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Le travail n'est pas le bien-être

par Adanna Chukwuma*

WASHINGTON, DC – Mon premier emploi était dans un cybercafé. J'étais à l'école de médecine au Nigeria, mon pays d'origine, mais l'école n'était pas ouverte, car nos professeurs étaient en grève pour obtenir des augmentations de salaire. J'ai donc obtenu un poste à temps plein, pour fournir une assistance à des dizaines de clients penchés sur des ordinateurs de bureau.

Ma rémunération était variable, payée en espèces lorsque l'entreprise faisait «suffisamment de bénéfices». Elle couvrait à peine mes frais de subsistance et les avantages sociaux, qu'il s'agisse des soins de santé ou des congés de maladie, n'étaient pas inclus. Cet emploi m'a beaucoup appris. Mais la leçon la plus importante est peut-être que le travail ne garantit pas le bien-être.

Pendant des décennies, les politiques et les programmes de développement ont traité le travail et le bien-être comme des synonymes. Bien que le modèle de bien-être centré sur le travail soit considéré comme inadéquat dans certains cas – par exemple, pour les personnes vivant avec un handicap – la question de savoir comment devenir financièrement sûr reçoit généralement une seule réponse : trouver un emploi. Et les initiatives de développement se sont souvent concentrées sur la facilitation de ce processus.

Il y a de bonnes raisons à cela. Un emploi peut être une source de dignité et de motivation. Il peut structurer la vie quotidienne, créer des liens avec la communauté et offrir des possibilités d'épanouissement personnel et de développement des compétences. Le plus important est peut-être qu'un emploi procure un revenu, ce qui est essentiel à la sécurité économique.

Comme je l'ai cependant constaté de visu dans ce cybercafé, de nombreux emplois sont trop mal payés pour offrir un semblant de prospérité, et trop précaires pour assurer une stabilité financière. Alors que le taux de chômage mondial se situe à un niveau historiquement bas de 5%, plus de deux milliards de travailleurs dans le monde restent en situation d'insécurité financière.

En 2021, la Banque mondiale a constaté que 63% des adultes des économies en développement se disaient «très inquiets» au sujet d'une ou plusieurs dépenses financières courantes, et que 45% d'entre eux déclaraient qu'ils ne seraient pas en mesure d'obtenir des fonds supplémentaires pour couvrir une dépense imprévue importante dans un délai de 30 jours. La situation n'est guère meilleure dans les pays à revenu élevé. Aux États-Unis, 59% des personnes n'ont pas assez d'économies pour couvrir une dépense d'urgence imprévue de 1 000 dollars. Les 60% de ménages américains les plus pauvres n'ont pas les moyens d'avoir une «qualité de vie minimale».

Ce problème est appelé à s'aggraver. Qu'il s'agisse de conflits violents ou de perturbations technologiques, les chocs majeurs deviennent si fréquents et si graves qu'aucun emploi – même bon – n'offre de véritable sécurité. Parallèlement, l'inflation érode le pouvoir d'achat, en particulier celui des ménages aux revenus les plus faibles, dans de nombreuses régions du monde, ce qui compromet la résilience financière.

Pour aggraver la situation, de nombreux pays sont confrontés à un vieillissement rapide de leur population, ce qui signifie que moins d'adultes en âge de travailler doivent subvenir aux besoins d'un plus grand nombre de retraités. Les régimes de retraite traditionnels axés sur l'emploi devraient s'effondrer lorsque plus d'un quart de la population aura dépassé l'âge de travailler. Ce seuil sera franchi au niveau mondial en 2030.

Les décideurs politiques et la communauté du développement sont désormais confrontés à un choix urgent : soit regarder le fossé entre le travail et le bien-être continuer à se creuser, soit revoir notre approche, afin qu'elle se concentre non pas sur la maximisation de l'emploi, mais sur l'instauration d'un bien-être financier universel. Cela signifie que chacun peut couvrir ses frais de subsistance de manière fiable et épargner suffisamment pour faire face à la plupart des chocs sans avoir recours à des emprunts coûteux.

Les interventions efficaces comprendraient des politiques du travail qui garantissent des revenus adéquats et des prestations transférables, même pour les travailleurs occasionnels et informels ; des stabilisateurs automatiques, tels que l'assurance chômage et les allocations familiales ; et des programmes d'épargne accessibles, voire obligatoires. En outre, des campagnes d'éducation peuvent améliorer la capacité des gens à prendre de bonnes décisions financières.

Certaines de ces interventions existent déjà. Le Fonds central de prévoyance de Singapour favorise la sécurité financière à long terme en aidant les citoyens à accumuler de l'épargne en vue d'un large éventail d'objectifs, notamment la retraite, l'accession à la propriété et les soins de santé. Le programme KiwiSaver de Nouvelle-Zélande, un programme volontaire axé sur l'épargne-retraite, a montré que l'inscription automatique augmentait considérablement son impact. La garantie pour l'enfant de l'Union européenne permet aux enfants dans le besoin d'accéder à des services essentiels, ce qui allège la pression financière sur les familles.

D'autres initiatives de ce type sont en cours de développement. Aux États-Unis, la proposition de loi sur le programme pilote de prestations transférables pour les travailleurs indépendants (Portable Benefits for Independent Workers Pilot Program Act) permettrait de tester des modèles de prestations pour les travailleurs itinérants. Si nous voulons construire un monde dans lequel chaque personne est à l'abri de ses problèmes financiers actuels et futurs, il reste cependant encore beaucoup à faire.

Les critiques pourraient faire valoir que dissocier le bien-être du travail réduirait l'incitation des gens à participer au marché du travail. L'expérience a toutefois montré que lorsque les gens jouissent d'une sécurité financière, ils prennent de meilleures décisions en matière d'emploi, investissent dans l'éducation, prennent des risques entrepreneuriaux et contribuent de manière plus productive à l'économie. Le coût du maintien du statu quo – sous la forme d'une perte de productivité, d'une augmentation des dépenses de santé et d'interventions d'urgence en cas de crise – éclipse celui de l'investissement dans le bien-être financier universel. J'ai la chance de ne plus avoir un emploi qui n'offre pas d'avantages sociaux ou de revenus suffisants pour épargner. Cela ne devrait toutefois pas être une question de chance. Tout le monde mérite un bien-être financier de base et, ce qui est peut-être plus important, nous avons les moyens de l'assurer.



*Directrice principale de la mesure de l'impact mondial chez Visa, est membre du projet OpEd et d'Equality Now.