![]() ![]() ![]() Tremblement de terre en Europe : D. Trump veut-il mettre fin au Pacte Atlantique ?
par Abdelhak BENELHADJ ![]() « Il
y a des décennies où il ne se passe rien et il y a des semaines où des
décennies se produisent. » Lénine.
20 janvier. Au lendemain de sa prise de fonction, le président américain prend la parole et signe une liste de décrets qui, plus que chez les ennemis de son pays, vont provoquer une panique généralisée chez ses alliés.1 Aucune région du monde, aucune activité économique, aucun domaine militaire, politique ou diplomatique n'y échappe. La puissance américaine n'avance plus masquée. Le « Leading from behind » de Obama est oublié. Le doigté et la prévenance plus ou moins subtiles et tortueuses de son prédécesseur n'ont plus court. La comédie des « alliés » et des sirupeuses « bousboussettes » complices et hypocrites, c'est fini. « Il y a un nouveau shérif est en ville » (JD Vance) D. Trump, le « patron du monde libre » et ses proches collaborateurs vont avancer tels des bulldozers et tout balayer devant eux. Leur langage est direct, sans fioritures, sans précautions diplomatiques, sans boursouflures rhétoriques que prisent les dirigeants du « vieux monde ». Zelenski, habitué aux tapis rouges, et aux standing-ovations n'en revient pas non plus. Il est tenu de concéder ses terres rares non pour obtenir en échange une protection militaire américaine sur le terrain, comme il l'espérait. Il n'y a rien à négocier. Ses terres rares serviront à rembourser les dépenses auxquelles l'Amérique à consenti depuis 3 ans pour la défense de son pays. - 12 février. Washington et Moscou annoncent l'échange téléphonique de plus d'une heure trente entre leurs présidents qui prévoient une rencontre dans de très brefs délais. Trump converse avec Poutine d'abord et en informe V. Zelenski et les Européens ensuite. Zelenski proteste : il n'est pas question de négocier avec Poutine avant d'en délibérer d'abord entre Ukrainiens, Européens et Américains. « Les réunions entre l'Ukraine et l'Amérique sont la priorité pour nous. Et ce n'est qu'après ces réunions, après l'élaboration d'un plan pour arrêter Poutine, que je pense qu'il sera juste de parler aux Russes », a déclaré M. Zelensky, au lendemain des entretiens séparés de Donald Trump avec ses homologues russe et ukrainien. (Le Monde, 12 février) Il n'a encore rien vu et rien entendu. Une Europe hors-jeu. Les Européens se retrouvent sur la touche. Ils seront informés plus tard de ce qui aura été discuté et conclu « entre adultes ». Point ! Il faut se réveiller. Habitués à croire que la politique consiste à distraire leurs concitoyens avec des formules bricolées dans les arrières boutiques par leurs spin-doctor, les Européens vont peu à peu prendre la mesure des événements et voir se dissiper l'essentiel de leurs illusions. Les Américains, venus en Europe en ce mois de février n'étaient pas là pour bavarder et confirmer leurs homologues dans leur statut factice d'interlocuteurs valables. A tour de rôle, les Secrétaires d'Etat et les chargés de missions de D. Trump vont les réveiller et les tirer du confort de leur posture horizontale. 12 février 2025. Réunion du Groupe de contact des ministres de la Défense de l'OTAN à Bruxelles. Cela commence par une admonestation en règle administrée par le secrétaire d'Etat Pete Hegseth. « Les États-Unis ne considèrent pas que l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN soit une issue réaliste à un accord négocié. ( ) Aucune troupe américaine ne sera déployée en Ukraine. ( ) l'Europe doit fournir la majorité écrasante de l'aide létale et non-létale à l'Ukraine dans le futur. ( ) Notre relation visera à renforcer l'Europe afin qu'elle assume pleinement la responsabilité de sa propre sécurité. ( ) 2% du PIB ne suffisent pas ; le Président Trump a appelé à 5%, et je partage son avis. ( ) les États-Unis ne peuvent plus être principalement concentrés sur la sécurité de l'Europe. » Les Européens ne sont pas habitués à ce langage. - Du 14 au 16 février. À la Conférence de Munich, le vice-président JD Vance surprend. Il n'est pas venu parler de l'Ukraine. Il n'est pas venu répondre à des questions. Il est venu dire aux Européens ce qu'ils doivent faire et surtout ce qu'ils doivent cesser de faire. Il eut des mots qui les ont pétrifiés. Le passage ci-dessous mérite d'être rapporté longuement. Les médias européens l'ont méticuleusement charcuté et éliminé les mots et formules qui font mal. « la menace qui m'inquiète le plus vis-à-vis de l'Europe n'est pas la Russie, ce n'est pas la Chine, ce n'est aucun autre acteur extérieur. Et ce qui m'inquiète, c'est la menace de l'intérieur : le recul de l'Europe sur certaines de ses valeurs les plus fondamentales. Des valeurs partagées avec les États-Unis. Or j'ai été frappé qu'un ancien commissaire européen puisse récemment s'exprimer à la télévision pour se réjouir que le gouvernement roumain annule une élection présidentielle. Il a averti que si les choses ne se déroulaient pas comme prévu, la même chose pourrait se produire en Allemagne également. » Et il enfonce le clou. « Nous en sommes au point où la situation est devenue si critique qu'en décembre dernier, la Roumanie a carrément annulé les résultats d'une élection présidentielle sur la base des vagues soupçons d'une agence de renseignement et des énormes pressions de ses voisins continentaux. « Si j'ai bien compris, l'argument était que la désinformation russe avait infecté les élections roumaines. Mais je demanderais à mes amis européens de prendre du recul : vous pouvez penser qu'il est mal que la Russie achète des publicités sur les réseaux sociaux pour influencer vos élections. Nous le pensons également. Vous pouvez même le condamner sur la scène mondiale. Mais si votre démocratie peut être détruite avec quelques centaines de milliers de dollars de publicité numérique provenant d'un pays étranger, alors c'est qu'elle n'était pas très solide au départ. » Ordinairement, ces mots ne viennent pas de ce côté-ci du « monde libre », du côté des « alliés », du côté du « bien ». Ces mots terribles viennent d'en face, du côté de l'ennemi ou du côté de ceux qui le soutiennent dans l'Union. Voire de tous les « idiots utiles du sud global, à la recherche d'un maître » Stéphane Séjourné (Commissaire français à Bruxelles), se déclare avoir eu « honte pour les Américains » en entendant le discours sur l'Europe du vice-président américain (Le Monde, L. 17 février 2025). D'autres sortent les analogies historiques faciles et profèrent des mots blessants sur le « Munich » de Chamberlain et Daladier. Depuis février 2022, les « experts » télévisuels s'en donnent à cœur-joie. Les Européens attendaient le rituel et ferme soutien des États-Unis à l'Ukraine. Au lieu de cela, ils se retrouvent, y compris les Britanniques, traduits devant un tribunal, accusés de s'être détournés des valeurs communes et d'ignorer les préoccupations de leurs citoyens. Une immixtion dans leurs affaires qu'ils ont l'habitude d'infliger à d'autres (« droit d'ingérence humanitaire », « guerre préventives » ). À Munich, JD Vance a évité de croiser Olaf Scholz. Qui chercherait à rencontrer un « mort » politique virtuel, un chef d'Etat inconsistant qui n'a jamais brillé par son courage politique et qui ne sera plus aux affaires après le 23 février ? D. Trump avait annoncé la couleur le 20 janvier dernier. Il ne s'en est jamais caché et n'a invité aucun dirigeant européen à sa prise de fonction à Washington.2 A quelques exceptions près Le 20 janvier annonçait le 12 février. Les Européens l'ont sous-estimé ou ne l'ont pas vu venir. Ou ont refusé de le voir venir L'émissaire spécial Keith Kellogg, ancien général chargé de l'administration de la crise ukrainienne a, quant à lui, été très laconique : la participation des Européens aux négociations est exclue. On les informera Pour ce qui est de l'Ukraine, les Américains prévoient que 50% de ses ressources naturelles stratégiques soient alloués aux Etats-Unis qui offriront une aide pour la reconstruction du pays. La réaction paniquée de V. Zelenski qui change plusieurs fois de position par jour n'y changera rien. L'ensemble des positions russes semblent avoir été validées. - Pas d'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN (les Américains, même sous J. Biden, n'y avaient pas souscrits)3. Le principe d'une adhésion à l'Union Européenne est très largement virtuel. Cela exigerait une mobilisation de moyens économiques que les Européens refuseraient. Reste le vol d'Etat, à savoir le détournement des avoirs russes dans les banques européennes, entamés en utilisant comme garanties les intérêts de ces avoirs. Les négociations qui ont débuté en Arabie Saoudite auront sûrement l'occasion d'en traiter. - Pas de soldats de l'OTAN en Ukraine et encore moins de soldats américains. Tout envoi de militaires européens en Ukraine (sous réserve que Moscou y consent) ne sera pas couvert par l'article V de l'Alliance. - Les territoires occupés sont irréversiblement acquis. Restera à en préciser les contours. Lors de la réunion des ministres de la Défense des pays membres de l'Otan à Bruxelles, le 12 février la position américaine a été limpide. Le secrétaire américain à la Défense Pete Hegseth a été très direct à ce sujet qui a laissé pantois et désemparés ses homologues européens : « Nous voulons, comme vous, une Ukraine souveraine et prospère. Mais nous devons commencer par reconnaître que le retour aux frontières de l'Ukraine d'avant 2014 est un objectif irréaliste ». « La poursuite de cet objectif illusoire ne fera que prolonger la guerre et causer davantage de souffrances. » (Reuters, mercredi 12/02/2025) - Le plan de Zelenski de novembre 2022 est définitivement mort et enterré. - Poutine a exigé et obtenu que de nouvelles élections soient tenues en Ukraine, ce qui signifient la fin du régime de Zelenski (et des radicaux de Maidan qui agissent depuis bien avant 2014 dans son ombre).4 Le 18 février, de Floride, D. Trump rectifie et confirme : « Nous avons une situation où nous n'avons pas eu d'élections en Ukraine, où nous avons une loi martiale ( ) et où le dirigeant de l'Ukraine je suis désolé de le dire est à 4% d'opinions favorables ». Aux Ukrainiens, dit-il, « Nous leur avons donné, je crois 350 milliards de dollars [335 milliards d'euros environ] ( ), c'est beaucoup et nous devons rééquilibrer avec l'Europe, parce que l'Europe a donné un bien plus petit montant que cela. ». Il ajoute ceci : « Le président Zelensky m'a dit la semaine dernière qu'il ne savait pas où était la moitié de l'argent qu'on leur a donné. » Que le président américain veuille assassiner politiquement son homologue ukrainien, il ne s'y prendrait pas autrement. Qui a prétendu que V. Poutine était le plus grand ennemi de Zelenski ? Les jours de V. Zelenski sont-ils comptés ? Oublié, le « bombardement opportun » de Tchernobyl le 14 février pour peser du bon côté sur les débats à Munich. Plus grave. D. Trump tient des propos que le Pape avait tenus au début du conflit, accusant les Européens d'avoir été à l'origine de la crise : « Aujourd'hui, j'ai entendu «oh nous n'étions pas invités». Et bien, vous avez été là depuis trois ans. Vous auriez dû y mettre un terme il y a trois ans. Vous n'auriez jamais dû la commencer » (Reuters, 18 février 2025). Il y a de l'irréversibilité dans l'air L'Europe, la débandade. C'est un coup dur pour l'Europe. Leurs ministres des AE se réunissent dans la précipitation et tentent de faire bonne figure, principalement aux yeux de leurs opinions publiques. Avec les mêmes rengaines : « Il n'y aura aucune paix juste et durable en Ukraine sans la participation des Européens », a déclaré le Français Jean-Noël Barrot, tandis que l'Allemande Annalena Baerbock et l'Espagnol José Manuel Albares Bueno assuraient qu'aucune décision sur l'Ukraine ne pouvait être prise « sans l'Ukraine ». « Nous parlons d'un pays souverain avec un gouvernement démocratiquement élu. En outre, rien de ce qui touche à la sécurité européenne et l'agression russe contre l'Ukraine menace directement la sécurité européenne ne peut être décidé sans l'Europe », a mis au point M. Albares Bueno. (Le Monde, mercredi 12/02/2025) Le ministre polonais Radoslaw Sikorski, lui, n'oublie pas son allégeance aux Etats-Unis et prône une « coopération transatlantique étroite ». « L'Ukraine, l'Europe et les États-Unis doivent être totalement unis et s'engager dans des pourparlers de paix ». Réunion « informelle » des « pays clé » à Paris Elle a rassemblé lundi 17 février à l'Elysée les chefs de gouvernement de l'Allemagne (Olaf Scholz), du Royaume-Uni (Keir Starmer), de l'Italie (Giorgia Meloni), de la Pologne (Donald Tusk), de l'Espagne (Pedro Sanchez), des Pays-Bas (Dick Schoof) et du Danemark (Mette Frederiksen) ainsi que le président du Conseil européen Antonio Costa, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, et le secrétaire général de l'Otan Mark Rutte. Le Danemark représentait les pays baltes et nordiques. La réunion n'a rien apporté de nouveau de plus que ce que les Européens répètent depuis le début de la crise. Ils ont juste accru les divisions avec les pays qui n'avaient pas été invités. Les échos de cette rencontre ont confirmé les divergences au sein de l'Union. Hongrois et Russes ont ironisé sur la portée de la réunion « informelle » de Paris. La Roumanie et la République Tchèque, pourtant très proches du noyau belliciste de l'Union, ont protesté de ne pas avoir été invités à Paris. Le gouvernement hongrois critique la réunion qualifiée de « pro-guerre ». « Aujourd'hui, à Paris, des dirigeants européens frustrés, pro-guerre et anti-Trump se réunissent pour empêcher un accord de paix en Ukraine ». « Ceux qui n'ont cessé de jeter de l'huile sur le feu depuis trois ans se réunissent aujourd'hui à Paris » a fustigé le ministre des Affaires étrangères hongrois Peter Szijjarto qui ajoute : « Contrairement à eux, nous soutenons les ambitions de Donald Trump. Contrairement à eux, nous soutenons des négociations entre la Russie et les Etats-Unis », dénonçant « une stratégie erronée de ceux qui continuent de provoquer une escalade ».5 E. Macron, prend néanmoins soin de téléphoner à Trump avant la réunion. Pour lui faire un compte-rendu circonstancié, il le rappelle après Le Premier ministre britannique, lui, est encore plus prudent. Il avisera la semaine prochaine après sa rencontre avec Trump. Il y a des réflexes tenaces en Europe Conclusions de la réunion ? Sans projet, ni programme, ni plan d'action concret, la réunion s'achève dans la confusion et la cacophonie aussi bien sur les efforts de défense que l'Union s'estime nécessaire de fournir, que sur l'envoi de troupes en Ukraine. Les Européens ne s'entendent ni sur le « qui » ni sur le « quand » et encore moins sur le « pourquoi ». Meloni faisait une tête d'enterrement, s'ennuie attendant de rentrer chez elle, pendant que O. Scholz comptait les jours. « Nos dépenses de défense sont passées d'à peine plus de 200 milliards d'euros avant la guerre à plus de 320 milliards d'euros [en 2024]. Il nous faut encore augmenter ce chiffre considérablement », détaillait Ursula von der Leyen, le 14 février, lors de la Conférence de Munich sur la sécurité. D'autant que l'effort n'est pas partagé par tous, qu'il reste largement insuffisant au vu de la situation la Commission chiffre à 500 milliards d'euros les investissements nécessaires au cours de la prochaine décennie et que l'Europe de la défense n'a toujours pas vu le jour. (Le Monde, L. 17 février 2025) C'est très exactement ce qu'exigeait Washington. Pete Hegseth, le 12 février à Bruxelles, a appelé les alliés de Washington au sein de l'Otan à s'impliquer davantage et assumer une plus grande responsabilité pour la sécurité de l'Europe. Comme d'habitude, l'Amérique fait la cuisine et l'Europe s'occupera de la vaisselle. Croire que plus de canons à supposer les Européens capables d'en produire au pied-levé - donnera à l'Europe plus de crédibilité géostratégique est une illusion de plus. Cela signifie en fait augmenter ses commandes aux industries militaires américaines. Réunionnite macronienne. En attendant, le président français, toujours dans l'improvisation, s'empresse de répondre aux critiques et remet le couvert. Une nouvelle réunion est organisée à l'Elysée dans laquelle se retrouvent mercredi les oubliés du lundi, ceux qui ne comptent pas parmi les « pays clés ». Un bric-à-brac de réprouvés, de pays mineurs. L'Elysée y a ajouté le Canada, la Turquie Le spectacle continue, assuré par un président qui tente de faire oublier ses catastrophiques indices de popularité. Qui ne refuserait de goûter cette savoureuse parabole zoologique du président français ? « Le monde est fait d'herbivores et de carnivores. Si on décide de rester des herbivores, les carnivores gagneront. Et nous serons un marché pour eux. Je pense que ce serait pas mal de choisi d'être des omnivores. Je ne veux pas être agressif, je veux juste qu'on sache se défendre sur chacun de ces sujets. Mais je n'ai pas envie de laisser l'Europe comme un formidable théâtre habité par des herbivores que des carnivores selon leur agenda viendront dévorer. » E. Macron, Sommet de la Communauté politique européenne à Budapest, le jeudi 07 novembre 2024 Lorsque E. Macron persiste à déclarer mardi 18 février que « La Russie constitue une menace existentielle pour les Européens », a-t-il vraiment conscience de la mutation rapide des rapports des forces qui gouvernent l'Europe et le monde ? Quelles que soient ses convictions profondes, un recul distant et plus discret n'aurait-il pas été préférable, pour mieux mesurer et tenter d'anticiper les événements, dans la préservation des intérêts de son pays et de l'Union à laquelle il participe ? Sophie Primas, la porte-parole de son gouvernement est plus sage à convenir : « Nous ne comprenons pas très bien la logique américaine » (Le Monde, mercredi 19 février) C'est dans ces circonstances que les Français ne trouvent rien de plus intelligent qu'annoncer un surprenant 16ème train de sanctions contre la Russie. Jean-Noël Barrot, ministre français des Affaires étrangères, annonce sur Franceinfo ce 18 février 2025. « Dès lundi prochain nous prendrons un nouveau train de sanction, le 16e depuis le début de la guerre, pour forcer Vladimir Poutine à s'asseoir à la table des négociations » Ces sanctions porteront sur « les ressources énergétiques que la Russie utilise pour financer son effort de guerre ». Ce projet validé par la Commission devra l'être par les ministres européens des AE le 24 février 2024. Au moment où, en Arabie Saoudite Américains et Russes discutent d'une éventuelle levée de sanctions, la France adopte une posture surréaliste. D'abord parce que les sanctions ont montré leur incapacité à affaiblir de manière décisive l'économie russe et la France, empêtrée dans ses propres difficultés, a fait la démonstration de ses propres limites Ensuite, Paris n'a pas peur des contradictions : elle a augmenté de 81% ses importations de GNL russe entre 2023 et 2024 et versé 2,68 Md à la Russie. Ce gaz est aussi destiné au reste de l'Europe qui en dépend fortement, ce qui complique l'objectif de la Commission européenne à atteindre son objectif de cesser d'acheter du gaz russe à l'horizon 2027 (AFP, mardi 18 février 2025). Cette réaction incompréhensible s'explique peut-être rétrospectivement par le mot de la présidente de la Commission v. der Leyen à sa sortie la veille de la réunion informelle à Paris. La « paix par la force » Sur X, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, écrit que la réunion d'urgence des dirigeants européens à Paris « a réaffirmé » que l'Ukraine « mérite la paix par la force, une paix respectueuse de son indépendance, de sa souveraineté et de son intégrité territoriale ». « L'Europe assume pleinement sa part de l'assistance militaire à l'Ukraine. Dans le même temps, nous avons besoin d'un renforcement de la défense en Europe », a-t-elle ajouté. Là, est précisément la question. Celle de la défense de l'Europe. Et plus précisément celle de l'Europe de la défense. Raisonnement simpliste mais médiatiquement efficace. V. Zelenski l'exposait le 14 février, à la veille de la Conférence de Munich. Européen et atlantiste par nécessité, il résume en quelques chiffres la situation. « Sur les 81 brigades de l'OTAN en Europe, plus de 30% sont américaines. En Russie, il y a entre 220 et 250 brigades. » (V. Zelenski, NBC News « Meet the press », 14 février 2025) Il en déduit que la Russie menace l'Europe. L'argument simpliste est clair et usé jusqu'à la corde : « en nous aidant, vous nous aidez ». De plus, la défense de l'Europe ne peut se passer de l'Amérique et conclut : « Si les Etats-Unis se retirent de l'OTAN, la Russie occupera l'Europe. » Son raisonnement sent la naphtaline. Il a servi pendant 30 ans, face à l'évidence : l'alternative à l'Amérique et à l'OTAN, c'est la défense européenne qui n'existe pas encore. Aujourd'hui, l'Amérique tient l'Europe (et son pays) pour quantités négligeables et négocie derrière dans leur dos avec la Russie et, demain, avec la Chine. La question lancinante de l'heure est alors : que faire aujourd'hui ? Le retrait américain est une hypothèse pour benêts pas une réalité. Comme le sempiternel isolationnisme américain.6 Ce genre de procédé sert à soumettre. L'Amérique n'a, en réalité, nullement envie de quitter l'Europe, pour une multitude de raisons. Elle y reste pour conforter de ses intérêts, sûrement pas pour défendre l'Union et ses citoyens. L'OTAN se serait dissoute au début des années 1990 autrement.7 Avant de penser à une défense de l'Union, les Européens devraient d'abord s'affranchir culturellement diplomatiquement, juridiquement, commercialement, technologiquement d'une dépendance pavlovienne, structurelle à l'égard de son puissant « allié ». Des réseaux anciens, denses et nombreux ont été préparés, confectionnés, infiltrés dans tous les rouages de l'économie, de la vie politique et institutionnelle européenne pour y installer les relais indispensables à la domination des monstres transnationaux américains. Une armée innombrable d'atlantistes militants convaincus, des moines-soldats besogneux ont été formés pour vendre et diffuser les mythes de l'Amérique conquérante. Il y a là une révolution « copernicienne » à entreprendre dont les Européens divisés ne possèdent pas les clés. Le vrai problème de l'Europe est d'abord interne à une Union qui devrait un toilettage en profondeur. Une remise en cause d'abord politique. Sans construction d'une nation européenne, très probablement utopique, une armée européenne ne peut être qu'américaine. Ce qu'elle est et restera. Il faut se rendre à l'évidence. Il n'y a pas d'Europe de la Défense Et peu de chance qu'il y en ait un jour. Pour répondre dans l'urgence (et à terme indéterminé) à la situation créée par D. Trump. L'Europe « unie » n'a : - Pas assez de temps - Pas de ressources suffisantes - Pas de consensus européens - Pas d'armée européenne avec un commandement unique - Pas de diplomatie et de politique extérieure commune - Pas de doctrine politique et militaire partagée Pas de projets communs dans une Union sans mode d'emploi. Production militaire, quantitativement insuffisante et non coordonnée. Exemple. 2024. L'Europe produit 1.3 million d'obus de 155 mm, la Russie 3 à 4 millions et, bien que les chiffres soient très difficiles à vérifier, brouillés par la désinformation, la Corée du Nord en produit tout autant. La cellulose de coton nécessaire à la fabrication de la poudre, les Européens l'importe des Etats-Unis, de Chine et d'Inde. On peut combiner ces limites dans l'ordre qu'on voudra. L'Europe reste une collection de pays divisés, déficitaires, endettés dans un espace ouvert à la compétition de plus en plus dérégulée, sans normes fiscales et sociales communes, des institutions opaques et des protocoles de décisions complexes, très loin des citoyens, sous l'influence d'une multitude de lobbys. L'Europe n'est pas une nation dirigée par une autorité politique légitime reconnue comme telle par les citoyens européens et par ses partenaires. L'Europe, une concaténation d'objectifs nationaux et de nombreux intérêts divergents. Exemples des controverses franco-allemandes : choix énergétiques, programmes militaires (char et avion de combat, nucléaire, achats de F35 américains ) relations avec la Chine En conséquence, elle a été sciemment ainsi faite, hors de l'Otan, il n'y a pas de défense européenne crédible. Or, il n'y a pas d'OTAN sans les Etats-Unis. Hors de l'Amérique qui l'a fabriquée en 1945, l'Europe n'a aucune existence géostratégique à même de décider de son destin. - Achats européens d'armes en commun : 18% en 2024. En projet : 40% en 2030. - Trois-quarts des achats des pays européens viennent des Etats-Unis. Ces achats impliquent des engagements qui dépassent le cadre de la défense et soumettent les pays qui en font l'acquisition à de lourdes contraintes politiques et diplomatiques. Le commerce des armes n'est pas n'importe quel commerce. Non seulement, il conditionne l'utilisation des armes, mais, plus grave, il conditionne les objectifs politiques visés par leur usage. Même Zelenski en convient : « Nous aurons peu de chances, très peu de chances, de survivre sans le soutien des Etats-Unis » (AFP, S. 15 février 2025). Tout est dit. Les graphiques ci-dessous restituent mieux que de longs discours, le poids des Etats-Unis et l'état réel des rapports de forces en Europe. (Voir la version PDF) N'aurait-il pas été plus prudent et plus judicieux d'attendre la fin de ces consultations avant d'organiser dans la précipitation une réunion informelle qui débouche sur le flou ? La Commission européenne propose de faire abstraction des critères de convergence naguère adoptés pour la construction de l'UEM et de l'euro, pour augmenter à la hauteur qui convient les investissements dans la défense européenne. Cela arrange bien des pays, la France par exemple dont le déficit budgétaire et l'endettement n'est plus maîtrisable. A supposer que les pays frugaux (Allemagne, Pays-Bas Autriche ) y consentent, ce qui est loin d'être acquis, en ce qu'il offrirait une planche de salut à un pays en crise politique et économique, ce genre de décision conviendrait parfaitement à Washington et à son complexe militaro-industriel. Il suffit de rappeler, qu'en-dehors de la Grèce, de la Croatie et peut-être de la Serbie, le Rafale ne trouve pas preneur en Europe qui achète américain. Même le Maroc n'en a pas voulu. Et a préféré des F16. L'Europe de la défense, et même l'Union, reste un mythe persistant que les gouvernements continuent encore de vendre à leurs concitoyens, fut-ce contre leur volonté.8 C'est ainsi qu'elle a été façonnée, dans toute sa dépendance atlantique. N'est-ce pas W. Churchill, le plus proche allié des Etats-Unis qui en 1950 a eu, le premier, l'idée d'une armée européenne ? CQFD Sommet de Riyad La rebuffade est d'autant plus douloureuse que Russes et Américains ne se rencontreront ni à Genève, ni à Vienne, ni à Paris, comme c'est la coutume pour les négociations de crises majeures du passé, mais en Arabie Saoudite. Il est certain que le contexte régional a contribué à ce choix (Iran, Palestine, Syrie, Liban ). Cela leur permettra de traiter de ces crises dont les Européens ont été (et se sont) exclus par leur veulerie et leur soumission à l'axe atlantico-sioniste. Mais il n'y a pas que cela. La querelle transatlantique n'est pas seulement administrée par des hommes froids et calculateurs. Elle a aussi un volet, une dimension émotionnelle. E. Musk y met son grain de sel sur X : « Le Russe Lavrov arrive en Arabie Saoudite pour des négociations avec les Etats Unis sur la guerre en Ukraine. Voilà à quoi ressemble un leadership compétent ». La porte-parole du département d'État américain, T. Bruce, a confirmé que la délégation américaine (M. Rubio, M. Waltz et S. Witkoff) rencontrera la délégation russe mardi à Riyad. S. Lavrov et I. Ouchakov (conseiller en politique étrangère de V. Poutine) étaient à Riyad lundi. « Ils devraient tenir une réunion avec leurs homologues américains mardi, qui portera principalement sur le rétablissement de l'ensemble des relations russo-américaines », a déclaré D. Peskov9. (Reuters, L. 17/02/2025) Il s'agit de l'une des premières discussions de haut niveau depuis des années entre des responsables russes et américains et elle devrait précéder une rencontre entre les présidents américain et russe. Il est arrivé dimanche aux Émirats arabes unis et a annoncé qu'il se rendrait, via la Turquie, mercredi 19 février en Arabie Saoudite. Le problème est qu'il n'avait été invité par personne. Indésirable, V. Zelenski ruse et cherche à entrer par effraction dans des entretiens dont il est exclu. Prévu initialement mercredi 19 février, il a cependant préféré reporter son voyage à Riyad pour ne pas conférer un crédit de « légitimité » à la réunion de ce mardi. Récapitulation. Qui fait la guerre, à qui et pourquoi ? L'initiative de D. Trump réinitialise et éclaircit le paysage géostratégique mondial. Il redéfinit les termes du conflit à savoir nomme les belligérants et précise les « buts de guerre ». Jusque-là, en effet, si l'on s'en tient à la version euro-ukrainienne, il mettait aux prises la Russie et l'Ukraine, envahie par son voisin en violation des lois internationales. La Russie, dès le départ a justifié son action comme une « opération » défensive dont l'Ukraine et l'Europe n'étaient que des faire-valoir, des instruments supplétifs dans une stratégie de déstabilisation orchestrée à partir de Washington. Le rideau est baissé et tous les rois se découvrent nus. L'arbitraire divin. C'est l'Amérique qui fait la guerre. Et c'est l'Amérique qui décide de la paix et de ses conditions. Dieu ne rend pas compte de ses décisions dans l'exercice de sa divinité céleste. Les Européens enragent. D. Trump donne satisfaction à pratiquement toutes les demandes russes et reconnaît le bien-fondé de sa cause et de ses arguments. Certains n'hésitent pas à parler de « trahison » ou de « renversement d'alliance » Ne jamais oublier que même sous la présidence Biden, Russes et Américains ont maintenu des contacts discrets et très étroits, aussi bien au niveau opérationnel qu'au niveau diplomatique. Le pire est ailleurs. Washington en ouvrant ce dialogue avec Moscou reconnaît qu'ils sont les uniques acteurs de la crise et se retrouvent pour en négocier la sortie. Américains et Russes ne s'en sont pas cachés. Contrairement à ce qui est partout affiché, la réunion de Riyad ne tourne que très partiellement autour du conflit ukrainien. Trump a dit l'essentiel de ce qu'il y avait à savoir. Reste les détails et l'intendance Non ce qui a commencé à être négocié en Arabie Saoudite, c'est le retour du dialogue de la Russie et de l'Amérique dans le monde, avec des ouvertures inévitables vers la Chine et le reste de BRICS. Une sorte d'esquisse d'un renouveau des institutions internationales. Le rétablissement de ce dialogue est peut-être le premier jalon vers un retour au multilatéralisme et à la remise au net du droit et des règles du commerce et des résolutions de conflits. C'est cela qui est en jeu et c'est cela qui effraie les Européens qui ont peur d'être totalement oubliés en tant qu'acteurs et qui subiront demain les nouvelles relations internationales au lieu de les dessiner et d'en tirer parti. D'où la proposition américaine de réintégrer la Russie dans le jeu pour relancer le G8. C'est peut-être pourquoi le ministre français des affaires étrangères a réagi de manière si violente quand cette idée avait été rendue publique. L'affaire ukrainienne, serait sous cet angle de vue, une question mineure pour Américains et Russes replacée dans un contexte global auquel V. Poutine a fait allusion quand il a évoqué l'accord de principe avec D. Trump sur une approche sur la sécurité à une échelle qui dépasse la crise ukrainienne. Un tremblement de terre s'est produit et personne ne semble en état d'en mesurer la portée et la gravité. Dès le 23 février prochain en Allemagne, on pourra peut-être en avoir un aperçu et en mesurer l'impact. A. Merkel est partie. La rupture est consommée en Berlin et Moscou. Le modèle économique allemand est en panne. Biden a tenu parole. A partir du 11 septembre 2022, le Kremlin ne décroche plus lorsque c'est l'Elysée qui est au bout du fil. Les règles du jeu changent vite et les Européens ne savent plus à quel jeu on les invite à jouer. Le séisme provoqué par D. Trump va avoir des conséquences, pour le moment difficile à entrevoir aussi bien en Europe que dans le reste du monde. A quoi au juste joue Washington ? Notes : 1- Cf. A. Benelhadj : « Cynisme politique et analyse transactionnelle. » Le Quotidien d'Oran, 13 février 2025. 2- Cf. A. Benelhadj op. cit. 3- Le président ukrainien rapporte son premier entretien téléphonique avec Joe Biden : « Ma première question était de savoir si l'on rejoindrait l'OTAN et il m'a répondu que non. » (Le Monde, mercredi 15 février 2025) 4- Ces élections conditionnent les négociations éventuelles que V. Poutine consentirait d'avoir avec V. Zelenski qui devra préalablement valider sa légitimité en tant que président. 5- La Slovénie a regretté que d'autres États membres de l'UE ne soient pas conviés. « Sur un plan symbolique, les organisateurs du sommet de Paris montrent au monde que, même au sein de l'UE, tous les États ne sont pas traités sur un pied d'égalité ». « Cela ne correspond pas à l'esprit du processus d'intégration européenne. Ce n'est pas l'Europe à laquelle nous aspirons. Ce n'est pas une Europe qui serait respectée dans le monde. Ce n'est pas une Europe qui serait un partenaire digne de l'allié nord-américain », a déclaré Mme Natasa Pirc Musar, selon le média Radiotelevizija Slovenija. (AFP, L. 17 février 2025) 6- Abdelhak Benelhadj : « Le mythe isolationniste américain ». Le Quotidien d'Oran, 16 janvier 2020. 7- Il convient de rappeler que l'OTAN n'a pas été créée (en 1949) pour répondre à la menace du Pacte de Varsovie (né en 1955 et dissout en 1991). 8- Fin mai 2005, un référendum a été soumis aux Français et aux Néerlandais en vue de l'adoption d'une Constitution européenne. Ce projet a été rejeté. Cela n'a pas empêché les dirigeants européens de le valider via le Traité de Lisbonne en reprit l'essentiel des dispositions en décembre 2007. 9- Une source à Riyad a par ailleurs déclaré à Reuters que le directeur du fonds souverain russe Cyril Dmitriev a rencontré la délégation américaine afin de renforcer les liens et la coopération économique entre les deux pays. |
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