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Palestine: Contre l'invisibilisation du génocide (3ème partie et fin)

par Mazouzi Mohamed*

«La Palestine est une arête plantée dans la gorge du monde. Personne ne parviendra à l'avaler. Ne t'inquiète pas.» (Elias Sanbar)

La déclassification des archives israéliennes a permis de jeter relativement la lumière sur de nombreuses zones d'ombre, de discréditer les thèses sionistes au sujet de la Nakba de 1948 et enfin de dévoiler la genèse du stratagème génocidaire sioniste qui se confirmera de manière irréfutable au fil du temps. Une portion congrue de ces archives sera ouverte au public. Israël essayera par tous les moyens d'empêcher la divulgation de toutes les vérités compromettantes d'où qu'elles puissent venir : historiens, ONG, documentaristes. Israël décidera de prolonger l'interdiction d'accès aux archives gouvernementales à 70 ans, tous les dossiers sulfureux seront détruits avant que la date fatidique. L'Institut Akevot, un groupe israélien de défense des droits humains ainsi que des avocats et des chercheurs militent pour l'ouverture de ces fameuses archives pour tenter de documenter l'histoire du conflit israélo-palestinien. Depuis 2014, l'Institut Akevot - dont le nom vient du mot hébreu signifiant «empreintes de pas» - s'efforce de faire connaître les preuves des injustices commises par Israël envers les Palestiniens. «Quiconque cherche à s'appuyer sur ces archives pour accéder aux documents qu'elles contiennent sur notre vie ici, sur les processus qui ont conduit les sociétés israélienne et palestinienne à la situation actuelle, risque une déception : un pourcentage négligeable des documents d'archives est accessible au public. Ces archives apparemment ouvertes sont en réalité fermées.» (22)

Sorti en 2017, dans son documentaire «Looted and Hidden», «Pillées et cachées : les archives palestiniennes en Israêl», l'historienne israélienne Rona Sela dévoile comment Israël a saccagé les richesses et archives palestiniennes et les a éliminées volontairement du domaine public. Elle mettra la main lors de ses recherches sur une réserve considérable de films, d'enregistrements audio et de photos qui constituent des preuves à charge sur la détermination des autorités sionistes de dissimuler, de confisquer et de censurer tout ce qui pourrait condamner Israël. Khadijeh Habashneh, directrice du département des Archives et du Cinéma de l'Institut du Cinéma Palestinien, 1976-1982, dira «Par où commencer quand autant de matériau a été détruit, lorsque le projet d'une vie tombe en morceaux ?»

Fondée en 2004, L'ONG israélienne «Breaking the Silence - Briser le silence» s'est fixée pour objectif de recueillir le maximum de témoignages (23) des soldats et réservistes israéliens et de décrire de manière confidentielle leurs expériences dans les territoires occupés depuis la deuxième Intifada. Par le biais de ces témoignages, cette organisation vise à pousser la société israélienne à faire face à la vérité concernant «les abus vis-à-vis des Palestiniens, le pillage et la destruction de leurs biens». Le Gouvernement israélien s'efforcera de discréditer les activités de toutes les ONG, Associations et organes de presse ou intellectuels qui agissent de l'intérieur. L'engagement de ces voix justes et dissidentes sera considéré comme une trahison, Israël exercera à leur encontre de fortes mesures punitives.

Une fois la férocité du génocide définitivement installée, les crimes d'Israël sont devenus indéfendables. Pendant que l'Etat sioniste continue désespérément, par ses différents relais, à imposer le silence et la connivence, le monde auparavant assoupi se dresse enfin ulcéré face à l'indescriptible agonie des enfants, des femmes et des vieillards. Il n'est plus question de se taire. On battra le pavé partout dans le monde pour maudire Israël et cet occident mesquin.

«Gaza est le laboratoire d'un monde débarrassé des normes internationales» «La mort est partout à Gaza - une destruction, méthodique, systématique», c'est ainsi qu'en 2025, présent sur les lieux, l'historien français Jean pierre Filiu (24) décrit l'horreur insoutenable de la tragédie dans cette ville qu'il avait connue jadis resplendissante et résiliente. Comme tout le monde, l'historien demeure abasourdi par l'indestructible dignité et résilience des palestiniens

C'est ce qu'affirmera élogieusement au début de la même année dans son éditorial, le journal israélien Haaretz : «Le rêve israélien est fini ! Les Palestiniens sont le meilleur peuple du monde dans la défense de leur patrie.»

Les documentaires «Gaza. Une mémoire contre l'oubli» (2019), et «Pour l'honneur de Gaza» (2025), le premier réalisé par Marie Géniès et le deuxième par le journaliste et cinéaste palestinien Iyad Alasttal, relatent des récits poignants de personnes parfois de confession différente ou des Palestiniens condamnés à vivre dans une enclave où les droits les plus vitaux sont horriblement arrachés. Des récits épars avec seul point commun pour toutes ces personnes «Infectées par une maladie qui s'appelle l'espoir.» : faire stoïquement face à une réalité imposée par un système oppressif inhumain.

En 2024, parait «Le Livre noir de Gaza» : décryptage d'une entreprise d'anéantissement ", un ouvrage collectif dirigé par Agnès Levallois, vice-présidente de l'Institut de recherches et d'études Méditerranée Moyen-Orient. Ce livre rassemble une série de rapports et d'enquêtes publiés par des ONG et des médias, Une démarche destinée à lutter contre l'" invisibilisation " des Gazaouis et de leurs souffrances. Dans ce livre comme dans un autre, à l'unanimité, le témoignage de ces auteurs tend à informer les opinions publiques occidentales que ce qui se déroule à Gaza ne peut être qu'un " nettoyage ethnique ". Dans une tribune du journal Libération du 26 mai 2025, 300 personnalités dont 2 prix Nobel publient leur indignation et condamnent vigoureusement les massacres perpétrés à Gaza par l'entité sioniste "Nous ne pouvons plus nous contenter du mot "horreur", il faut aujourd'hui nommer le "génocide" à Gaza".

Toutes les sournoises tentatives d'Israël pour invisibiliser le génocide seront démasquées. Si la Palestine fut un certain temps livrée sans merci au monstre sioniste, aujourd'hui le monde entier se mobilise pour rendre la tragédie flagrante et indéniable aux yeux de tous, mettant chacun face à sa conscience et ainsi, chose très vitale, rendre visible les complicités criminelles, les lâchetés, les duplicités tacites ou manifestes des pays occidentaux et des pays arabes.

Acculé, honni, haï, Israël persiste dans son projet génocidaire et ses actions désespérées et ridicules visant à faire taire la vérité par tous les moyens possibles : Intimidations, menaces, représailles, censure, assassinat de journalistes, destructions d'archives compromettantes, loi punissant la célébration de la Nakba, criminalisation des activités des organismes humanitaires, pressions sur les campus universitaires. La résilience palestinienne ne s'essoufflera jamais, la lutte contre l'invisibilisation utilisera plusieurs outils : films, documentaires (25), expositions, livres, Rapports ONU et ONG, condamnations CIJ.

Cette lutte est aujourd'hui mondialement médiatisée. On ne peut que s'étonner de voir comment Israël a pu convaincre son peuple du bien-fondé et de la légitimité de sa politique génocidaire.

En 2024, la censure militaire israélienne a interdit la publication de 1635 articles et en a partiellement censuré 6265 autres, dans le cadre d'une offensive plus large contre la liberté de la presse.

La Rapporteuse spéciale à l'ONU Fransesca Albanese, dans le cadre de ses enquêtes documentées et en sa qualité de juriste, émettra des rapports (26) accablants qui confirmeront le génocide perpétré par Israël en territoires occupés ; l'un de ces rapports mettra en lumière les connivences criminelles de puissances économiques occidentales étatiques ou privées et leurs incidences sur la consolidation et à la perpétuation du génocide, l'un de ces rapports posera in fine la responsabilité criminelle de ces agents économiques privés et étatiques qui opéraient dans la discrétion et en toute impunité. Le rapport de Fransesca Albanese ne fait que confirmer le caractère génocidaire de l'occupation israélienne déjà évoquée par d'éminents historiens palestiniens et israéliens. (27)

«Comment est-il possible que la vérité soit devenue un mensonge et le mensonge de la vérité?», s'interrogera la juriste italienne, scandalisée par cette effarante duplicité entre un sionisme colonial criminel et un Occident lobotomisé. Elle ne se contentera pas tels ses prédécesseurs de remettre docilement des rapports qu'on empilera et qu'on casera dans un coin, elle squattera les plateaux télévisés, les conférences, ameutera l'humanité contre ce «Mal rampant du mensonge» qu'elle préconise d'affronter avec une prise de conscience et une connaissance censées impérativement aboutir sur des actes plus concrets, plus offensifs. Deux organisations phares de la société civile israélienne (B'Tselem et Physicians for Human Rights), spécialisées dans la défense des droits humains, publieront conjointement, le lundi 28 juillet 2025, deux rapports (28) accablants qui concluent que l'armée israélienne poursuit à Gaza une politique intentionnelle de destruction de la société palestinienne. «Il faut appeler un génocide par son nom», diront les deux ONG israéliennes. C'est ce que Fransesca Albanese tentera d'expliquer et de prouver au monde en vociférant «Si ce n'est pas un génocide, qu'est-ce que c'est alors ?». Depuis la Conférence de Bogota qui s'est déroulée en juillet 2025, plusieurs pays ont décidé de prendre de concrètes mesures (politiques, juridiques et économiques) pour infléchir et mettre fin à la politique sioniste génocidaire. Les nombreux rapports qui à la fois confirment le génocide et criminalisent les relations qu'entretiennent beaucoup de pays avec Israël amenuiseront considérablement le sentiment d'impunité, l'arrogance et la capacité meurtrière de celui-ci. Plus de 200 journalistes seront lâchement tués à Gaza depuis le début du conflit, Reporters sans frontières (RSF) déposera quatre plaintes auprès de la Cour pénale internationale (CPI) et accuse l'armée israélienne de crimes de guerre contre les journalistes dans la bande de Gaza. Reporters sans frontières rejoint l'appel de plus de 180 organisations internationales pour suspendre l'accord d'association entre l'Union européenne (UE) et Israël. L'appel invoque la violation flagrante des engagements d'Israël en matière de droits humains dans la bande de Gaza.

A Gaza, les journalistes se considèrent tous comme des futurs martyrs, ils ont l'intime conviction que l'armée israélienne peut les exécuter à n'importe quel moment. Ils sont tous habités par des visions prémonitoires et dotés d'une extraordinaire résignation face à l'ultime sacrifice.

Le 10 août 2025, six journalistes d'Al Jazeera seront délibérément visés par une frappe israélienne. Parmi eux se trouvait Anas Al-Sharif considéré comme «la voix de Gaza». Dans un hommage publié par le quotidien libanais «L'Orient-Le Jour», la traductrice et coordinatrice médias Noor Alyacoubi dira depuis Gaza «Anas était le visage de notre douleur, le témoin de nos nuits».

Pressentant que la fin approchait, Anas Al-Sharif avait écrit son propre testament en avril dernier. Il rejoindra Fatma Hassouna. Comme beaucoup d'autres qui seront exécutés après, tous témoins d'une résilience palestinienne hors du commun, ils laisseront pour la postérité, pour Gaza, pour l'humanité un message empli d'espoir. Israël accusera certains de ces héros tombés au champ d'honneur d'avoir été en relation avec le Hamas, les autres victimes seront classées dans la rubrique des dommages collatéraux, sauf qu'ils étaient plus de 200 journalistes à avoir été exécutés.

Depuis 1948, Israël mènera sa guerre sur plusieurs fronts : effacer la Palestine et ses occupants, conférer au génocide un caractère légal et le justifier par tous les moyens possibles, forcer le soutien inconditionnel de l'occident, réduire au silence toutes les voix qui oseront dénoncer et condamner le génocide entamé depuis des dizaines d'années.

Le génocide palestinien a révélé au monde et surtout à l'occident beaucoup de vérités attristantes : Tout le monde interrogera la Palestine pour écouter ses râles et ses plaintes contre l'oppression la plus lâche. Tout le monde recueillera des témoignages émouvants et accusateurs afin que plus tard nul ne pourra dire je ne savais pas. Tôt ou tard la Palestine sera vengée. Israël avait l'habitude de voir les gens s'indigner et se résigner aussitôt. Aujourd'hui le tsunami d'indignation semble produire des effets plus dommageables et définitifs à l'égard de l'entité sioniste, le capital de sympathie et de soutien commence à fondre comme neige au soleil.

Au début de ce mois d'août, de retour de Gaza, des médecins français et suisse abasourdis aussi bien par l'horreur que par la torpeur européenne, adresseront à l'Occident cette question lancinante : " Nous reste-t-il encore un peu d'humanité ? (29) Je n'aurai jamais pensé qu'un jour la civilisation occidentale serait confrontée à cette immense crise morale.

*Universitaire

Notes :

(22)_ " Point of Access: Barriers for Public Access to Israeli Government Archives " Rapport - Institut Akevot pour la recherche sur le conflit israélo-palestinien, Avril 2016

https://akevot.org.il/wp-content/uploads/2016/05/Point-of-Access-Summary-English.pdf

(23)_ Le Livre noir de l'occupation israélienne : les soldats témoignent, [témoignages recueillis par l'association] Breaking the silence, préface de Zeev Sternhell, traduction de l'anglais (États-Unis) de Samuel Sfez (Our harsh logic : Israeli soldiers' testimonies from the occupied territories, 2000-2010), Paris, le Grand livre du mois, 2013, 397 p. (ISBN 978-2-286-09850-6)

(24)_ Jean Pierre Filiu, " Un Historien à Gaza ", Ed. Les Arennes, Mai 2025

(25)_ Voir mon Article, " Edward W.Saïd : Un Occident indéfendable, Entre le désenchantement et l'espoir " (3ère partie et fin), Le Quotidien d'Oran, 4 Mars 2025

(26)_ Francesca Albanese, " L'effacement colonial par le génocide ", Octobre 2024 . -" Anatomie d'un génocide " 26 février-5 avril 2024.- " De l'économie d'occupation à l'économie de génocide " 16 juin-11 juillet 2025. Rapports de la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l'homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, Conseil des droits de l'homme.

(27)_ Voir mon article " Palestine, l'effacement : le poids de l'historiographie " Le Quotidien d'Oran du 20/04/2024

(28)_ https://www.btselem.org/sites/default/files/publications/202507_our_genocide_eng.pdf

_ https://www.phr.org.il/wp-content/uploads/2025/07/Genocide-in-Gaza-PHRI-English.pdf

(29)_ Journal le Monde du 06 Aout 2025