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Développer l'investissement dans l'économie bleue durable en Afrique

par Marisa Drew*

LONDRES - Alors qu'elle permet le transport de 80 % des échanges commerciaux mondiaux, qu'elle absorbe 30 % des émissions de dioxyde de carbone et qu'elle sous-tend la sécurité alimentaire d'environ trois milliards de personnes, l'économie bleue mondiale (océans et cours d'eau) souffre d'un important sous-investissement, particulièrement en Afrique.

F Face à une volatilité économique accrue, ainsi qu'à des contraintes financières de plus en plus significatives, la transition vers une économie bleue plus durable constitue pour le continent africain une opportunité majeure, largement sous-estimée.

Il ne s'agit pas ici d'une idée abstraite. Compte tenu de     l'appétit des investisseurs pour les rendements durables et évolutifs, l'opportunité est évidente, et les gouvernements sont en train d'en prendre conscience.

S'étendant sur plus de 30 000 kilomètres de côtes, l'économie bleue africaine génère chaque année 300 milliards $ de chiffre d'affaires.

Elle est par ailleurs idéalement placée pour tirer parti de l'évolution générale vers des modèles plus durables. D'après les prévisions de l'Union africaine, l'économie bleue représentera 405 milliards $ en 2030, et 576 milliards $ en 2063. Le nombre d'emplois dans ces secteurs en développement pourrait passer de 49 millions en 2019 à 78 millions en 2063.

La mise en évidence des secteurs les plus prometteurs permet d'inscrire ces chiffres dans leur contexte. Prenons l'exemple du secteur de l'alimentation, au sein duquel le développement de pratiques durables d'aquaculture et de pêche pourrait contribuer à répondre à la demande croissante de protéines en Afrique et ailleurs.

D'après nos calculs, la production de poisson basée sur une aquaculture durable pourrait être multipliée par huit en Afrique, pour atteindre environ 19 millions de tonnes métriques par an d'ici 2050.

Le secteur énergétique est tout aussi prometteur. Selon une étude de la Banque mondiale, l'Afrique du Sud pourrait atteindre une capacité éolienne offshore de 900 gigawatts, et elle n'est pas la seule. Au total, l'éolien en mer pourrait à lui seul multiplier par 45 la production d'électricité en Afrique.

L'économie bleue durable a également un rôle important à jouer dans l'adaptation au changement climatique. Le niveau de la mer augmentant plus rapidement que la moyenne mondiale sur une grande partie du littoral africain, la restauration et la préservation du milieu marin peuvent renforcer la résilience naturelle, tout en conférant des avantages aux systèmes alimentaires, à la biodiversité, ainsi qu' à d'autres secteurs tels que le tourisme.

Pour que l'économie bleue soit réellement durable, l'Afrique et le Moyen-Orient auront cependant besoin d'environ 70 milliards $ d'investissements annuels d'ici 2030. Sur la voie de cet objectif, il est nécessaire que les gouvernements s'appuient sur des mécanismes financiers innovants, afin d'injecter davantage de capitaux dans l'économie bleue, et de faire avancer des projets durables et évolutifs. Fort heureusement, la demande relative aux solutions de ce type augmente, et plus de 80 % des pays africains ont d'ores et déjà intégré l'économie bleue dans leurs plans de développement nationaux ou leurs stratégies climatiques.

Sur de nombreux marchés, les décideurs commencent à considérer les océans comme un actif stratégique, qu'il convient de protéger et de gérer durablement. Pour autant, alors même que les instruments de dette bleue présentent un potentiel considérable, de nombreux émetteurs ne tirent toujours pas parti de l'opportunité offerte par le marché de la dette durable. Une plus grande utilisation des obligations bleues, des prêts liés à la durabilité et des obligations sociales pourrait orienter les capitaux dans les directions où ils sont le plus nécessaires.

De même, les conversions de dette en faveur de la nature - souvent appelées « swaps dette-climat », au moyen desquels les financements ou l'allègement de la dette sont explicitement conditionnés à des projets durables - constituent des options attrayantes pour les émetteurs souverains, en fonction de leurs caractéristiques financières. Ces transactions peuvent réduire les paiements au titre du service de la dette, et libérer des capitaux pour soutenir les objectifs de durabilité d'un pays.

À titre d'exemple, Standard Chartered (chez qui j'exerce au poste de directrice du développement durable) a travaillé l'an dernier en partenariat avec le gouvernement des Bahamas, The Nature Conservancy et la Banque interaméricaine de développement (BID) pour lancer une conversion de dette innovante en faveur de la nature et du climat. Ce projet devrait générer 124 millions $ en soutien à la préservation des océans, ce qui prouve que cette catégorie d'actifs se développe actuellement rapidement, présentant par ailleurs un potentiel significatif de déploiement à plus grande échelle.

En outre, les efforts visant à développer des stratégies et des pratiques durables dans le domaine de l'économie bleue sont de plus en plus soutenus par des réformes réglementaires, des programmes de planification de l'espace marin, et des modèles de coopération régionale tels que l'initiative Great Blue Wall de l'Union internationale pour la conservation de la nature. Ces démarches posent les bases d'une multitude de projets attractifs pour les investisseurs, appuyés par des actifs réels, une propriété locale et des rendements mesurables.

Cette tendance gagnera en dynamique cette année. Ce mois de juin, le Blue Economy and Finance Forum et la Conférence des Nations Unies sur les océans offrent l'opportunité de présenter des projets intéressants aux investisseurs mondiaux, et d'accélérer la croissance de l'économie bleue durable en Afrique.

Les risques - qu'il s'agisse des goulots d'étranglement réglementaires ou de l'insuffisance des capacités de développement des projets - peuvent être gérés aux côtés des bons partenaires.

Conférer de la durabilité à l'économie bleue africaine n'est relève plus de l'expérimentation. Comme le révèle notre étude la plus récente intitulée Harnessing Africa's Blue Economy, ce marché croissant est propice à l'investissement. Banques, gestionnaires d'actifs et gouvernements ne peuvent plus se permettre de l'ignorer.



*Directrice du développement durable chez Standard Chartered.