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Un transport maritime vert pour une Afrique verte

par Chukwumerije Okereke*

ABAKALIKI - Les dirigeants africains se sont réunis début septembre à Addis-Abeba, en Éthiopie, à l'occasion du deuxième Sommet africain sur le climat, axé sur la nécessité de surmonter les obstacles à un développement résilient face au changement climatique sur le continent.

A travers leurs efforts d'élaboration de solutions, de promotion de l'innovation, et de mobilisation des financements, ces dirigeants refaçonnent l'action climatique mondiale. Dans le cadre de cette démarche, ils sont de plus en plus nombreux à considérer que la décarbonation du transport maritime – industrie qui représente près de 3 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) – pourrait constituer un puissant catalyseur de l'industrialisation verte de l'Afrique.

Les gouvernements africains se démarquent d'ores et déjà comme des acteurs clés dans les négociations sur la réduction des émissions liées au transport maritime. Ils ont contribué cette année à l'obtention de l'approbation du Cadre Net-Zero au sein de l'Organisation maritime internationale (OMI), agence des Nations Unies pour la réglementation maritime. Ce cadre inclut le tout premier mécanisme mondial contraignant de tarification des émissions de GES des navires de transport. Cette mesure, qui devrait être adoptée officiellement par l'OMI lors de sa prochaine session d'octobre, constitue une importante victoire pour l'action climatique multilatérale, et marque le début d'un processus en direction de la fin de la dépendance du transport maritime aux combustibles fossiles.

Le véritable test résidera toutefois dans la manière dont cette politique essentielle sera élaborée et mise en œuvre au cours des prochaines années. Pour les gouvernements africains, la question majeure est de savoir comment seront utilisées les recettes générées par le mécanisme de tarification de l'IMO, qui devraient atteindre 10 à 15 milliards $ par an d'ici 2030.

À condition d'être distribués équitablement, ces fonds pourraient aider l'Afrique à rattraper son important retard en matière énergétique, à moderniser ses infrastructures portuaires et ses flottes, ainsi qu'à investir dans des réseaux et des grilles de transmission permettant de libérer le potentiel considérable du continent dans le domaine des énergies renouvelables, notamment en ce qui concerne la géothermie, l'éolien et le solaire. Un réseau résilient est également essentiel pour la production d'hydrogène renouvelable et d'autres carburants de synthèse – solution énergétique la plus prometteuse à long terme pour l'industrie du transport maritime. Cela dynamiserait probablement les projets d'hydrogène vert existants en Afrique, tout en encourageant de nouveaux projets de ce type, accélérant ainsi l'industrialisation, stimulant le PIB, et positionnant le continent en tant qu'exportateur mondial d'énergie.

Jusqu'à présent, l'Afrique rencontre des difficultés pour développer ses abondantes ressources renouvelables, principalement en raison du coût élevé du capital. Les économies africaines demeurent tirées vers le bas par un endettement insoutenable et des notations de crédit médiocres, qui rendent prohibitif le coût des investissements dans les énergies propres. En raison des risques perçus, le continent ne perçoit actuellement qu'environ 2 % des investissements mondiaux dans les énergies renouvelables. Les recettes générées par le nouveau mécanisme de tarification du carbone de l'OMI pourraient ainsi être utilisées pour réduire les coûts initiaux, atténuer les risques liés aux investissements dans les énergies propres, et créer les conditions propices à une Afrique capable d'alimenter le transport maritime mondial.

Il est essentiel que l'OMI soutienne cette volonté d'exploitation des ressources renouvelables de l'Afrique, en créant des incitations fortes en faveur des carburants de synthèse. À défaut, certaines options moins coûteuses telles que le gaz naturel liquéfié (beaucoup plus destructeur pour la planète) et les biocarburants issus de cultures (qui accentuent la pression sur les systèmes alimentaires) risquent d'affaiblir l'hydrogène vert, et d'entraver les efforts fournis par les pays africains pour parvenir à une croissance et à un développement durables.

Une utilisation accrue des biocarburants serait particulièrement catastrophique pour les pays africains. Dans mon pays, le Nigeria, où des millions de personnes souffrent déjà de la faim, il serait à la fois immoral et économiquement irresponsable de détourner les cultures dans le but de créer du carburant pour les navires, qui transportent bien souvent des marchandises et des produits à destination des pays riches. La production de biocarburants aggraverait l'insécurité alimentaire, tout en amplifiant la déforestation, les émissions de gaz à effet de serre et la dégradation des sols – pour certains cas dans une mesure plus importante que la production de combustibles fossiles.

Comme beaucoup d'autres pays africains, le Nigeria a tout ce qu'il faut pour compter parmi les leaders du domaine des carburants durables destinés au transport maritime, bénéficiant notamment d'une abondance de soleil et de vent, ainsi que d'une main-d'œuvre jeune.

Il ne lui reste plus qu'à réaliser les bons investissements. À condition d'être intelligemment conçu, le cadre de l'OMI pourrait contribuer à fournir les fonds dont l'Afrique a besoin pour accroître ses capacités en matière d'énergies renouvelables. Échouer à élaborer une politique ambitieuse et équitable dans ce domaine, ce serait prendre le risque de limiter les perspectives de l'Afrique.

L'OMI se réunissant ce mois-ci à Londres pour adopter son Cadre Net-Zero, les pays africains doivent faire preuve du même leadership et de la même détermination que lors du deuxième Sommet africain sur le climat. En faisant en sorte que le continent récolte les fruits du nouveau mécanisme de l'IMO, ils donneraient un formidable exemple de ce que peut accomplir la coopération internationale. Un avenir résilient face au changement climatique est à portée de main, à condition que les voix africaines soient entendues et prises au sérieux sur la scène mondiale.



*Professeur de gouvernance mondiale du climat et de l'environnement, et directeur du Centre pour le climat et le développement de l'Université fédérale Alex Ekwueme de Ndufu-Alike