Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Ghaza : Droit international bafoué, négociations bloquées et répression des manifestations

par Ibrahim Taouti*

Après le 7 octobre 2023, l'entité sioniste a lancé une offensive dévastatrice sur la Bande de Ghaza. Rafah, dernier refuge pour 1,5 million de Palestiniens, est bombardée à partir de mai 2024. Dès juillet, elle est visitée par Geoffrey Corn, ancien conseiller juridique de l'armée américaine. Mais s'il compare les destructions à celles de Berlin en 1945, il défend pourtant la légalité des frappes, au motif que les cibles sont des infrastructures militaires du Hamas, position contraire aux conclusions de la Cour internationale de Justice (CIJ) et de la Cour pénale internationale (CPI), accusant l'entité sioniste de crimes de guerre et de risque de génocide !

La tendance vers une interprétation militariste du Droit humanitaire

Aux États-Unis, une école de pensée juridique, influencée par la perspective d'une guerre contre la Chine ou la Russie, prône une lecture permissive du Droit international humanitaire (DIH). «The Eighteenth Gap» (2021) est un manifeste rédigé par leurs juristes qui justifie des frappes sans preuve formelle de cible militaire, au nom de la «bonne foi» des commandants ! Cette approche est critiquée par les ONG, car elle légitime des attaques disproportionnées, comme celles sur Ghaza. Les opérations sionistes illustrent cette doctrine : les soldats tirent sur tout ce qui bouge, sous couvert de «nécessité militaire», crimes systématiquement qualifiés de «bavures», tandis que les critiques extérieures (médias, ONG) sont discréditées.

Entre-temps, des négociations au Caire se poursuivent. Est-ce vers un accord introuvable ?

Au Caire, le Hamas discute avec des médiateurs égyptiens et internationaux pour un cessez-le-feu. Le projet propose trois choses:

- une trêve de 45 jours, puis un retrait partiel de l'entité sioniste ;

- libération d'otages (dont l'israélo-américain Edan Alexander) contre 677 prisonniers palestiniens;

- levée progressive du blocus, sous contrôle international.

Mais les obstacles sont majeurs : Hamas refuse de se désarmer sans avoir la garantie d'un État Palestinien. Natenyahu exige sa reddition en évoquant un «plan Trump» pour contrôler Ghaza ! Les colons intensifient les violences en Cisjordanie (meurtres, destructions d'oliveraies, détentions «administratives», etc.).

Au plan international, la répression des manifestations pro-palestiniennes se légalise. L'opinion y soutient majoritairement Ghaza, mais ces manifestations sont interdites par plusieurs pays: Allemagne : Interdiction des slogans «From the river to the sea» et arrestations pour «soutien au Hamas».

France : Interdiction des rassemblements (loi Pleven) et condamnations pour «antisémitisme». États-Unis : Des États (Floride par ex.) interdisent les associations étudiantes pro-palestiniennes. Royaume-Uni : Arrestations pour «hate speech» (discours de haine) lors des marches.

À l'inverse, des pays comme Espagne, Irlande, Suède, Islande protègent le droit à manifester. La plupart des pays scandinaves permettent les manifestations pro-palestiniennes pacifiques.

Quant au Droit international, notamment humanitaire, il est en crise grave !

La doctrine « Large-Scale Combat Operations» et les crimes commis à Ghaza marquent un recul historique de la protection des civils. Pendant ce temps, les négociations piétinent, la répression de Ghaza continue et des solidarités avec la Palestine se manifestent et s'étendent à plusieurs pays.

Mais en dépit de la tendance de l'opinion mondiale, sans pression internationale forte de la part des Etats, l'impunité de l'entité sioniste risque de continuer à être la norme.

Les sionistes enclavent et bloquent la Bande de Ghaza, terre, air et mer depuis des années. A ce jour, il est incontestable que la population palestinienne manque de nourritures, médicaments, fuel, eau, électricité et fournitures essentielles, avec de grandes difficultés et une situation des plus tragiques.

Devenue zone de combat, les règles du Droit international humanitaire s'y appliquent. Mais selon les juristes sionistes, ces règles sont floues, notamment sur la question de savoir quelle est la nature du conflit, international ou non ; et donc sur le statut de Ghaza, occupée ou non. Ils la considèrent non occupée et le conflit n'est donc pas international et les règles du droit coutumier restent ambiguës.

Pourtant, nous sommes au 569e jour de l'agression sioniste et 57e jour de blocus humanitaire total. Et l'armée sioniste poursuit ses massacres de la population civile. Pourtant, l'article 3 commun aux quatre Conventions de Genève impose un traitement humain des personnes ne participant pas aux hostilités. Ce texte est incontestablement applicable, que le conflit soit national ou international même si les juristes sionistes les considèrent inapplicables. Si l'entité sioniste émet un ordre d'évacuation alors qu'elle n'en a pas autorité, ils prétendent qu'elle aurait émis un «avertissement» pour minimiser les pertes civiles, non un ordre qu'elle n'a pas qualité à donner. Un avertissement n'est pas valide même s'il est reçu par la population qui ne s'y conforme pas. Les juristes sionistes critiquent alors le Hamas pour n'avoir ni évacué les civils ni encouragé leur départ, ce qui équivaut, selon eux, à leur utilisation (les civils) comme boucliers humains, interdite par le DIH. Mais l'entité commet un «déplacement forcé» qui, en lui-même, est illégal, car sans raisons de sécurité/nécessité militaire à caractère impératif selon le droit. La situation reste donc tragique.

Même si par impossible on accepte le droit de l'entité sioniste de se défendre, on doit davantage accepter le droit des Palestiniens de combattre l'occupation de leur territoire : leur droit est tiré d'un principe impératif (jus cogens), lié à la décolonisation et à l'interdiction de la domination étrangère selon les Résolutions 1514 et 2625 de l'ONU, même s'il ne justifie pas la prise d'otages (CIJ, avis sur le mur israélien, 2004), dont la protection relève des droits humains (à la vie, interdiction de la torture, etc.) et du Droit international humanitaire en cas de conflit.

L'entité sioniste a déjà invoqué la raison humanitaire pour des opérations de sauvetage (ex. : raid d'Entebbe, 1976) et la légitime défense (Article 51 Charte ONU). Or, selon la hiérarchie des normes en Droit international, les deux droits sont protégés, mais l'application dépend du contexte !

La prise d'otages au nom de l'autodétermination reste interdit (Convention contre les otages de 1979) mais aucun État ne peut nier le droit à l'autodétermination sous prétexte de sauver des otages (ex. : occupation prolongée illégale de la Palestine). Dans les deux cas, l'ONU exige un cessez-le-feu et des négociations, même sans trancher en faveur d'un seul des deux principes.

Au Sahara Occidental, le Maroc invoque la souveraineté territoriale et le Front Polisario réclame l'autodétermination. Les otages (s'il y en avait) ne justifieraient pas le blocage du processus d'autodétermination. D'où la nécessité d'un équilibre contextuel des droits.

Dans tous les cas, au cours d'un conflit armé, les droits humains priment (protection des civils).

Les opérations de sauvetage doivent respecter le principe de proportionnalité sans nier durablement le droit à l'autodétermination. La CIJ a rappelé (dans l'avis sur le mur israélien) que l'entité a le droit à la sécurité, mais pas au détriment des droits palestiniens inaliénables à l'autodétermination !

*Avocat en retraite