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Le frein occidental qui devient malgré lui le «financier du monde» (1ère partie)

par Medjdoub Hamed

Depuis le «dopage monétaire», dans le cadre de politiques monétaires non conventionnelles, pour contrer la crise financière de 2008, les liquidités injectées restent pour beaucoup incompréhensibles. Des économistes de tout bord s'insurgent contre ce processus de création monétaire ex nihilo opéré par la Réserve fédérale américaine, suivie par la zone euro, la Grande-Bretagne et le Japon. Même le gouverneur central de la Banque de Chine, Zhou Xiaochuan, et l'ancien ministre de l'Economie brésilien, Guido Mantega, sous les gouvernements de Lula da Silva et de Dilma Rousseff (2006 à 2014), ont critiqué ouvertement ces politiques monétaires. Pourtant ces politiques d'assouplissement monétaire non conventionnel américain ont rendu d'immenses services à l'économie mondiale. Qu'en est-il réellement ?

Les mécanismes de la création monétaire par les banques

Tout d'abord, faisons un bref exposé de la création monétaire. Aussi posons la question: «Qui crée de la monnaie ?». La plupart des gens usent de l'argent mais ne savent pas que souvent ce sont eux qui créent indirectement l'argent en s'octroyant des crédits par leur banque. La banque ne fait que les accompagner dans la création monétaire en leur accordant un crédit contre, par exemple, une garantie (hypothèque, titres, etc.). Et les banques commerciales, qui sont habilitées à recevoir de l'argent (dépôt), le sont aussi pour l'octroi de crédit. Le mécanisme de création monétaire trouve son origine dans les crédits accordés par les banques. Dans les faits, lorsqu'une banque consent un crédit à un client donné, en contrepartie d'une créance (titres immobiliers, obligations, etc.) qu'elle enregistre comme actif dans son bilan, le client dispose d'un dépôt à vue dans cette banque, égal au montant à la somme prêtée, et enregistré comme un passif puisque la banque doit ce montant à son client. Il y a donc création de monnaie: la banque n'a pas ponctionné dans ses réserves pour prêter le montant à ce client, elle a inscrit une créance dans son bilan.

Lorsque le client rembourse le crédit, la banque efface la créance de son bilan. Il y a destruction de monnaie, ce qui montre que le processus de création monétaire est provisoire. Il n'y a création nette de monnaie que lorsque les nouveaux crédits l'emportent sur les crédits remboursés. Les banques commerciales n'ont pas pour seuls clients des particuliers, elles accordent aussi des crédits aux entreprises et à l'Etat. En échange de créances publiques (bons de Trésor) garanties par l'Etat, elles accordent des crédits au Trésor.

Un autre moyen de création monétaire pour les banques est l'échange de devises. Un particulier ou une entreprise peut demander à une banque d'échanger ses devises en monnaie locale. En contrepartie de la création monétaire, la banque va acquérir une créance sur le pays émetteur de cette devise étrangère.

Enfin la Banque centrale crée aussi de la monnaie. Lorsque les banques commerciales ont besoin de monnaie pour leurs transactions, ou pour constituer des réserves, elles cèdent des titres (bons de Trésor, créances éligibles) à la Banque centrale qui, en échange, crédite leur compte. De même, lorsque le solde de la balance commerciale d'un pays est excédentaire, la Banque centrale crée de la monnaie en contrepartie de l'entrée nette de devises, et inversement en cas de déficit commercial. La demande de crédit, et donc de la création monétaire, suit de près l'activité économique. En période d'expansion, la masse monétaire, dopée par les investissements et les dépenses des agents économiques, va augmenter, et inversement en période de repli de l'activité. Pendant les «Trente Glorieuses», i.e. après la Deuxième Guerre mondiale, période de la reconstruction de l'Europe et de remise à niveau, des pays du reste du monde (Asie, Afrique, Amérique du Sud?) qui ont édifié ou consolidé leurs Etats, pour beaucoup sortis de la colonisation, cette période a été très favorable à la croissance économique mondiale. Durant ces années, la politique monétaire a servi de levier pratiquement pour tous les pays pour soutenir leurs économies.

L'inflation était moyennement maîtrisée dans les années 1960, autour de 5% pour les pays riches, mais les deux chocs pétroliers des années 1970 vont remonter fortement l'inflation suite aux crises monétaires en Occident. Après une décennie de stagflation, i.e. une situation de hausse du chômage et d'inflation, les politiques keynésiennes perdant de leur effet, un consensus s'est dégagé au sein des pays riches pour concentrer la politique monétaire sur la lutte contre l'inflation. Ce consensus est toujours actuellement au cœur des politiques monétaires des Banques centrales émettrices des principales devises internationales (dollar, euro, livre sterling et yen).

Et le principal instrument de la Banque centrale est la modulation des taux d'intérêt. En augmentant ou en baissant son taux directeur, la Banque influe sur le coût de refinancement des banques commerciales sur le marché monétaire, dans lequel s'échangent des titres à court terme contre de la «monnaie banque centrale». La Banque centrale peut également jouer sur le taux de réserve obligatoire imposé aux banques commerciales: plus celui-ci est élevé, moins la masse de crédits accordés aux agents économiques sera importante, et inversement.

Enfin, la Banque centrale utilise aussi les opérations d'open-market qui consiste à l'achat ou à la vente de titres, particulièrement les bons de Trésor, sur le marché interbancaire, afin de faciliter l'obtention de liquidités ou de les ralentir. Si elle injecte des liquidités, la Banque centrale fait baisser les taux d'intérêt et facilite les conditions de crédit, et inversement si elle les retire.

Après ce bref exposé, regardons ce qui s'est passé lorsque la crise financière a éclaté aux Etats-Unis, à l'été 2008, suite à la crise des «subprimes» (crédits hypothécaires à risque), en 2007. Les banques américaines, truffées de subprimes dans leurs bilans, ont arrêté de se prêter entre elles. La méfiance entre les banques, le volume de créances irrécouvrables, les pertes financières considérables ont obligé les pouvoirs publics tant aux Etats-Unis que dans le reste de l'Occident à venir au secours à leurs systèmes bancaires.

Rétrospective : Quantitative easing : QE1, QE2, QE3

Quand les banques ne se prêtent plus entre elles, il y a un risque de «crédit crunch», i.e. une pénurie de crédit, et par conséquent une hausse des taux d'emprunt, et un besoin fort de garanties pour obtenir un prêt. Et, pour favoriser les prêts, la Réserve fédérale américaine (Fed) a baissé le taux d'intérêt directeur à son plancher, à 0,25% le 16 décembre 2008. Face à une situation exceptionnelle, les Banques centrales, qui voient leur outil traditionnel, le taux d'intérêt directeur perdant d'efficacité, n'ont plus que les liquidités pour venir au sauvetage de leurs banques.

Il était nécessaire de casser cette méfiance entre banques, et libérer les crédits pour l'économie, et le seul moyen a été le refinancement des banques. Et c'est ainsi que la Banque centrale américaine se mit à lancer des programmes de rachat de titres auprès de ses banques. En achetant des bons de Trésor américain, européen, et des créances hypothécaires (subprimes MBS), la Fed, par la création monétaire (planche à billets), augmenta les réserves des banques, ce qui permit une baisse des taux d'intérêt interbancaire et stimula l'octroi des crédits à l'économie. Les Banques centrales en Europe prirent les mêmes dispositions monétaires pour venir en aide à leurs systèmes bancaires.

Le premier programme d'assouplissement monétaire non conventionnel, ou «Quantitative Easing 1», prit fin en juin 2009, aux Etats-Unis. Un montant de rachats de créances publiques et privées de 1.700 milliards de dollars a été réalisé.

Un deuxième programme QE2 est lancé, le 3 novembre 2010. Il s'agissait pour la Réserve fédérale d'acheter 600 milliards de dollars de bons de Trésor, et de titres privés, jusqu'à la fin du deuxième trimestre de 2011. Le montant du QE2 passera à 1.000 milliards de dollars, en juin 2011.(1)

En septembre 2011, la Fed lance l'opération Twist. Semblable au QE2 sauf que les liquidités injectées sont stérilisées, i.e. sans création monétaire. Dans le but de baisser les taux d'intérêt des titres publics, la Fed mettait en place un programme d'allongement des échéances, appelé «Matury Extension Program» ou «opération Twist», qui consistait à vendre des bons de Trésor d'une échéance de moins de trois ans et, d'un montant équivalent, acheter des titres d'échéance plus longue, comprise entre 6 et 30 ans. Ce programme, d'une ampleur initiale de 400 milliards de dollars, et qui devait se terminer fin juin 2012, a été prolongé jusqu'à fin de 2012. L'opération Twist n'a pas augmenté le bilan de la Fed.

Un troisième programme QE3 est lancé le 13 septembre 2012, la Fed décide d'acheter pour 85 milliards de dollars d'actifs par mois, avec toujours un même objectif: peser sur les taux et favoriser la reprise économique. La nouvelle présidente de la Fed, Janet Yellen, qui a remplacé Ben Bernanke, en février 2014, continue le programme QE3, cependant avec une diminution progressive d'un montant de 10 milliards de dollars par mois, avec le maintien des taux directeurs à leur plancher, le taux de chômage continue de se réduire.

Les Banques centrales de la zone euro, du Royaume-Uni et du Japon, pays émetteurs, avec les Etats-Unis, des quatre grandes monnaies internationales du monde, suivent la politique monétaire de la Fed. Pour éviter les appréciations erratiques de leurs monnaies, ce qui nuit à leurs exportations (leurs monnaies trop chères), ces Banques centrales émettaient aussi des liquidités et procédèrent à des rachats de dettes publiques et privées. Ainsi, en zone euro, un Fonds européen de Stabilisation financière (FESF) a été constitué en 2010, il sera remplacé par le Mécanisme européen de Stabilisation, en 2012. Un nouveau QE annoncé par la Banque centrale européenne (BCE), le 22 janvier 2015, a pris effet en mars 2015. Il court jusqu'à septembre 2016. Le rachat d'actifs par mois est fixé à 60 milliards d'euros par mois. Le Royaume-Uni a procédé à plusieurs, et le Japon, à plusieurs abenomics (du nom du Premier ministre Shinzo Abe).

«Toutes ces liquidités ont participé à la reprise économique occidentale mais aussi à la croissance mondiale». En effet, ce qu'on remarque, c'est que ces QE ont profité aussi au reste du monde (voir analyse 2). D'autre part, le problème n'était pas seulement de dégonfler les monnaies et stabiliser les taux de change, il restait encore à gérer la masse de monnaies injectées, i.e. à éviter une poussée inflationniste en Occident, et dans le monde. I.e. éviter de revenir à l'inflation à deux chiffres des années 1970.

La question qui se pose: «pourquoi ces liquidités créées massivement n'ont pas créé de l'inflation ?». Alors que normalement l'inflation devait se situer à 2%, le taux d'inflation aux Etats-Unis, en Europe et au Japon, est compris entre 0% et 0,5%. La réponse comme on l'a déjà énoncé(2) vient «du processus même qui a commandé les programmes des QE». Si, à chaque fois, les Banques centrales procédaient périodiquement à des programmes de QE, pour les Etats-Unis (QE1, QE2, QE3, et l'opération Twist stérilisé) et suivis par la zone euro, le Royaume-Uni et le Japon, c'est manifestement que «le système financier occidental était sous-financé». Sinon pourquoi, approximativement tous les dix-huit mois, ces Banques centrales devaient apporter de l'oxygène (de l'argent frais) à leurs systèmes financiers ? Et où logent-elles ces liquidités en dollars, une fois émises, et qui nécessitent de répéter les politiques ultra-accommodantes ? D'abord, «dans les contreparties physiques», i.e. le pétrole, l'or et moindre pour les matières premières agricoles, et donc «amener ces pays, en particulier, les pays exportateurs de pétrole à enregistrer des excédents commerciaux. Et cela a duré plus d'une décennie avant, durant et après la crise financière de 2008». Une partie des QE a filé vers ces pays, dont la Russie et les pays pétroliers arabes, qui ont vu leurs réserves de change fortement augmenter. «Qu'en est-il des autres pays émergents, et de la Chine ?»

Les critiques de la Chine et du Brésil sur les QE1, QE2, QE3

Dans une Analyse du Centre Asie (3) «La Réserve fédérale des Etats-Unis ou la Fed» a annoncé, le 3 novembre 2010, la mise en place de la politique du Quantitative Easing 2 (QE2), un nouveau cycle de politique monétaire accommodante. En rachetant 600 milliards de bons du Trésor et en maintenant le taux d'intérêt directeur à un niveau très bas, entre 0 et 0,25%, la Fed cherche à stimuler la relance économique américaine et à absorber un niveau de chômage important. Or, cette politique du QE2 était devenue, avant même sa mise en œuvre définitive, la cible de critiques au sein de la communauté internationale, les reproches des pays émergents étant les plus virulents. En effet, le QE2 est souvent considéré comme une version contemporaine de la politique du «chacun pour soi» des années 1930 («Beggar-Thy-Neighbour Policy»), l'une des sources de la Grande Dépression.

En tant que la plus grande économie émergente ayant des interconnexions fortes avec l'économie des Etats-Unis, la Chine se considère comme «l'une des principales victimes de cette nouvelle donne de la politique monétaire américaine». La presse chinoise a quasi unanimement qualifié les effets du QE2 de «désastreux» et le comportement de la Fed d'«irresponsable» vis-à-vis du bon fonctionnement de l'économie mondiale. Quel est l'impact du QE2 sur l'économie chinoise, et comment la Chine ajuste-t-elle ses politiques en conséquence ? Des articles sélectionnés dans la presse chinoise nous fournissent des pistes de réflexion.

A suivre...

* Auteur et chercheur indépendant en Economie mondiale - Relations internationales et Prospective

Notes

1. «Les politiques monétaires dites ?Quantitative Easing'», 23 février 2014.

http://bts-banque.nursit.com/Les-politiques-monetaires-dites

2. «Entre Crise pétrolière et Réduction des Déséquilibres mondiaux, quel avenir attend le monde pour 2016-2019, sans le ?dopage du pétrole ?'», Medjdoub Hamed. 20 janvier 2016

http://www.agoravox.fr/

http://www.lequotidien-oran.com/

http://www.sens-du-monde.com/

3. China Analysis n°31 Asia Centre. Zhou a prononcé ce discours lors du 1er sommet Caixin à Pékin, le 5 novembre. Ce sommet, ayant comme thème «La Chine et le Monde», étudie le rôle et la stratégie que la Chine devrait adopter dans un monde en grande transformation.

http://www.centreasia.eu/sites/default/files/publications_pdf/china_analysis_no_31_1.pdf