|
![]() ![]() ![]() ![]() Le Mali traverse
aujourd'hui l'une des périodes les plus sombres de son histoire contemporaine,
conséquence directe de plus de trois années de gestion autoritaire et sans cap
politique par une junte militaire dont le seul projet véritable semble avoir
été la captation du pouvoir.
Depuis le double coup d'État de 2020 et 2021, mené par le colonel Assimi Goïta et ses compagnons d'armes, aucune vision cohérente de transition n'a émergé ; aucune réforme structurelle n'a été entamée ; aucun dialogue national sincère n'a été institué. Le pays s'est peu à peu enfoncé dans un blackout institutionnel, dans lequel les discours souverainistes servent de rideau de fumée à une réalité marquée par l'isolement diplomatique, l'effondrement économique et l'extension incontrôlée de la menace sécuritaire. Historiquement, le sud du Mali, notamment Bamako, Koulikoro et Sikasso, a toujours constitué le cœur du pouvoir politique et militaire, souvent à l'origine des coups d'État qui ont jalonné la trajectoire du pays, de 1991 jusqu'à nos jours. Mais ce Sud, naguère bastion de stabilité et centre névralgique de l'État, est aujourd'hui en train de céder sous la pression croissante des groupes jihadistes, notamment les factions affiliées à Jama'at Nosrat al-Islam wal Muslimin (JNIM), branche sahélienne d'Al-Qaïda. Cette percée des groupes armés au cœur même des régions méridionales est révélatrice d'un effondrement généralisé de l'autorité de l'État, mais aussi des limites criantes de la stratégie militaire actuelle, entièrement centrée sur une approche sécuritaire rudimentaire, sans ancrage communautaire ni coordination civile. À cela s'ajoute une division, de plus en plus manifeste, au sein des forces armées : d'un côté, une frange favorable à la collaboration avec le groupe paramilitaire russe Wagner, majoritairement constituée d'officiers venus du nord ou formés dans les cercles russophones ; de l'autre, une faction, souvent issue du sud, plus réservée, voire hostile à cette influence étrangère perçue comme une recolonisation déguisée. Cette fracture interne affaiblit la cohésion militaire au moment où le pays aurait le plus besoin d'un commandement unifié et d'une armée républicaine. Le désengagement progressif de la Russie, qui semble considérer, aujourd'hui, que la junte malienne est une carte perdante, ne fait qu'exacerber l'isolement de Bamako. Moscou, autrefois allié de circonstance, observe avec scepticisme les hésitations d'Assimi Goïta, de plus en plus distant vis-à-vis de ses partenaires russes, et la désorganisation croissante des institutions maliennes. Le risque est désormais que cette dislocation politique et militaire atteigne le cœur même de la capitale, Bamako, transformant une crise de régime en guerre d'influence ouverte au sein de l'armée, voire en affrontements intra-urbains. Il faut ici rappeler une vérité trop souvent oubliée: en Afrique comme ailleurs, prendre le pouvoir par la force n'est qu'un détail face à l'immense complexité de gouverner, de réformer, de reconstruire un État. Ce que le Mali vit actuellement, c'est moins la conséquence d'un putsch que l'échec d'un pouvoir sans projet, sans légitimité profonde, et sans horizon autre que sa propre perpétuation. En l'absence d'un sursaut politique, d'une reprise en main inclusive et structurée, d'une réconciliation nationale portée par les civils, le pays court tout droit vers un scénario libyen, où l'État s'efface devant la fragmentation, et où la transition devient un champ de ruines. Le Mali n'a plus besoin d'hommes forts, mais d'institutions solides, d'une armée disciplinée, d'une société civile écoutée, et d'un leadership lucide, capable de penser le pays au-delà de la conservation du pouvoir et d'un populisme archaïque trompeur. |
|