Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

«El-Melh» et «R'hamna»: Loin des yeux ...

par T. Lakhal

Difficile d'imaginer un tel isolement et une si étendue pauvreté quand tout est richesse sur les abords. El-Melh (le sel), ce petit coin perdu qui se confond avec le nom qu'il porte ne vit que pour le sel et que par le sel.



Pour s'y rendre, il faut emprunter le chemin de wilaya qui relie Sig à partir de Béthioua, puis bifurquer juste au-delà de la commune de Chehairia sur la droite, en empruntant le seul chemin qui mène aux lacs salés. Un chemin de trois kilomètres cabossé et complètement impraticable. De part et d'autres, pourtant, tout est paré de fresques dessinées par dame nature bien généreuse jusque-là. A perte de vue, en effet, la terre couleur d'ébène est revêtue d'un manteau vert rendu encore plus luxuriant par la rosée du matin ou la fine pluie de la veille. Au loin, telles des sentinelles, de vieilles fermes qu'on dit abandonnées rappellent ce que furent jadis ces endroits. Au total, 12 kilomètres parcourus depuis Béthioua pour arriver à ce qu'il ne faut même pas désigner sous le vocable de village. Les 150 maisonnettes de fortune accrochées au flanc d'une petite colline, on ne sait comment, font face aux lacs salants. Ici et là aux abords du lac, quelques bassins séparés par des digues et des monticules de sel d'une blancheur immaculée laisse deviner que dans le coin tout n'a pas disparu. Cette usine, pour l'histoire, date de la fin du 19ème siècle, elle portait le nom de Bozel et Maletra, sûrement deux associés. Ensuite, elle portera le nom de Nobel Bozel, l'un des deux précédents associés. Ce fut ensuite sous l'égide de l'ex-Sonarem que cette usine connut son heure de gloire avec les 100.000 tonnes de sel produites. Actuellement, avec moins d'employés, elle est devenue Enasel et continue à produire, vaille que vaille, le sel que l'on dit de très bonne qualité puisqu'il s'exporte même.

Hemidi a passé 42 années de sa vie dans l'usine de sel. Il y vit encore dans le logement qui a vu grandir ses enfants. Un logement fortement corrodé par l'air iodée. Il a gros sur le coeur mais n'incrimine personne. Tout comme ses voisins, qui vont l'approuver à l'unisson, il énumérera à ses hôtes un tas de problèmes. «Le premier problème des habitants, précise-t-il, c'est l'isolement, non pas à cause de la distance qui nous sépare de Béthioua, mais bien à cause de l'impraticabilité du chemin», ajoutant sur sa même lancée qu' «aucun transporteur n'ose venir travailler sur la ligne sauf pour les clandestins qui imposent leur lois. En cas d'urgence médicale, les gens font comme ils peuvent». Un jeune dira presque en criant que la seule demande qu'il fait est « que les pouvoirs publics nous tirent de cet isolement à travers le réaménagement du chemin communal dont il est question». Autre problème de taille, presque incroyable, sur les 150 foyers que compte El-Melh, 23 sont rattachés à la commune de Béthioua et tous les autres habitants dépendent de la wilaya... de Mascara, puisqu'ils sont administrativement rattachées à la commune de Alaïama qui, elle-même, dépend de Mascra, en dépit des 130 kilomètres qui les séparent. Cela s'est répercuté sur la gestion courante. Pour Mohamed, fils de Chahid, la solution réside dans la délocalisation de tous les habitants vers un autre endroit car, comme il l'admet, le nombre des habitants ne favorise pas une prise en charge réelle, puisque les pouvoirs publics se doivent d'agir en premier lieu envers les localités plus peuplées». Attendant son tour, un autre interlocuteur affirmera que l'eau se fait rare. «La bâche d'eau, la seule qui existe dans le coin ne fonctionne pas. Les canalisations qui devraient ramener l'eau à partir de Granine, distante de quelques encablures, sont défectueuses. Pour cela, les habitants sont obligés d'acheter l'eau au prix fort auprès des colporteurs.

A El-Melh les études scolaires s'arrêtent à la 4ème année moyenne, même si le transport scolaire est assuré. La seule école, qui porte le nom du chahid Bouchouicha Seddik, ne compte que 4 classes et les élèves de la 1ère année scolaire, d'après les dires des habitants, partagent les mêmes bancs que ceux de la deuxième année. Le centre de soins existe, mais ne fonctionne que partiellement. A El-Melh, il n'y a aucun commerce, ni douche, ni boulangerie, et même si l'intention des pouvoirs publics à vouloir fixer les habitants à travers la constructions de 61 logements ruraux, les jeunes et les moins jeunes ne cherchent qu'à partir pour vivre leur vie. La hantise des jeunes c'est de se voir rabrouer par les services de l'ANEM quand ils veulent se présenter pour un emploi à cause de leur résidence dans la wilaya de Mascara de par le rattachement du hameau. Tous les gens rencontrés disent vouloir partir ailleurs, si au moins ils disposaient des moyens. Pour le vieux Bouâlem, malentendant en plus, les 1.000 dinars qu'il reçoit comme pension sont là pour résumer toute la pauvreté de ces gens, rendue encore plus fragile par un isolement imposé. Ils n'incriminent pas nommément les pouvoirs publics, mais souhaitent seulement un chemin praticable, l'acheminement de l'eau potable, une école qui puisse préparer leurs enfants à un avenir meilleur. A quelques encablures de là, heureusement, il y a Béthioua, ses torches et sa zone pétrochimique qui donne du travail aux plus chanceux et de l'espoir à ceux qui le sont moins.

A quelques encablures de là, R'hamna, une autre bourgade perdue au milieu de nulle part. Là également, nature généreuse et espoir mince. Rhamna dépend de la wilaya de Mascara, les habitants en contestent le rattachement, à cause effectivement de toutes les tracasseries du déplacement pour n'importe quel dossier à fournir. Les habitants qui se targuent d'avoir vu séjourner l'Emir Abdelkader et Cheikh Mehdi Bouabdelli, qui sont venus dans les zaouïas du coin, cherchent à se rapprocher administrativement, pour des questions pratiques, de la daïra de Béthioua. «Ici, ça fait 10 années qu'aucun jeune n'a eu le bac et la plupart s'arrêtent à la 4ème AM. L'isolement est aussi intégral. «L'eau potable qui nous vient de Alaïmia ne coule dans les robinets qu'une fois tous les six mois pour une durée de 15 minutes, dira Mohamed, qui fera part pourtant de la réalisation d'un château d'eau en 1990 pour effectivement venir à bout de ce problème». «Tout naturellement l'eau est achetée comme pour les habitants d'El-Melh», rapporte notre interlocuteur. «Le chemin du cimetière est tellement impraticable qu'on est obligés de faire un long détour pour enterrer les morts», conclue ce dernier, comme pour dire que même les morts sont obligés dans un dernier effort de contourner toutes les difficultés du déplacement. Chemin du retour, il est 13 heures, ce jeudi, à l'intersection qui mène vers les marais, un groupe de jeunes écoliers riant de leurs belles dents tout en attendant l'improbable transport.

Pour ces deux localités, il faut le dire, ce n'est pas la misère la plus totale, ni l'opulence la plus ostentatoire. Mais, seulement, il y a toujours cette petite chose qui manque. Construire un habitat rural n'est pas suffisant à décourager le dépeuplement de localités superbes tant par la nature que par la quiétude qui y règne. Alors qu'on parle de réaménagement de zones humides, il suffit pour El-Melh de construire aux abords des lacs, des bancs, des aires de jeux pour que les familles venant d'Oran et d'ailleurs puissent venir dans un endroit dont ils ignorent sûrement l'existence et, surtout, de réaménager le chemin qui relie à cette bourgade, seule voie de communication.