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Oran : 15 ans de prison requis contre un avocat pour trafic de drogue

par Houari Saaïdia

Le tribunal correctionnel d'Oran avait à statuer hier sur une affaire de kif pour le moins «embrouillée». La singularité de ce dossier tient au fait que parmi les présumés trafiquants assis au banc des accusés, un avocat. Un avocat connu dans le cercle du barreau d'Oran comme «spécialiste» dans les affaires de stupéfiants. B.M.R., 36 ans, qui prêta serment le 2 octobre 2002 au Palais de justice d'Oran, a retrouvé hier au prétoire des anciens clients à lui, des repris de justice. Mais il était là, avec eux, côte à côte, non pas pour les défendre, cette fois-ci, mais pour assurer son autodéfense. Avec ces trois personnes, dont son cousin B.F., la trentaine lui aussi, il comparaissait pour répondre des chefs d'accusation de «détention et commercialisation de stupéfiants». Tête baissée, mains derrière le dos, tout au long du procès, sauf quand il devait répondre aux questions de la juge Mme Gharbi, B.M.R. clamait haut et fort son innocence. Les deux avocats qui le défendaient, dont maître Zahdour, ont crié au complot ourdi contre leur mandant et confrère. Genèse de l'affaire. Le 20 décembre 2008, B.F., un cousin de l'avocat mis en cause, est intercepté à bord d'une moto par la police à Haï Ibn Sina (ex-Victor Hugo), à Oran. Trois plaques de résine de cannabis, de 100 grammes chacune, plus un morceau de 20 grammes, ont été découvertes dans une cachette pratiquée dans la motocyclette, alors conduite par un copain de B.F., selon l'acte d'accusation. Les deux hommes sont arrêtés. Un troisième, celui à qui la livraison était destinée (à Canastel), selon l'enquête préliminaire, sera appréhendé à son tour. La perquisition dans le domicile de B.F., sis Haï Ibn Sina, a permis aux enquêteurs de saisir une autre quantité de kif, qui était dissimulée dans les toilettes. Au total, un kilo et demi de kif traité sera saisi chez B.F. Origine de la marchandise ? «C'est mon cousin, l'avocat B.M.R., qui me l'a donnée, c'est lui notre pourvoyeur. Moi et d'autres, nous ne sommes que des détaillants, des rabatteurs», déclare B.F., qui était «filé» par la police depuis juillet 2008 dans le cadre d'une investigation sur un réseau de trafic de drogue à Oran. S'ensuit une perquisition dans le domicile de l'avocat. Là, pas la moindre trace de stupéfiants n'est décelée. Le bilan de la perquisition aura été «négatif», et par conséquent «aucune preuve matérielle» contre l'avocat n'aura été constituée, si ce n'est ce bout de papier trouvé dans ses affaires. Un papier où figuraient des noms de dealers bien connus des services anti-stupéfiants avec des montants d'argent et, en marge de la feuille, une note «100 grammes» écrite au stylo. Cette «pièce à conviction» (le fait de considérer en tant que tel ce bout de papier, qui de plus n'a pas fait l'objet d'expertise, a suscité une forte contre-offensive de la part de la défense) sera versée au dossier. «Et la mention '100 grammes' qui était portée sur le papier, ce n'était quand même pas du sucre dont il était question !», tonne la juge en riposte aux propos de l'avocat, qui soutenait n'avoir aucun lien ni de près ni de loin avec cette histoire de kif. Pourtant, d'un autre côté, un argument de taille est à la décharge de l'avocat : le témoignage à l'audience de deux témoins. En effet, cités à la barre, deux personnes qui cohabitaient, le temps d'une présentation devant le parquet, dans la même geôle avec le cousin de l'avocat B.F. ont réaffirmé «avoir entendu ce dernier jurer par ce qu'il a de plus cher au monde qu'il allait tout faire pour enfoncer son cousin». Mobile de la vengeance ? Il est à rechercher, à en croire l'avocat, dans «le différend d'héritage opposant nos deux familles». Huit autres témoins, à décharge également, dont un avocat et sa femme. Parmi les points sur lesquels la présidente d'audience voulait jeter la lumière, les biens de l'avocat. Celui-ci, appuyé par des témoins, a souligné qu'aucun objet lui appartenant, ses deux véhicules Ford et P-607 compris, n'était un bien mal acquis. Le représentant du ministère public a requis une peine de 15 ans de prison ferme contre les quatre prévenus. Le verdict a été mis en délibéré pour la semaine prochaine.