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Le procès de Margueritte : Quand la justice dévoile la barbarie coloniale
par Kamel Rahmaoui* «L’insurrection de Margueritte a été une révolte de prolétaires persécutés et affamés, si la France laisse subsister ce régime, ou elle perdra, l’Algérie ou elle aura finalement à réprimer des insurrections encore plus terribles» (La dépêche, 09 février 1903). Le procès de Margueritte (parfois orthographié Marguerite) qui est considéré par les juristes comme un procès hors normes, sans doute unique dans l’histoire de l’occupation française de l’Algérie, demeure cependant très peu connu, alors qu’il a permis déjà en 1902 de lever le voile sur une barbarie Juridique, pire que celle usitée par les Nazis et à laquelle étaient confrontés les paysans Algériens. Le droit au service de la barbarie coloniale: l’art de ruiner les paysans Algériens Le village de Margueritte, aujourd’hui, commune de Ain Torki- Wilaya de Ain Defla, un véritable paradis touristique, portait à l’époque ce nom en hommage au général – Jean Auguste Margueritte, fut le 26 Avril 1901 le théâtre d’une révolte armée de paysans et ouvriers Algériens qui se soulevèrent contre l’ordre colonial établi et ses principaux symboles dont les grands colons. Depuis 1871, les paysans Algériens étaient soumis à une dépossession en règle de leurs terres grâce à des mécanismes juridiques complexes étrangers à notre civilisation Arabo - Musulmane, dont la licitation qui permettait la vente des terres indivises des Algériens, les réduisant ainsi à la misère ; C’est d’ailleurs cette procédure de licitation qui a permis à un grand colon, gendre du ministre de la justice , en l’occurrence MARC Djenoudet, de s’accaparer de 12000 hectares pour agrandir son domaine, ce qui a provoqué plusieurs contestations. L’Algérien n’était pas considéré comme un justiciable ordinaire, car il n’était pas soumis au code civil et sur le plan pénal il était géré par un arsenal de dispositifs disciplinaires et répressifs que contenait le code de l’indigénat, et qui faisaient fi des principes de la séparation de pouvoirs, de la légalité, de la proportion des sanctions ainsi que des droits de la défense; Dans les communes rurales, le gouverneur avait le droit de sanctionner et d’interner les Algériens pour un mulet égaré ou un troupeau qui pacageait dans les broussailles; la population rurale était de ce fait soumise à une répression féroce et massive; le code de l’indigénat interdisait le pèlerinage sans autorisation au préalable, la célébration des mariages selon nos coutumes, les réunions et même la mendicité!. C’est dans ce contexte de répression inhumaine que survient l’Affaire de Margueritte qui allait lever le voile sur la barbarie coloniale que la France tenait absolument à dissimuler. La dénonciation d’un projet de pèlerinage: le début de l’insurrection armée. Le caid du douar d’Adélia dénonçait aux autorités françaises un projet de pèlerinage programmé par des paysans et financé par un lettré, Bel Hadj Ahmed Yakoub; Informés les paysans s’en prennent d’abord au caid qui arrive à s’enfuir et se cache dans une maison forestière ou le garde champêtre fut tué l’arme à la main; les révoltés saccagent par la suite la ferme de Djenoudet et s’attaquent aux biens des colons à l’origine de leur misère. Les révoltés engagent un combat farouche contre les gendarmes et les tirailleurs appelés en renfort, mais la révolte tourne rapidement en faveur des militaires; le bilan fut lourd: 16 morts parmi les révoltés contre 08 européens. Afin de rassurer les colons, pris de panique, l’armée coloniale se déploie rapidement dans toute la région et un train spécial transportant 110 hommes de l’escadron du premier chasseur d’Algérie fut dirigé vers Margueritte ; la répression fut sauvage, les tirailleurs raflent 400 paysans dont des insurgés qui seront soumis à un interrogatoire musclé mené par le juge d’instruction Phéline, puis transférés à la prison de Barberousse ( Serkadji) dans des conditions de détention inhumaines si bien que quand leur procès débute le 11 Décembre 1901, 14 inculpés étaient déjà décédés et plusieurs dizaines souffraient de maladies graves. A cette répression militaire aveugle allait succéder un procès inattendu, qui dévoilera au grand jour les violences terroristes du colonialisme et de ses agents, car il se déroulera en métropole, ce qui ne devrait pas avoir lieu; il échappera de ce fait à toute influence des administrateurs et des gouverneurs français. Les procès des insurgés de Margueritte: Le régime de l’indigénat mis à nu En principe le procès des insurgés de Margueritte devait être examiné par la cour d’assises d’Alger selon les règles et les formes du droit français, car il concernait le décès de plusieurs européens, Maitre Maurice Ladmiral, Avocat, Gadeloupéen, Colonisé et assimilé Français, qui défendait le principal accusé Med Ben El Hadj Yakoub, craignait la partialité de la cour dont le jury était uniquement composé de colons, introduisit donc une requête dans le but de la dessaisir de l’affaire pour cause de suspicion légitime ; la cour accéda à sa requête compte tenu non seulement de la complexité du procès mais aussi et surtout parce qu’elle était consciente que les dispositifs répressifs pratiqués en Algérie étaient de nature à déboucher sur des conséquences incontrôlables; le procès de Margueritte fut donc confié à la cour d’assises de Montpellier (Hérault) au grand dam des colons qui redoutaient que l’application stricte des règles et des formes du procès en métropole dévoilerait ce qui ils veulent absolument dissimuler: La nature terroriste du colonialisme français; c’est pour cette raison d’ailleurs que le gouverneur général de l’Algérie envoya sur place son spécialiste des affaires indigènes, Jean - Dominique Luciani dans le but de contrôler le déroulement de l’affaire, mais en vain. Le procès s’ouvre donc le 16 Décembre 1902 et la cour d’assises de l’Herault avait spécialement été aménagée et réorganisée pour accueillir: 107 Accusés, 50 Avocats, 93 Témoins venus d’Algérie ainsi que deux interprètes en langue Arabe. Les avocats, qui savaient pertinemment que la Justice était sous contrôle, basèrent leur défense sur le strict respect des droits de la défense. Cette stratégie allait être payante, puisque elle permit de semer le doute sur la culpabilité des accusés lesquels refusaient d’ailleurs de l’admettre. Ainsi pour mettre à égalité les dépositions des accusés et celles des témoins européens, toutes les déclarations étaient traduites en langue Arabe; L’interrogatoire qui dura plus de neuf jours fut émaillé par plusieurs incidents de séance dus au non respect par la cour des droits de la défense. Maître l’Admiral, pénaliste hors pair, militant anticolonialiste en concert avec le reste des avocats qui n’étaient pas des Causes Lawres, réussit à faire de l’affaire Margueritte un procès politique: celui du colonialisme Français en exant les plaidoiries sur les souffrances endurées par les Algériens depuis trente années, voici ce que déclare le principal inculpé en l’occurrence Belhadj Ahmed Yakoub; « Mon père possédait des biens, Il à été réduit à la mendicité, pour trouver à emprunter il était obligé de s’adresser à un moment donné à Provost; pour 40 Francs, on prêtait un sac de grains et on était obligé de rembourser trois ou quatre» ( Lakhbar 28/11/1902). Le 08 Février 1903, après 46 jour d’audiences et trois délibérations, la cour prononça son verdict, le quel dura plusieurs heures, compte tenu du nombre important des accusés et la traduction en langue Arabe: 80 Acquittements, 26 condamnations à des peines variant entre 06 mois et 02 années ainsi que des travaux forcés de 05 à 15 ans, assortis d’interdictions de séjours. La peine la plus lourde fut réservée à Belhadj Yakoub et deux ses collaborateurs, Thaalbi et Bensadock ; ils seront condammés aux travaux forcés à perpétuité et transférés au bagne de Cayenne ou il décédrent rapidement dans des conditions obscures ; les insurgés acquittés seront vite internés dés leur retour en Algérie et leurs biens furent séquestrés. Pour conclure Pourquoi évoquer Margueritte après un siècle et 23 années? En reconnaissance à nos vaillants «Chouhadas» qui ont osé se soulever contre l’oppression sauvage de ces nazis venus de loin spolier nos terres, exploiter nos richesses, piller nos biens culturels, nous réduire à la misère et nous exterminer. Ce procès unique dans son genre, doit rester gravé dans nos mémoires, car il s’agit avant tout d’un procès politique, celui de la barbarie coloniale, qui n’aurait jamais eu lieu sans le transfert de l’affaire Margueritte vers la métropole. Bien que la cour n’ait prononcé aucune condamnation à mort, son verdict n’a pas été du goût de la classe politique française ; le député M. Troin n’a-t-il pas affirmé: «Ce qui est fâcheux c’est pas une condamnation à mort n’ait été prononcée» ( Le petit Méridional, 14 Février 1903) , le colonialisme devait par conséquent instaurer une nouvelle juridiction d’exception pour juger les colonisés. Mais pourquoi le droit colonial et en particulier le code de l’indigénat ne sont- ils pas enseignés dans nos facultés de droit ? *Docteur en sciences juridiques - Maitre de conférences |
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