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FMI, communication de crise et vieilles recettes: Le tsunami de la crise risque de balayer les économies africaines

par M. Saâdoune

Une rencontre économique à Dar es-Salaam devait être une opération de marketing du FMI. Le poids angoissant de la crise sur le continent africain en a changé la teneur.

Prévue de longue date, la conférence organisée par le Fonds monétaire international à Dar es-Salaam, capitale de la Tanzanie, devait être à l'origine centrée sur les perspectives de croissance et de développement du continent noir. Il s'agissait dans l'esprit de ses promoteurs d'une opération de communication destinée à modifier l'image plutôt dégradée d'une institution dont l'action africaine a été celle des plans d'ajustement structurel, c'est-à-dire la réduction des dépenses sociales et la détérioration des conditions de vie du plus grand nombre. Des cabinets spécialisés ont été mandatés pour préparer cette réunion en tentant de préciser la nature des critiques en vue d'élaborer un argumentaire destiné à mettre en valeur les vertus stabilisatrices de la démarche d'une organisation dont la philosophie économique serait en mutation sous l'impulsion de son nouveau directeur général, le social-démocrate français Dominique Strauss-Kahn.

L'actualité de la crise a relégué au second plan la thématique originelle de la réunion et c'est de « L'impact de la crise financière mondiale sur l'Afrique subsaharienne » qu'ont discuté, les 09 et 10 mars, les quelque trois cents experts réunis dans la capitale tanzanienne. Le discours du directeur général du Fonds a donné le ton. Dominique Strauss-Kahn a d'emblée situé la crise mondiale comme l'une des plus graves de l'histoire. En effet, l'effondrement de la bulle financière provoquera probablement la première récession globale depuis soixante ans, a même précisé le fonctionnaire international dans une conférence de presse tenue à l'issue de son intervention.

A la marge de l'économie mondiale, certains ont pu penser que la crise n'affecterait pas frontalement l'Afrique. D'aucuns se sont même félicités que le sous-développement économique et institutionnel était une sorte de bouclier. Las ! La crise financière a de fait touché de plein fouet les pays pleinement intégrés aux marchés financiers mondiaux. Les banques africaines ne sont pas concernées par les sinistres du marché global des créances titrisées et n'ont donc à pas subir des pertes de ce fait.

 

Ralentissement de l'activité minière et fuite des capitaux



La crise frappe d'abord le continent par effet de ricochet: la crise du crédit précipite les économies développées dans la récession et la demande mondiale de matières premières chute verticalement. Les pays pétroliers ne sont pas les seuls à pâtir directement de cette situation. L'activité minière au Congo-Kinshasa et dans l'ensemble de la sous-région australe est, sinon à l'arrêt, du moins en très net ralentissement. La deuxième manifestation de la crise se traduit par la fuite des capitaux, des pays comme le Nigeria, le Ghana ou l'Afrique du Sud sont victimes de ce phénomène et tentent comme ils le peuvent de juguler ce qui, la crise mondiale s'aggravant, pourrait se transformer en hémorragie. La troisième conséquence est le tarissement, ou au moins la très nette réduction, de l'aide publique au développement concédée par des bailleurs de fonds aux capacités amoindries.

Le tableau très sombre peint par le responsable du FMI confirme les analyses de nombreux experts africains, algériens compris, qui ont observé et évalué les signes avant-coureurs de la crise et ses implications africaines. Si dans les pays développés la récession débouchera certainement sur la précarisation des couches plus fragiles, en Afrique la dégradation des conditions socioéconomiques pourrait avoir des conséquences meurtrières, de la famine aux guerres.

 

Strauss-Kahn décalé



Ainsi, l'effet de ricochet, par effet cinétique, risque d'être bien plus violent sur la région du monde la moins avancée. Face à ces inquiétantes perspectives, les préconisations du directeur général du Fonds paraissent étrangement décalées au regard de la tonalité catastrophiste de son appréciation de la situation. L'économiste en chef de la cathédrale de l'ultralibéralisme a essentiellement exhorté les Africains à soutenir leurs systèmes bancaires et à contenir leurs dépenses publiques tout en demandant aux bailleurs de fonds de respecter leurs engagements. La conditionnalité centrale de l'aide du FMI demeurant le respect de l'équilibre budgétaire pour prétendre aux crédits de l'institution de Bretton Woods. Le renforcement des maigres capacités des Etats pour amortir autant que faire se peut les impacts dévastateurs de la crise qui monte n'est toujours pas à l'ordre du jour du FMI. Cette instance majeure d'expertise du libéralisme, qui s'est révélée totalement incapable d'anticiper la crise mondiale, continue ainsi un bégaiement dogmatique d'autant plus insupportable qu'il s'adresse à des populations démunies et sans recours. Le plaidoyer pro domo du directeur général du Fonds sur le succès des programmes du FMI a quelque chose de choquant quand on sait que l'amélioration relative des performances économiques africaines, juste avant la crise mais après des années de stagnation, est essentiellement due à la hausse des prix des matières premières et à l'irruption sur le continent de nouveaux partenaires, la Chine notamment, qui ont joué un rôle d'aiguillon.

Selon les prévisions du FMI, la croissance africaine chutera de 5,25% en 2008 à 2,25% en 2009, si la crise ne s'aggrave pas. Cette projection, au-delà de son inquiétante signification statistique, recèle un contenu humanitaire éminemment critique. Il est regrettable que dans des circonstances extrêmes, les théoriciens du Fonds continuent d'ânonner les mêmes recettes. Si la conférence de Dar es-Salaam avait pour but de raviver les couleurs du FMI auprès d'une opinion africaine sceptique, il n'est pas exagéré de prétendre que l'objectif reste à atteindre.