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Gestion
socialiste des entreprises
En effet, par l'ordonnance 71.74 du 16 novembre 1971, il a été décidé la promulgation de cette nouvelle approche dont la nouveauté réside dans l'introduction de la dimension idéologique dans l'entreprise, concrétisée par la dimension participative des travailleurs à la gestion de l'entreprise considérée comme instrument de développement à la fois économique et social. Une panoplie de textes et lois définissent les principes directeurs de l'organisation de l'entreprise dans la gestion socialiste qui visent l'harmonisation structurelle des entreprises et ont donné à la notion entreprise publique une nouvelle connotation que M. Boussoumah a justement relevée: « le terme entreprise publique désigne depuis 1971 tantôt une notion conceptuelle, tantôt une notion fonctionnelle». Cette diversité d'approches conceptuelles a conféré à l'entreprise publique la possibilité de se concevoir comme authentique modèle combinant l'unicité de commandement avec pouvoir hiérarchique par délégation et une cogestion effective exercée par un conseil de direction, où les travailleurs sont représentés, situation qui permet d'associer l'ensemble (direction et travailleurs) à la gestion quotidienne de l'entreprise. Le 24.02.1971, lors de la commémoration du XVe anniversaire de l'UGTA, feu le président Boumediene déclarait : «Nous avons donné par le passé la priorité à l'autorité des directeurs car notre économie malade nécessitait des mains fermes au sommet. Aujourd'hui nous avons atteint un stade où le problème du contrôle se pose avec insistance». Il est évident que ce mode de gestion est considéré non seulement comme étant la concrétisation de faire participer les travailleurs à la gestion de leur entreprise mais également comme un instrument de contrôle, à savoir le contrôle populaire. Sur le plan théorique, la GSE à l'époque était considérée comme le moyen qui permettait la concrétisation de l'idéologie politique de l'Etat algérien basée sur l'adéquation des intérêts des travailleurs et de l'Etat aseptisés de tout conflit qui n'a pas raison d'être, charte et ordonnance du 16.11.1971. «Si l'entreprise privée est caractérisée par une contradiction permanente entre les intérêts du patron et ceux des travailleurs, les intérêts des producteurs et ceux de l'Etat sont indissociables». Malgré cette déclaration de foi, la pratique sur le terrain a généré une réalité qui se résume par la réalisation d'objectifs dénués de toute rationalité économique, l'accent était mis sur la satisfaction de considérations politico- administratives conformément aux orientations des instances politiques de tutelle, sources de toutes les impulsions et non d'un marché régulateur. Restructuration des entreprises Malgré la prééminence de la pensée idéologique et la réalisation des objectifs qui s'inscrivaient dans son sillage, les bilans effectués montraient des déficits chroniques et un essoufflement certain de l'économie, c'est pourquoi l'adoption de la restructuration des entreprises fût décidée mais sans que les principes directeurs et les «acquis» des travailleurs soient remis en cause. Le président Chadli, en s'adressant aux cadres de UGTA le 04.09.83, disait : «?les questions ayant trait à ce sujet seront examinées à la lumière de l'efficacité exigée de l'appareil de production et dans le respect total de l'esprit de la gestion socialiste qui concrétise les aspirations légitimes de tous les travailleurs. Tous les efforts seront déployés pour clarifier tout ce qui peut paraître confus dans les textes.» Cette prise de position par rapport à la nécessité de procéder aux changements fut reprise le 15.09.83 par le secrétaire général de l'UGTA qui disait : «Ainsi, s'il y a eu des correctifs à quelques textes, notamment la charte de la révolution agraire et celle portant Gestion Socialiste des entreprises, les fondements, les principes directeurs, ainsi que les acquis des travailleurs restent immuables.» Il est clair que les réminiscences des périodes précédentes, fortement imprégnées de considérations idéologiques, ne peuvent être facilement oubliées, ou encore moins officiellement reniées. Néanmoins une remise en cause systématique commençait à prendre forme et à préparer le terrain à l'avènement de l'économie de marché qui, sous l'impulsion combinée des performances médiocres de l'économie algérienne et de conjonctures internationales défavorables, s'est imposée comme seule et unique système économique en mesure de sortir l'Algérie de la situation de marasme généralisé. Autonomie des entreprises et économie de marché Le leitmotiv de la nouvelle approche est de soumettre l'économie à la seule logique du marché et de mettre fin à la situation de l'Etat providence (Etat entrepreneur). A partir de là l'Algérie s'est retrouvée confrontée à une nouvelle logique, de nouveaux défis et par conséquent un travail d'adaptation d'envergure est exigé tant des structures et institutions que des hommes qui les dirigent. De véritables chantiers de repositionnement ont vu le jour, déjà la charte de 1986 introduisit une modification d'une importance capitale en recommandant aux entreprises étatiques de fonctionner dans le respect de la rationalité économique et de revenir à une conception réaliste et technique du système de prix. Outre la revue des étapes importantes de l'histoire du développement économique de l'Algérie indépendante, il est également d'importance de faire référence à la conception de l'entreprise. Généralement deux conceptions se disputent le sujet, la conception univoque et celle complexe. - Approche univoque de l'entreprise : cette approche est fondée sur la notion de la firme, qui assimile l'entreprise à un acteur passif sans autonomie aucune, soumis aux impératifs et contraintes du marché, la notion de marché n'est pas à considérer dans l'optique obtuse de recherche de profit et à connotation de mondialisation ; elle s'inspire de la conception inspirée de l'hypothèse centrale du modèle d'affectation des différentes ressources, souvent selon des opportunités contractuelles dans un environnement pas forcement favorable. Walras écrivit : «La firme n'a rien d'autre à faire que d'appliquer mécaniquement les règles du calcul : la firme se comporte comme un automate, programmée une fois pour toutes». Il ressort de façon claire que cette approche ne met pas seulement en évidence l'aspect libéral de l'économie prônée, mais aussi les principes de la pensée classique en organisation. Il est également évident que cette conception de l'entreprise induit une prise en considération d'une multitude d'approches contractuelles que l'entreprise peut contracter, et qui de façon certaine ont une influence sur la gestion des ressources humaines en déterminant les stratégies d'actions des décideurs à différents niveaux. -Approche de l'entreprise organisation complexe : cette approche induit indubitablement la prise en considération simultanée d'un ensemble de paramètres qui, tout en structurant l'entreprise en organisation, y sont structurés ; cette mise en communauté et en symbiose de phénomènes diversifiés suppose une démarche systémique intégrant l'entreprise dans ses différentes composantes avec son environnement dans le cadre d'une pluridisciplinarité, ce qui a ouvert de nouvelles perspectives quant à l'étude de l'entreprise. Cette réalité se manifeste donc par la prise en compte de l'historique de l'entreprise en axant l'intérêt sur le projet fondateur de l'entreprise et ses éventuelles interprétations, sur la façon de structurer l'entreprise et sur son organisation architecturale, sur la l'amorce des stratégies adoptées et les impulsions qui leur sont liées, sur la façon de concevoir le pouvoir et de l'exercer, sans occulter l'apport de l'identification et détermination des opportunités, des enjeux, des défis, des obstacles et autres paramètres que l'entreprise aura à favoriser ou à éviter. Au-delà des implications distinctes de ses deux approches sur la façon de concevoir l'entreprise, l'entreprise pour les besoins du présent article est à considérer comme une communauté d'hommes qui lui permet de se structurer autour d'un projet collectif qui définit la manière de produire, le type de compétence et le niveau de savoir-faire, et également de s'inscrire implicitement ou explicitement dans une certaine éthique. Cette configuration nous amène à situer l'entreprise dans sa dimension institutionnelle, cette dernière, quand bien même contenant les attributs les plus pertinents, ne semble pas être forcément la plus dominante, le modèle de l'entreprise anglo-saxonne représenté par le standard de l'entreprise contrat tend à la surplomber surtout avec le développement de la mondialisation. Un débat sur la physionomie de l'entreprise et la détermination des ses différents attributs, rôles, prérogatives est d'actualité, en vogue, et suscite d'énormes attentions et intérêts. Néanmoins la présente acceptation ne peut le contenir au vu de son importance et des ses ramifications. Renaud Sainsaulieu (1992) en résuma la portée et écrivit: «L'entreprise, une affaire de société». Il est clair que l'entreprise économique algérienne ne reflète pas les contours que les deux conceptions brièvement présentées prévoient et déterminent : ce qui vraiment colle à l'entreprise algérienne c'est son caractère d'appendice idéologique ce que nous devons mettre en exergue dans tout travail de conceptualisation ou d'audit. L'évolution de l'entreprise suivant l'historique peut être appréhendée dans le sens que l'objet du changement dans sa totalité subit des changements, une refonte globale du système est mise en branle, une sorte de reconstruction de la réalité dont l'essentiel se fonde sur la permanence de l'essentiel avec greffe de nouveautés après suppression du désuet. La différence pourrait se situer au niveau de l'impact et de l'ampleur du changement occasionné. Edgar Morin (1987) a superbement expliqué le phénomène du changement et de la mutation suivant l'évolution, explication que j'adopte dans ce cadre précis : «Pour comprendre ce qu'est une métamorphose, écrit-il, considérons celle qui transforme une chenille en libellule. La chenille s'est enfermée dans la chrysalide, soudain ses phagocytes chargés de la défendre contre les organismes extérieures s'attaquent à son organisme même, ils détruisent ses organes, y compris son système digestif puisque la libellule changera de nourriture; seul est épargné le système nerveux qui maintient l'identité de l'être et contrôle sa métamorphose. Tout le reste de l'organisme est ravagé, c'est dans cette destruction sans merci que s'opère la construction d'un être totalement nouveau et pourtant radicalement le même». L'entreprise Algérienne peut-elle être considérée dans cette optique ? L'homéostasie comme deuxième type de changement possible peut être assimilée au changement qui intervient à l'intérieur du système dont l'objectif est la préservation de l'équilibre. L'attention n'est pas dirigée vers la modification du système mais sur les capacités et les aptitudes qu'a le système pour s'autoréguler. Par comparaison au changement du type évolution, le changement à la recherche de l'homéostasie est une caractéristique inhérente à tout organisme de quelle nature que se soit donnant l'impression de l'immobilisme et cultivant le statut quo. Pour revenir aux entreprises économiques occidentales et au management qui y prévaut, on se rend compte que les changements enregistrés sont plutôt de type homéostatique que le résultat de bouleversements structuraux ou d'évolution de systèmes ; l'histoire du management occidental se présente en une succession de processus adaptatifs donnant à l'instrumentalisation des dysfonctionnements et chaos de la praxie sociale et sécrétions multiformes de l'évolution tourmentée du XXe siècle une pertinence particulière. Cette réalité peut-on la considérer comme valable pour l'entreprise publique économique algérienne ? il est évident que la réponse est négative. Les réformes engagées après l'adoption de l'économie de marché ont introduit les entreprises dans une dynamique de refonte totale, de remise en cause fondamentale et totale. Les changements qui concernent l'entreprise économique algérienne sont de type évolution que l'exemple éthologique qu'Edgar Morin présente constitue une analogie édifiante. Il met en évidence la présence d'une force interne, sorte de programmation qui, en se mettant en branle, transforme le tout à l'exception du système nerveux qui est épargné et à qui est dévolu le contrôle du processus et la préservation de l'identité de l'être en cours de mutation. Concernant le processus de mutation de l'entreprise économique algérienne, le maître d'œuvre est extérieur à l'entreprise. Il s'agit de la conjoncture économique caractérisée par des contraintes biens réelles qui n'ont rien de théorique, souvent apostrophées et régulièrement critiquées, mais n'en constituent pas moins la lame de fond qui en ce moment rend parfois l'entreprise méconnaissable, quand elle ne la détruit pas. La mise en place des réformes conduit parfois à la liquidation pure et simple d'entreprises, souvent à des suppressions d'emplois, toujours à une demande de renoncement de la part des salariés de leurs habitudes, et l'exigence qui leur est faite de changer de comportements pour qu'ils soient conformes aux nouvelles configurations érigées en normes. Face à cette nouvelle configuration, l'entreprise économique se doit de s'initier à un nouvel apprentissage qu'impliquent les nouvelles donnes, apprentissage qui prend consistance dans l'obligation de remise en cause des certitudes, l'acceptation de nouvelles conjectures, la reconstruction d'une réalité par la mise en œuvre de stratégies favorisant le changement et le concrétisant. Il devient clair que les jugements hâtivement prodigués à soubassement moral, juridique, éthique, déontologique ne sont pas de nature à générer les solutions adéquates mais contribuent à coup sûr à plus de pollution. Parallèlement à cet état de fait, la prise en considération de l'acceptation de la notion de travail, de son sens sont également porteurs de signification et permettent d'expliquer le niveau d'adhésion des travailleurs, de leurs performances. L'entreprise algérienne n'est pas performante, conséquence du niveau de rendement individuel et collectif insuffisant. Les travailleurs ne sont pas motivés dans l'exercice de leurs missions, ils ne s'impliquent pas. Pourquoi ? Avant d'y répondre, il est utile peut-être utile de savoir si ce comportement est spécifique au travailleur dans l'entreprise algérienne ou au contraire c'est un comportement «normal» que le management dans les autres pays a réadapté au profit de la performance organisationnelle. Pour se faire à la notion de travail mérite une attention particulière. Pour mieux appréhender la notion de travail, son rapport avec la logique managériale et les impératifs de la performance de la GRH, il est important de situer les différents termes de l'équation à l'investigation tant épistémologique qu'historique ; en faire l'impasse conduirait à coup sûr à se fourvoyer dans les dédales de l'usage instrumentalisé très souvent à la solde de l'emprise idéologique qui dans le contexte est par nature intimement liée. A suivre... *Professeur, docteur en psychologie des organisations et GRH |
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