|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Il m'en souvient, à quelques
heures, avant le premier vendredi du Hirak, 22
février 2019, j'entendais comme je m'entendais dire, qu'il n'y a pas de peuple.
Pourtant nous sentions presque tous l'odeur de la révolte nous monter aux
narines. Nous ne voulions pas y croire à cause du silence qui n'a que trop
duré. Vingt ans de 3 bouteflikisme3 , de corruption
généralisée et affirmée jusqu'au plus haut niveau de l'État, sans vergogne.
Vingt ans durant lesquels, particulièrement ces dernières années chacun d'entre
nous disait, le peuple va manifester. « Mais non, qui va manifester ? Il n'y a
pas de peuple, barkana, ce n'est pas un peuple hada, c'est du ghachi ». Aucun
sociologue n'a vu venir le «Hirak», certains
d'ailleurs spéculaient sur des sujets qui faisaient l'affaire du pouvoir, comme
la citoyenneté, l'inversion, et d'autres sujets, mais pas sur un mouvement
national «facebooké», que le régime, aussi, noyé dans
son autisme profond, n'a pas du tout envisagé.
Comment se fait-il donc que nous soyons passés, d'une nuit à son aube (min leyla ila dohaha), de «il n'y a pas de peuple», à «il y a un peuple» ? Moi je me rappellerai d'une chose. J'ai souvent rappelé à mes amis que le peuple finira par bouger, j'y croyais certes, parfois timidement, mais j'y croyais quand même, et mes amis les plus proches dénigraient mon propos, et je n'en faisais pas cas, parce que mon sentiment d'un peuple qui finit par jeter l'éponge était fort. Je disais, à l'instar de Marx, que « les forces du peuple n'hibernent jamais éternellement ». Le temps a fini par me donner raison. En effet, pendant de longues années, dans les pages de Le Quotidien d'Oran, je dénonçais incessamment l'urbanisme d'État, ses dérives, son inadaptation au mouvement social, l'érosion des méthodes administratives dans le domaine, les abus et comportements mafieux de walis qui sont passés par notre ville (Boudiaf, Zaalane) et les démolitions qu'ils ont orchestrées comme les anciennes Halles Centrales remplacées par une construction hideuse qu'on attribue semble-t-il à Haddad, et Dar Diaf. J'en suis arrivé à dénoncer même les transformations aberrantes que subit mon université, USTO, par la construction d'édifices affreux qui n'ont aucun rapport avec l'œuvre de Kenzo Tange qui elle-même donne l'air d'être délaissée. Tout cela pour dire que le combat a commencé pour certains depuis une dizaine d'années. Il a commencé étrangement avec des architectes dont la voix a porté la détresse de certains Algériens qui ont encore le sentiment d'être une société dans une autre. Mohamed Larbi Merhoum a excellé avec ses analyses politiques de l'état de l'urbanisme algérien, ses lucidités, comme lorsqu'il disait que « nous sommes passés d'une période de Boumediene, où il y avait un projet de société, même politique et imposé, sans individus, à une période de Bouteflika où il n'y a que des individus, sans projet de société » C'est grâce à Mohamed Larbi Merhoum, je dois dire, que ma conscience de 3 l'urbanisme de l'espace privé algérien3 s'est cristallisée. J'ai fini par comprendre dans le sens de voir clairement que l'Algérien a été paramétré sur le principe de l'espace privé partout, en construisant, en commerçant, en conduisant, en priant, en s'appropriant? etc., ce qui est en soi, une orientation parfaitement contraire à la notion de citoyenneté qui n'a de sens qu'avec ces deux principes : intérêt général et espace public. En ce sens, ce sont ces vendredis qui ont retenti dans le monde entier, qui ont cristallisé la puissance de l'espace public algérien, qui ont rappelé que le vendredi n'est pas qu'un jour de prière, mais aussi un espace temps républicain et laïc. Tout le monde est sorti ensemble manifester son désir d'une Algérie toute autre que celle que le clan a forgée, une Algérie de la médiocratie qui a donné la parole aux affairistes mafieux et à des ministres qui ont affiché ouvertement leur mépris du peuple et leur détachement de ce dernier. Salaires et retraites excessifs, avantages abusés, et côtoiement des mafieux comme 3 el bouchi3 qui apparaît à l'arrière-plan d'une photo sur laquelle apparaît un ministre, d'Oran, qui se reconnaîtra et n'ayant pas été à ce jour inquiété. Dans l'appareil d'État, tout le monde est devenu affairiste, et tout le monde, éhonté, n'a pas hésité à le montrer. Ainsi des ministres parmi les plus scandaleux, crachaient leur supériorité fallacieuse sur des directeurs, c'est le cas de H. Feroun qui nous a plongés dans le rang du dernier pays connecté à internet, ou A. Temmar dont la réputation de responsable d'urbanisme est parmi les plus insoutenables d'Oran, connu pour le désastreux boulevard Millénium de cette même ville et qui s'est limité au statut de ministre des AADL, ou Zmeli, qui n'est pas meilleur, architecte qui déclare des sottises à propos du diabète en plein écran. Comment mon Algérie bien-aimée en sommes-nous arrivés là ? Bouteflika c'est surtout une ère de dérapage politique très grave, qui s'est dépeint sur la société algérienne, et m'a fait dire que nous sommes au point de « reste de société ». Parce que ce qu'il ne faut pas perdre de vue, c'est qu'écarter le système est tout à fait possible, mais « citoyenniser» quarante millions d'Algériens, c'est la véritable révolution à mener. Pour ce faire, il n'y a pas mieux que la vigilance. Jusqu'hier, quatrième vendredi, sur la Djazairiya One, je voyais des jeunes autour d'une journaliste, qui proféraient des sottises, comme « qu'ils partent, Allah yessmah elhom ». J'en étais atterré, car je n'ai pu m'empêcher de me dire que non seulement la loi de l'impunité est toujours en cours, mais que ces jeunes qui parlaient très mal, comme si la journaliste avait fait exprès de les inviter, étaient tous en mèche avec le pouvoir toujours en place. C'est pour cela qu'il est plus que nécessaire, c'est un devoir, pour la réussite de ce Hirak de choisir les meilleurs, par leur culture, instruction, leur parcours, mais aussi leur ouverture sur le monde. Peu importe leur âge. Il est temps que l'Algérie revienne au monde ! Être dans le monde, c'est aussi beaucoup de travail sur soi. C'est apprendre ou réapprendre pour d'autres à se reconnaître dans sa berbérité séculaire et fermer définitivement la page du baatisme saoulant des années 1960 et 1970, et refuser l'islamisme politique sous toute ses formes. Non à la haine et le sectarisme de Belhadj, Djaballah, et l'hypocrisie des Soltani et association des (pseudo-) savants musulmans qui agitent tous la carte de la religion pour gagner la sympathie du peuple. La religion est une affaire strictement personnelle, et l'islam mérite de retrouver son statut de religion de paix et de science, d'espace public pour tous, musulmans ou pas. C'est en me mêlant aux jeunes en pleines manifestations que j'ai compris, qu'il y a quelque chose qui a surgi, pas seulement chez les jeunes, chez tous les Algériens, celle d'avoir débusqué le 3 complotisme3 des malades du pouvoir, Issabatt el sarakine3 (gang des voleurs), que le peuple c'est le pouvoir, et que peut-être, désormais, beaucoup de choses ne seront plus comme avant. |
|