Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Gaza Hachem : quand la reconstruction se transforme en effacement de mémoire: Un projet qui interroge

par Laala Bechetoula

La publication dans la presse américaine d'un plan de reconstruction de Gaza, tel que l'a analysé Slimane Zeghidour, éditorialiste à TV5Monde, soulève une question de fond : de quel droit une puissance extérieure, en l'occurrence les États-Unis sous l'administration Trump, peut-elle décider du destin d'un territoire sans consulter un seul Palestinien ?

Derrière le terme rassurant de « reconstruction », ce plan propose en réalité une refonte totale du territoire. Pour Zeghidour, il ne s'agit pas tant de redonner vie à une région meurtrie que d'orchestrer une démolition identitaire aux conséquences irréversibles.

Au-delà du béton : une idéologie de la table rase

Le document, tel qu'il est relayé, ne prévoit ni restauration ni réhabilitation des bâtiments existants. Tout doit être rasé puis rebâti à partir de zéro. L'opération prend alors l'allure d'un projet de tabula rasa, effaçant les ruines mais aussi les strates de mémoire enfouies sous elles : vestiges archéologiques, cadavres encore sous les décombres, ossements de générations millénaires.

Cette logique de l'effacement prend une résonance particulière à Gaza, que la tradition islamique appelle Gaza Hachem, en référence au tombeau de Hachem ibn Abd Manaf, arrière-grand-père du prophète Mohammed. La ville n'est donc pas seulement un territoire disputé : elle est aussi un lieu de mémoire spirituelle et culturelle, enraciné dans plus de trois millénaires d'histoire. Effacer Gaza, c'est aussi effacer Gaza Hachem, avec tout ce qu'elle représente pour la mémoire collective du monde musulman.

Les habitants exclus de leur avenir

Le plan envisagerait également la déportation des 2 millions d'habitants de Gaza, sans qu'ils soient associés au processus. Pour Zeghidour, la « reconstruction » ne se ferait pas pour les Palestiniens mais bien sans eux. Elle redessinerait Gaza tout en niant ceux qui en ont façonné la vie et l'histoire.

Dix ans sous tutelle américaine

Autre volet du projet : la mise en place d'une tutelle américaine de dix ans. Washington deviendrait gestionnaire exclusif du territoire, sans participation palestinienne aux décisions politiques, économiques ou sociales.

Cette perspective fait écho aux protectorats coloniaux du siècle dernier, administrés au nom du progrès mais vécus par les populations concernées comme une dépossession.

Les protectorats dans l'histoire moderne

Après la Première Guerre mondiale, la Société des Nations a confié à la France et à la Grande-Bretagne des « mandats » sur la Syrie, le Liban, la Palestine et l'Irak. Officiellement destinés à préparer l'indépendance, ils se sont traduits par des décennies de domination.

L'éventualité d'un protectorat américain sur Gaza s'inscrirait dans cette continuité historique.

Un précédent historique ?

Zeghidour rapproche ce plan de la destruction de Carthage par Rome en 146 av. J.-C. Rome avait anéanti la cité punique, mais les Carthaginois réduits en esclavage finirent par s'intégrer dans l'Empire. Gaza, selon lui, se verrait appliquer une stratégie inédite : non pas l'assimilation des habitants, mais leur éviction définitive, accompagnée d'une disparition programmée des vestiges matériels et symboliques.

Un territoire confiné et fragilisé

Aujourd'hui, près de 2,5 millions de Palestiniens survivent dans un territoire exigu, décrit comme une enclave suffocante. Les guerres successives ont réduit Gaza à une bande de ruines, où la vie quotidienne est une lutte permanente contre le blocus, la pauvreté et l'insécurité.

Gaza en chiffres

Superficie : 365 km² (moins que la ville de New York).

Population : environ 2,5 millions d'habitants, soit l'une des densités les plus élevées au monde.

Blocus : imposé par Israël et l'Égypte depuis 2007.

Conflits : plusieurs guerres depuis 2008 ont détruit une grande partie des infrastructures civiles.

Une reconstruction ou un effacement de civilisation ?

L'expression « génocide culturel » revient en filigrane dans l'analyse. Car ce plan ne se limite pas à des murs et des routes : il touche à la survie même d'une identité historique et spirituelle. Gaza, ville-mémoire, deviendrait un territoire sans peuple et sans passé.

Or, dans le cas particulier de Gaza Hachem, c'est non seulement un tissu urbain que l'on détruirait, mais aussi un sanctuaire historique : la disparition de ce lieu signifierait la perte d'un repère fondateur pour la civilisation arabo-musulmane.

Les États-Unis et le Proche-Orient

Washington joue depuis des décennies un rôle clé dans la région. Alliés historiques d'Israël, les États-Unis se sont aussi présentés comme médiateurs des processus de paix, de Camp David (1978) aux accords d'Oslo (1993).

Leur neutralité a souvent été contestée. Une tutelle américaine sur Gaza renforcerait cette image d'une gestion unilatérale des équilibres régionaux.

Conclusion : reconstruire pour qui ?

L'exposé de Slimane Zeghidour ne relève pas de la simple dénonciation, mais d'un décryptage historique et politique. Ce qui est présenté comme un projet humanitaire peut, en réalité, s'apparenter à une tentative de réécriture radicale de l'histoire.

En ensevelissant Gaza avec ses ruines, ses morts et ses symboles, ce n'est pas seulement une ville qui disparaît, mais un pan entier du patrimoine universel.

La disparition programmée de Gaza Hachem, avec son tombeau, ses vestiges et ses générations enfouies, poserait une question vertigineuse : et si l'on reconstruisait un territoire au prix de son âme ?