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Militant, psychiatre, mémorialiste: Le Dr Mustapha Negadi n'est plus

par Amine Bouali

Le Dr Mustapha Negadi, psychiatre, est décédé ce mercredi 9 juillet. L'enterrement a eu lieu le lendemain à Oran. Le défunt fut avec les docteurs Benmiloud et Boucebci à Alger, Bensmaïn, Bencharif et Dojghri dans le Constantinois, l'un des 6 médecins algériens «à s'être hasardés dans le domaine psychiatrique avant l'Indépendance».

Né en 1932 à Tlemcen, il a longtemps exercé comme médecin-chef à l'hôpital psychiatrique de Sidi Chami, près d'Oran. En parallèle, il a été psychiatre dans le secteur de la médecine privée de cette ville. En 2016, Mustapha Negadi a publié un ouvrage autobiographique intitulé «Un roman algéro-soviétique, aux origines de l'UGEMA» aux éditions Adib. Dans ce texte passionnant et dense, conçu comme un roman à tiroirs, il s'interroge sur les motivations –conscientes ou non («Inconscient» quand tu nous tiens !)– qui l'ont conduit à revenir, par écrit, sur son passé. Il rapporte des anecdotes et se remémore des rencontres qui ont constitué la genèse d'un cheminement humain et d'une vocation professionnelle. Par exemple, cette confession : enfant timide, son goût pour le dessin lui valut de s'entourer d'amis (dont le futur artiste-peintre Choukri Mesli) et ainsi de «renoncer à l'autisme qui le guettait». Et parmi les rencontres qui l'ont marqué, il cite le grand ami de l'Algérie combattante, Pierre Chaulet, qui était, en 1955, externe des hôpitaux d'Alger. Chaulet l'aida ainsi que les autres rares étudiants musulmans de l'époque à préparer le concours de l'externat, en dépit de l'ambiance «houleuse» qui régnait alors sur les campus algérois.

En octobre 1955, Negadi s'installe à Paris pour y poursuivre ses études et décrit, dans son texte, ce départ «comme étant objectivement une conduite de fuite; alors que des jeunes algériens comme lui participaient au combat pour la liberté, au péril de leur vie». Mais la grève des étudiants du 19 mai 1956, décrétée par l'UGEMA (Union Générale des Etudiants Musulmans Algériens) le transforma vite en «militant», à l'instar de la grande majorité de ses camarades algériens. Vice-président de la section de l'UGEMA de Paris, il fut tenté un temps par le retour en Algérie et l'enrôlement dans la lutte armée, mais il en fut dissuadé par sa hiérarchie de l'UGEMA qui obtint pour lui, en 1958, une bourse d'études à Moscou accordée par l'ex-URSS. («L'équivalent, chaque mois, du salaire d'un ingénieur ou d'un médecin soviétique» précisait-t-il).

Dans un passage de son ouvrage, il relate le voyage en URSS, en janvier 1961, de Frantz Fanon, déjà atteint par la maladie qui allait l'emporter. Fanon qui interpelle violemment la petite colonie algérienne : «Qu'est-ce que vous faites là, alors que vos camarades sont au combat et risquent chaque jour leur vie ?». De fait, Negadi part, en juin 1961, pour Tunis où il fait ses premières armes comme médecin-praticien aux côtés de Pierre Chaulet, dans le centre de santé de l'ALN de Hammam Lif. Affecté ensuite à l'avant-poste de l'ALN de Ghardimaou, dirigé par le futur ministre Abdelghani Okbi, il y croisa notamment le célèbre Dr Nekkache, un patriote indépendantiste de la première heure. Okbi lui conseilla vivement (comme Fanon d'ailleurs, par la suite) de retourner terminer ses études à Moscou (Il était en cinquième année de médecine). «Abdelghani voulait t-il me protéger du sort peu enviable de ces jeunes intellectuels transformés en soldats de fortune, menés à la dure, entassés dans les tranchées et prêts à affronter le pire ?» s'interrogeait-t-il alors. Faisant une halte à Tunis, sur son chemin de retour vers l'URSS, il rendit visite à Fanon dont l'état de santé s'était dégradé et «l'illusion révolutionnaire» émoussée, mais qui s'acharnait à mettre la dernière main à son œuvre-maîtresse, «Les damnés de la terre» que préfacera le grand Jean-Paul Sartre. Le 19 mars 1962 fut fêté à Moscou par la petite communauté algérienne «avec des hurlements !». Trois mois et demi plus tard (le 16 juillet 1962), Mustapha Negadi atterrit à Alger, après une escale à Bruxelles et Rabat. Il se présenta alors dans un Palais du Gouvernement algérois presque vide et demanda un poste de médecin psychiatre hospitalier «avec logement de fonction». Le destin choisira pour lui : ce sera Sidi Chami (près d'Oran), «un établissement de santé où le personnage le plus important, à cette époque, c'était le malade !»

Le reste, Mustapha Negadi ne le raconta pas dans son livre, mais ce furent des décennies de travail, d'enseignement, de soins et de dévouement en faveur de ses patients qui venaient de presque toute l'Oranie. Reposez en paix Docteur !