|
![]() ![]() ![]() ![]() LONDRES
- Nous sommes confrontés à une plus grande incertitude - économique,
géopolitique, sociale - qu'à aucun autre moment de notre histoire récente. Dans
ces conditions, il est essentiel que les chefs d'entreprise, les responsables
politiques, les investisseurs et les autres décideurs s'appuient sur un plus
grand nombre de sources de données et passent au crible un plus grand nombre de
signaux de qualité et de fiabilité variables. En outre, ils doivent le faire dans
un monde qui absorbe les effets de la démondialisation,
dans un contexte de tensions internationales accrues et d'évolutions
technologiques rapides telles que la diffusion de l'IA. Dans ce domaine comme
dans d'autres, des particuliers et des entreprises dont les activités
pourraient avoir une incidence sur l'ensemble de la société opèrent avec peu de
réglementation ou de surveillance.
Les décideurs doivent donc tenir compte de toute une série de risques. Submergés par le volume de données et la profondeur de l'incertitude actuelle, ils pourraient simplement ne rien faire, mais il s'agit là aussi d'une décision dont les conséquences peuvent être considérables. Ceux qui dirigent de grandes organisations ou qui définissent des politiques doivent également se méfier des données ou des modèles qui ne reflètent pas correctement l'évolution de la dynamique macroéconomique, géopolitique et du marché. Une mauvaise prise de décision, une mauvaise répartition des actifs ou une mauvaise politique sont particulièrement inquiétantes maintenant que les risques extrêmes semblent élevés. Dans ces conditions, les coûts de toute décision incorrecte sont susceptibles d'être considérablement amplifiés. Pour prendre une décision, il faut formuler correctement le problème, étudier le terrain, mettre à jour les données et les sources d'information en conséquence et choisir un modèle pour évaluer les choix concurrents. Chaque étape de cette séquence - ce que le stratège militaire John Boyd a appelé la boucle OODA (observer, orienter, décider, agir) - doit être constamment revue pour refléter les changements structurels. Bien formuler le problème implique d'identifier clairement l'objectif global. Une entreprise veut maximiser son profit et la valeur de ses actionnaires, tout comme un décideur politique peut vouloir maximiser le niveau de vie des citoyens. Dans les deux cas, les décideurs doivent identifier et se concentrer sur les domaines sur lesquels ils exercent un contrôle réel, tels que le déploiement des ressources, les priorités en matière de réduction des coûts ou l'orientation stratégique globale (en se demandant, par exemple, dans quelles régions il convient d'opérer). La deuxième tâche consiste à reconnaître les dynamiques qui déterminent vos conditions de fonctionnement. La pandémie de COVID-19 a mis en évidence le fait que le paysage peut être beaucoup plus complexe qu'on ne l'aurait cru au départ. Ce qui était à l'origine considéré comme un problème à acteur unique avec un horizon temporel fixe - un problème de santé qui serait résolu en l'espace d'un an après la mise sur le marché d'un vaccin - s'est rapidement avéré être un problème à acteurs multiples avec des horizons temporels changeants. De la santé publique à l'économie en passant par l'éducation et le social, la pandémie a touché tous les domaines de la vie civique. Cinq ans plus tard, le monde est toujours confronté à des problèmes liés à la pandémie, notamment le poids de la dette publique, les maladies mentales et la baisse du niveau d'éducation. Entre-temps, la tendance à la démondialisation s'est poursuivie, modifiant le terrain d'action des entreprises mondiales. Les dirigeants d'entreprise doivent désormais réfléchir à la manière de maximiser leur rendement financier dans un monde plus cloisonné, où les piliers de l'économie mondialisée - la libre circulation des biens, des capitaux et de la main-d'œuvre par-delà les frontières, ainsi que la gouvernance multilatérale - sont en train de s'éroder, voire d'être renversés. Dans ces conditions, de nombreux modèles d'entreprise établis deviennent plus risqués ou obsolètes. Il n'est plus possible de supposer que l'on peut embaucher des talents internationaux, maintenir des centres d'approvisionnement mondiaux, emprunter à bon marché à Londres et à New York, ou investir dans les marchés émergents et rapatrier les bénéfices. Troisièmement, tous les dirigeants doivent régulièrement mettre à jour leurs outils d'analyse. Cet impératif est encore plus urgent à l'ère de l'IA. Il s'agit non seulement de réévaluer l'étendue et la profondeur des sources d'information, mais aussi de s'attaquer aux problèmes de qualité des données. L'ampleur et la sophistication des outils d'analyse alimentés par l'IA signifient que les décideurs peuvent et doivent parcourir la boucle OODA beaucoup plus rapidement, par exemple lorsqu'ils évaluent un investissement potentiel dans un nouveau pays ou qu'ils examinent la viabilité d'une politique. Enfin, la manière dont les décideurs évaluent les options concurrentes est essentielle. De nombreuses institutions utilisent des stratégies d'atténuation des risques pour déterminer comment elles doivent allouer leurs ressources. Elles peuvent être guidées par des mandats réglementaires explicites ou par leur propre évaluation de l'exposition des investissements dans des conditions de plus en plus incertaines. Ainsi, les conseils d'administration des entreprises utilisent plus régulièrement ces stratégies pour protéger la valeur des actifs et ajuster les plans d'investissement et de dépenses en capital, en mettant éventuellement de côté des fonds d'urgence lorsque l'environnement opérationnel devient plus volatil. De même, sur les marchés financiers, les investisseurs utilisent couramment le critère de Kelly (une formule issue de la théorie des probabilités) pour déterminer le pari ou l'investissement optimal afin de maximiser la croissance de la richesse à long terme. Par ailleurs, la théorie du regret minimum-maximum (ou Minimax) permet de minimiser le regret potentiel maximal d'une décision. Dans ce cas, le décideur atténue la perte potentielle (le regret), plutôt que de chercher à maximiser le rendement compte tenu de l'incertitude. Dans la pratique, toutes ces méthodes permettent de quantifier une mesure du succès et une mesure du risque, puis de comprendre le compromis entre ces deux valeurs. Mais en période d'incertitude croissante, il convient de se demander si la méthode choisie reste pertinente ou idéale. Les décideurs doivent reconnaître que le fait de ne pas revoir la façon dont ils évaluent leurs options - en essayant de maintenir le statu quo - comporte des risques en soi. *Economiste internationale, est l'auteur de Edge of Chaos : Why Democracy Is Failing to Deliver Economic Growth - and How to Fix It(Basic Books, 2018) |
|