GNL16 au cours duquel, semble-t-il, selon un député de l'APW, notre ville doit accueillir plus de 5.000 invités. C'est-à-dire l'occasion de provoquer un énorme embouteillage de la circulation, un éminent blocage de la vie économique de la ville et, surtout, de montrer aux étrangers l'état honteux auquel Oran a été réduite.

 Bien sûr, nous nous sommes habitués à nos responsables qui nous disent «nous ne sommes pas responsables de cette situation, nous ne faisons qu'appliquer ce que nos hauts responsables nous imposent».

 Ce qui est certain, c'est qu'il nous a fallu un demi-siècle d'indépendance pour gâcher le prestige de notre ville. Alors que faut-il faire : regretter notre indépendance qui a produit cet échec flagrant, ou regretter le temps d'une ville que nous, les moins de cinquante ans, n'avons pas connu ? Hier encore, Oran était l'une des plus belles villes du monde, aujourd'hui, elle est l'une des plus crasseuses.

 Mais c'est la faute à qui ? A tout le monde, pour ne désigner personne. Parce que chez nous, l'on ne veut pas être responsable même si l'on est responsable dans le système qui nous monte dans la tête.

L'anarchie fait bien sa route dans notre ville, et malgré cela, on veut exposer ses tares devant les responsables du monde, dans un Palais des Congrès qui fait déjà polémique et que les Oranais n'aiment pas. Parce qu'il leur rappelle un mensonge qu'on veut faire à leur nom. « Que nous apporte-t-il ce GNL16 ? Un meilleur prix de l'or noir, pour un niveau de vie qui ne fait que se détériorer... ». C'est ce constat que tous les citoyens font tous les jours et que nos députés qui ont multiplié leurs salaires ne veulent pas entendre.

 L'urbanisme, ce sont toutes ces questions, il doit tenir compte de toutes les conditions, sociales, culturelles, politiques, artistiques devant permettre à une ville de se développer harmonieusement. Il ne faut pas sortir de Saint-Cyr pour se rendre compte qu'un projet de la ville n'existe pas à Oran, que tous les projets mis en place ne sont pas remarquables, ou que leur réalisation est globalement mal ou pas du tout gérée. Beaucoup d'Oranais ont honte de ce qu'Oran est devenue, nous avons même entendu certains qui n'hésitent pas à dire qu'ils regrettent carrément d'être Algériens. Faut-il taire par la force cette réalité devant nos dirigeants et faire semblant comme si de rien n'était pour faire plaisir à leur égo autoritaire jusqu'au temps de la grande implosion sociale ?

 Si nous pouvons éviter à notre ville, à nos villes ce type de schéma, nous avons tout intérêt à agir, mais surtout à bien agir le plus rapidement possible.



Résolutions à prendre



Ainsi donc, parmi les premières résolutions à prendre, est celle de déplacer l'événement du GNL16 à Alger. Ce n'est pas parce qu'Alger est dans un meilleur état, mais parce qu'Oran, vu l'état gravissime dans lequel elle est, ne mérite même pas son statut de ville, et nous ne voudrions pas montrer cette situation d'abandon, d'inaptitude à gérer l'urbain qu'elle connait aux responsables du monde. Evitons-nous donc les scandales et implorons Dieu pour qu'ils n'y aient pas d'autres pluies qui détruiraient le reste de ce que l'Etat a édifié récemment. La deuxième résolution à prendre est celle de cesser d'agir par la logique de la priorité. Il faut trouver le moyen d'équilibrer le développement de la ville, de manière à ce qu'aucune partie ne soit plus importante ou moins importante que ces voisines. Cela signifie l'acceptation de l'idée que chaque partie de la ville a son histoire, donc elle est importante, et qu'elle mérite un plan d'action. Celui-ci doit être accompagné par des politiques de concertation, de consultation intensive auprès des spécialistes de la ville, et établi dans la transparence totale. Dans ce type de démarche, le travail de publicité, comme d'établir des affichages partout qui montre ce que les acteurs politico-administratifs comptent faire, est vital. Nos autorités censées être compétentes en la matière ne font jamais ce type de démarche. Troisième résolution est plutôt politico-politique. Il s'agit de mettre nos responsables devant leurs responsabilités à l'échelle nationale et locale. C'est-à-dire qu'ils doivent les assumer en démissionnant par exemple, notamment lorsque le terrain d'action ne s'améliore pas. Nous savons tous que la logique des réseaux d'amitié et des intérêts arrangés prend le dessus sur la logique des compétences et de la sensibilité au faire. Il est certain que tant que nous n'avons pas interrompu ce mode de dysfonctionnement dans l'appareil politico-administratif pour le remplacer par un mode de fonctionnement qui impulse les individualités créatives, nous ne pourrons pas mettre un pied dans la sphère du véritable développement.



* Architecte - Docteur en urbanisme, Maître de conférences B

Nous reprenons ces paroles de DELLUZ (Jean-Jacques), Alger chronique urbaine,

Editions Bouchene, Paris, 2001, p.7. (architecte-docteur en urbanisme, maître de conférences B)