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78ème FESTIVAL DE CANNES - MAD MAX NOW !

par Cannes : TEWFIK HAKEM

Notre envoyé spécial est formel, le film Sirat de l'Espagnol Oliver Laxe mérite la Palme d'Or, le prix de la mise en scène, le prix de la meilleure photographie et tous les prix d'interprétation. Tourné au Maroc, ce road-trip aussi puissant que flippant nous rappelle Mad Max, mais dans une version réaliste bigrement synchrone avec l'époque.

On avait prévu de vous parler aujourd'hui du nouveau film d'Erige Sehiri, réalisatrice franco-tunisienne dont on a dit ici tout le plus grand bien en découvrant son premier long Sous les figues, présenté à Cannes en 2022. Le thème de son deuxième film Promis, le ciel, sur le racisme que subissent les subsahariens dans la Tunisie d'aujourd'hui suffisait pour bloquer une place de choix dans notre compte-rendu cannois du jour. Hélas, on le sait les meilleurs sentiments du monde ne donnent pas forcément de bons films. On attendra donc de voir, toujours dans le cadre d'Un Certain Regard, le film Aisha tant fly de l'Egyptien Morad Mostafa, qui traite du même sujet, pour saluer comme il se doit ce cinéma militant qui vole au secours des précaires devenus bouc-émissaires ici comme ailleurs.

Mais cet espace libéré est en quelque sorte une bénédiction car il nous permet de tirer toutes les sonnettes d'alarme encore en marche pour annoncer Le merveilleux film qui annonce notre merdique fin du monde.

En compétition officielle Sirat de l'Espagnol Oliver Laxe nous a remués physiquement et psychologiquement deux heures durant. Imaginez Mad Max, mais en version réaliste. Terriblement réaliste. Imaginez Ghaza chez vous, dehors et partout dans le monde. Vous n'y êtes pas encore, mais cela doit vous permettre de comprendre que ce film c'est ce qui raconte le mieux notre apocalypse de demain matin ou après-demain au plus tard. Quels mots trouvés pour résumer tout à la fois la puissance et la beauté incroyables de cette œuvre sans reléguer son caractère sombre et prophétique au second plan ? Sirat c'est une rave party qui se transforme en transe macabre. Faut pas croire pour autant que ce film vient délivrer un quelconque message, on n'est ni chez Teguia ni chez Coppola, et puis le temps des messages et des messagers est révolu depuis des lustres.

Sirat qui commence par une rave party non autorisée dans le désert marocain. Mais la défonce n'est plus une échappatoire, une guerre mondiale est sur le point d'éclater, les autorités marocaines demandent à ces néo-hippies venus d'Europe du Sud de repartir chez eux. Une poignée d'irréductibles ravers abimés par la vie décident de continuer le trip jusqu'en Mauritanie. Un quinquagénaire espagnol qui n'a rien à voir avec les fêtards (Sergi Lopez stupéfiant sans jeux de mots) flanqué de son jeune fils, décide de les suivre avec l'espoir de retrouver sa fille disparue dans ces milieux de free-raves.

Ce road-trip sera-t-il une descente aux enfers ou une élévation vers le paradis ? Qu'est-ce qu'on fait dans pareil cas ? On se remet à Dieu, en espérant que dans ce désert qui ressemble à un champ de mines, il puisse nous entendre crier. C'est d'ailleurs ce que fait le film, il se remet à Dieu et il le fait bien. Sirat, mot arabe qui renvoie à un verset du Coran (ou d'un Hadith )? Sirat, «ce petit chemin étroit qu'on emprunte à la fin des temps pour passer au dessus de l'enfer et accéder au Paradis» précise Oliver Laxe en ouverture du film.

Si c'était un film américain, Tom Cruise aurait accompli sous nos applaudissements cette mission impossible. Or Sirat est tout sauf américain, c'est un incroyable et inoubliable petit film qui mérite la palme d'or. La palme à mort !