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Un nom, un lieu: Guermaz Abdelkader, un des pionniers de la peinture algérienne moderne

par Ziad Salah

Guermaz Abdelkader, considéré par les spécialistes comme «l'aîné des fondateurs de la peinture algérienne moderne», a des chances de se départir de l'anonymat l'enveloppant dans son propre pays. Treize ans après sa disparition à Paris, un cercle d'amis portant son nom décide de faire de «2009 l'année de Guermaz». L'année en concours coïncide avec le 90ème anniversaire de sa naissance, puisqu'il vint au monde le 29 mai 1919 à Mascara. Dans le cadre des festivités programmées à cette occasion, on relève le film documentaire que Malika Laïchour Romane est en train de réaliser, où elle trace la trajectoire et l'oeuvre de l'artiste. Un DVD avec des reproductions de ses toiles sera confectionné et mis à la disposition du grand public algérien.

Le cercle des amis de Guermaz attend des institutions algériennes, françaises et allemandes qu'elles prennent des initiatives pour participer à faire connaître l'artiste. Au minimum, on s'attend à ce qu'un édifice public soit baptisé en son nom, de préférence relevant des beaux-arts ou de la culture. Dans ce sens, une plaque commémorative a été installée en 2003 en bas de l'immeuble où il avait occupé un petit appartement au quai du Louvre à Paris.

Natif de Mascara, Guermaz renonce dès l'âge de 18 ans à faire carrière et décide de s'investir dans les arts et particulièrement la peinture. Il est aussi poète et musicien. En 1937, il s'inscrira à l'école des beaux-arts d'Oran. Il est considéré comme « le premier indigène » à avoir intégré cette école. En 1940, il poursuivra ses études artistiques à Alger. Sa première exposition, qui ne passera pas inaperçue, aura lieu à la Galerie Colline à Oran. La critique réservera un accueil plus que favorable à la première parution publique du peintre. Entre les années 40 et 60, il vivra de la vente de ses toiles et de son activité journalistique puisqu'il travaillera à la République d'Oran. On ne lui connaît pas d'engagement politique. D'ailleurs, tous ceux qui ont écrit sur lui évitent volontairement de lever le voile sur cette question. Son engagement se situe sur un plan plutôt intellectuel et spirituel. Son aversion à s'inscrire dans un courant pictural ou une quelconque chapelle bien identifiée justifie sa qualification de libertaire individualiste.

Ayant consacré sa vie entière à la peinture, il produira plus de 450 toiles éparpillées chez différents collectionneurs à travers les quatre coins du monde. Certaines de ses toiles se trouvent même au Japon et en Suède. Le musée Ahmed Zabana possède au moins une intitulé « Le paysage urbain ». Les institutions culturelles algéroises en possèdent quelques-unes. Avant de quitter l'Algérie, il avait réalisé une toile pour une institution à Mostaganem.

Mais cette profusion de production ne lui a pas ouvert les portes de la richesse. Il a vécu d'une façon modeste à Paris où il s'était établi depuis le début des années 60. Pire, il a même connu une certaine forme d'isolement vers la fin de sa vie, selon plusieurs témoignages. Notamment après la fermeture de la Galerie Entremonde où il avait l'habitude d'exposer et surtout de rencontrer ses relations et ses admirateurs. Durant sa vie à Paris, il a été même contraint de réaliser des portraits pour touristes à Montmartre et au quartier Saint-Michel en échange de quelques sous. Sa richesse, qu'il avait poursuivie sa vie durant, est d'une autre nature : l'accomplissement sur le plan artistique. Ce que personne ne peut lui dénier.

Durant les années 60, il prendra part à toutes les manifestations organisées par l'UNAP. Ses toiles se sont retrouvées à côté de celles de Khadda et des autres peintres algériens qui ont connu une meilleure consécration que lui. Il a même été sollicité pour représenter la peinture algérienne dans certaines expositions collectives. Malheureusement, «l'attention ne s'est pas resserrée autour de celui qui était l'un des premiers représentants de la peinture algérienne», écrit à juste titre Michel Georges Bernard. De son vivant, la dernière fois où Guermaz exposera à Alger remonte à 1986, au Palais de la Culture, dans le cadre de «La peinture contemporaine algérienne». Soulignons que quelques-unes de ses oeuvres ont été données à voir lors de l'Année de l'Algérie en France.

Abdelkader Guermaz reste à découvrir. Ce qui explique l'importance de l'année qui lui est consacrée par le cercle de ses amis. Espérons qu'elle trouvera une bonne écoute ici en Algérie, notamment à Oran où son art a éclaté avant de mûrir ailleurs. En dehors de sa production qui demeurera de toute manière inaccessible dans sa totalité puisque éparpillée, des pans entiers de la vie de cet artiste demeurent méconnus. Il était connu notamment pour sa grande discrétion. Il s'est rarement livré à la presse, lui qui s'est donné, dans une de ses rares sorties médiatiques, le nom « d'artisan » puisqu'il confectionnait même le support qui recevait sa création.