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![]() ![]() ![]() ![]() On utilisera divers
vocables pour décrire toutes les calamités imaginables que subit Gaza :
génocide, mémoricide, politicide,
culturicide, scholasticide,
urbicide, democide, futuricide.
Malheureusement, ces termes évoqués, dira-t-on, par des géographes, des anthropologues, des historiens, n'auront aucune valeur juridique. L'ouvrage collectif (11) dirigé par l'anthropologue française Véronique Bontemps et l'historienne Stéphanie Latte Abdallah permettra à plusieurs spécialistes d'horizons divers de mettre un nom sur cette panoplie de techniques sionistes criminelles méthodiquement mises en œuvre afin d'effacer la Palestine. « Cet effacement des personnes, des lieux, du passé, les effets traumatiques sur des générations et le désastre écologique constituent un « futuricide », quand tout ce qui permet d'envisager un avenir à Gaza a été visé ». (12) En 2003, le sociologue israélien Baruch Kimmerling, professeur à l'université hébraïque de Jérusalem, publiera un livre très instructif (13) , il décrira le processus d'un « Politicide» israélien exercé contre le peuple palestinien avec pour but ultime la disparition de celui-ci en tant qu'entité sociale, politique et économique légitime. Cette politique sioniste criminelle décrite par l'auteur se déploiera à travers la destruction physique des institutions et des infrastructures publiques, la colonisation des terres, l'isolation sociale et politique, les transferts de population, les meurtres, les massacres localisés, l'élimination de la tête de l'élite. Un processus machiavélique et méthodique que l'auteur n'hésitera pas, lui aussi, à qualifier, à juste titre, de purification ethnique. Vingt années plus tard, les intellectuels, les historiens, les chercheurs, les organisations humanitaires, les rapporteurs de l'ONU, décriront de manière impartiale et objective les mêmes procédés sionistes criminels. On évoquera les termes de « Culturicide et d'Urbicide », des abominations confirmées par l'Unesco. L'anthropologue française Marion Slitine dira : « La dimension culturelle fait partie intégrante de cette politique d'anéantissement du peuple palestinien un « culturicide » se déroule sous nos yeux : avec le ciblage délibéré d'artistes, et la destruction de nombreux sites patrimoniaux, historiques et culturels, comme des musées, des librairies et des galeries d'art. Dans ce contexte, les Palestiniennes sont de plus en plus déshumanisé.es et leurs voix rendues inaudibles. » (14) Je doute qu'Israël arrivera à déshumaniser ce peuple si noble ou à rendre sa voix inaudible. Le monde entier sera désormais le porte-parole de la Palestine. Israël procédera à l'anéantissement systémique de l'éducation par l'arrestation, la détention ou l'assassinat d'enseignants, d'étudiants et de membres du personnel éducatif, ainsi que par la destruction des infrastructures éducatives, néanmoins cela n'empêchera pas les étudiants palestiniens, animés par une admirable résilience, à poursuivre avec une détermination inébranlable leurs études. « Pour pallier la destruction par l'armée israélienne des douze universités de l'enclave, des programmes d'enseignement en ligne ont été lancés, qui sont suivis chaque jour par des milliers d'étudiants gazaouis. » (15) « Urbicide Domicide », des mots terribles qui renvoient à des situations où règne une détresse humaine insoutenable. De nombreux chercheurs (16), chacun dans son domaine respectif, mettront en lumière les ravages causés par ces phénomènes sur les populations expropriées et déplacées quel que soit le contexte (réaménagement urbanistique ou conflit armé). « La destruction volontaire d'un foyer aimé peut ainsi constituer l'une des blessures les plus profondes pour l'identité et l'estime de soi, car ces deux piliers de la santé mentale résident en partie dans des objets et des structures que nous chérissons. » (17) Si certains chercheurs hésitaient à être catégoriques en évoquant ces notions en fonction des situations distinctes, aujourd'hui et s'agissant de la Palestine, il n'y a plus aucun doute ni réticences absurdes et tergiversations juridiques à qualifier d'urbicide et de domicide ce que le peuple palestinien subit. S'agissant de la Palestine, l'impact dévastateur de ces phénomènes sur la population est plus marquant, intense, apocalyptique et irréversible. En 2024, dans un article publié au New York Times, Balakrishnan Rajagopal, rapporteur spécial à l'ONU, aboutira aux mêmes conclusions émises par les chercheurs et les universitaires, il dira : «Ce que l'on perd souvent dans les images de décombres et les statistiques des bâtiments détruits, c'est l'effet profond de cette perte au niveau humain. Car une maison est bien plus qu'une structure : c'est un dépositaire d'expériences passées et de rêves futurs, de souvenirs de naissances, de décès, de mariages et de moments intimes avec nos proches, au milieu de voisins et d'un paysage familier. L'idée de chez soi apporte du réconfort et donne un sens à nos vies. Sa destruction constitue un déni de la dignité et de l'humanité d'une personne. » (18) Vu l'ampleur de la tragédie, le rapporteur spécial à l'ONU demandera que le «domicide» en tant que destruction à grande échelle ou systématique de logements civils durant les conflits soit reconnu comme un crime distinct en droit pénal international. En dépit des intimidations éhontées, voire des menaces dirigées à l'égard de ceux qui sont chargés de faire respecter et appliquer le Droit international, en dépit des positions laxistes et indécentes de beaucoup de pays européens qui manifesteront un soutien inconditionnel à Israël et œuvreront à faire obstacle à toutes les démarches visant à condamner les autorités israéliennes, se rendant ainsi complices du génocide palestinien; ce qui nous importe le plus c'est de savoir et d'avoir toujours su que dans le cas du drame palestinien, l'urbicide et le domicide ne sont pas des faits accidentels et des dommages collatéraux, c'est un acte délibéré et programmé, faisant partie d'une stratégie fixée par un Etat sioniste depuis longtemps et dont l'unique objectif vise à effacer complètement toute trace humaine, urbaine, culturelle, historique, archéologique, de la Palestine. Le «domicide» provoque un traumatisme social et psychologique qu'il m'est difficile de décrire ou même d'imaginer», dira Balakrishnan Rajagopal, rapporteur spécial à l'ONU. En 2017, Samah Jabr, psychiatre à Jérusalem apparait dans un documentaire de la réalisatrice Alexandra Dols « Beyond the Frontlines: Resistance and Resilience in Palestine ». Au-delà des violences physiques que les victimes palestiniennes parviennent à communiquer et à rendre visibles, il y a des plaies et des souffrances insoutenables refoulées par les Palestiniens et dont personne n'y prête attention. Cette psychiatre lèvera le voile sur cet aspect méconnu de l'oppression. Les Chroniques (résultats d'entretiens et d'enquêtes sur le terrain) qu'elle s'est soigneusement chargée de consigner depuis 2003 sont un poignant témoignage sur l'indicible souffrance sociale et les conséquences psychologiques individuelles et collectives de l'occupation israélienne en territoire palestinien. C'est cette « Psychopathologie de la vie ordinaire » ou « social suffering », dont la psychiatre fera son cheval de bataille. Elle ne manquera pas de rappeler que « la Nakba n'est pas un événement historique passé, mais un processus qui se poursuit depuis plus de 70 ans ». Il sera question aussi dans ce documentaire des multiples formes de résiliences déployées par les victimes pour surmonter individuellement et collectivement ces blessures et faire face à l'oppresseur. C'est au sein de cet univers dystopique (Apartheid, privations des droits, surveillance permanente, justice d'exception, chômage et paupérisation, mobilité urbaine infernale, check-points ) que les Palestiniens se débattent quotidiennement, subissant un stress écrasant aux conséquences dramatiques inimaginables. Dans son livre paru en 2017 qui reçut le prix Pulitzer « Une journée dans la vie d'Abed Salama. Anatomie d'une tragédie à Jérusalem », Nathan Thrall, journaliste et essayiste américain, essayera de démontrer que derrière un tragique accident de route qui ressemblerait à un fait divers se dissimulent un enchevêtrement de situations créées délibérément par l'Etat sioniste et qui auront inéluctablement pour effet de générer une accumulation de souffrances psychologiques censées écraser chaque jour davantage les Palestiniens et les pousser vers une lente et pernicieuse extinction. Le Sociologue français Alain Dieckhoff parlera longuement dans ses ouvrages (19) de cette stratégie territoriale sioniste qui contraint les Palestiniens condamnés à se débattre dans une infime portion de territoire qui ressemble à un dédale, une souricière; un projet sioniste qui sera à long terme funeste pour les Palestiniens, un projet qui portait intrinsèquement cette volonté d'effacer la Palestine. Le 5 mai 2025, Mosab Abu Toha, poète-reporter à Gaza, primé par un Pulitzer, racontera à sa manière et en qualité de victime et de témoin de premier plan le «carnage physique et émotif à Gaza». L'invisibilisation du génocide n'a pu se réaliser que parce que l'image était absente, rigoureusement interdite. Toutefois, Israël ne pouvait pas demeurer indéfiniment hermétique aux médias et continuer à exercer ses carnages à huis clos. En 2000, le reportage de France 2 sur l'assassinat de Mohamed Durah constituera une avancée en matière d'information sur les exactions de l'armée sioniste. Cet événement mettra fin à une longue période de désinformation et d'invisibilisation au sujet des crimes commis en permanence par l'Etat hébreu. Dans les commentaires de son reportage, le journaliste franco-israélien Charles Enderlin concluait que c'étaient les tirs israéliens qui étaient à l'origine de la mort de l'enfant palestinien, s'ensuivit une polémique politico-médiatique comme seuls les Juifs ont l'art d'élaborer. On accusera le journaliste et France 2 d'avoir monté de toutes pièces ce reportage qui n'était selon eux qu'« une imposture médiatique » « une supercherie, une série de scènes jouées ». France 2 obtiendra gain de cause après un procès pour diffamation qui durera dix années. L'instigateur de cette campagne diffamatoire, Philippe Karsenty (homme politique français, directeur de l'agence de notation Media Ratings), sera définitivement condamné pour diffamation en 2013. (20) Israël essayera inlassablement de discréditer les journalistes ou de procéder à leur liquidation pure et simple. C'est ce qui arrivera en Mai 2022 à la reporter américano-palestinienne Shireen Abu Akleh qui tombera sous les balles de l'armée israélienne, un assassinat qu'Israël essayera de nier pour ensuite reconnaitre vaguement l'implication d'un tir israélien. Le documentaire «Who killed Shireen ?» («Qui a tué Shireen ?») diffusé par le site indépendant Zeteo met pour la première fois en cause un suspect: le soldat d'élite Alon Scaggio. Ce dernier perdra à son tour la vie deux ans plus tard à Jénine, dans la ville même où il avait exécuté la journaliste Shireen Abu Akleh. En avril 2025, Fatima Hassouna photojournaliste indépendante palestinienne est tuée avec dix membres de sa famille, lors d'un bombardement israélien sur leur maison à Gaza. Elle obtient une reconnaissance internationale pour ses images poignantes illustrant les conséquences de la guerre. Fatima Hassouna, avait exprimé ses dernières volontés, rapportées par le média numérique AJ + du groupe Al Jazeera : « Si je meurs, je veux que ce soit une mort tonitruante. [ ] Je veux que le monde entier entende parler de ma mort. Je veux qu'elle ait un impact qui ne s'estompe pas avec le temps. Je veux des images qui ne peuvent pas être enterrées dans l'espace ou le temps ». Rendre visible et témoigner de l'horreur, susciter une indignation à grande échelle, c'était le vœu de l'intellectuel Edward Saïd : « Si nous voulons tous vivre et c'est notre impératif -, il nous faut enflammer non seulement l'imagination de notre peuple mais aussi celle de nos oppresseurs. Et nous devons nous conformer aux valeurs humaines démocratiques». (21) Les vœux de Fatma Hassouna seront exaucés, un mois après son décès, on lui rendra de vibrants hommages lors de la diffusion à Cannes du documentaire dont elle est le protagoniste « Put Your Soul on Your Hand and Walk, Mets ton âme sur ta main et marche ». *Universitaire A suivre Notes (11)_ « Gaza, une guerre coloniale » , de Véronique Bontemps et Stéphanie Latte Abdallah , Sindbad-Actes Sud , Mai 2025 (12)_ Stéphanie Latte Abdallah , « Guerre Israël-Hamas : « Tout ce qui permet d'envisager un avenir à Gaza a été visé », Tribune au journal le « Monde » du 08 octobre 2024 (13)_ Baruch Kimmerling « Politicide: les guerres d'Ariel Sharon contre les Palestiniens »Ed. A. Viénot, 2003 (14)_ Slitine, Marion, « Gaza. Un culturicide sous nos yeux », Le Crieur, La Découverte/Médiapart, 2024. (15)_ « A Gaza, étudier « permet de ne pas penser tout le temps à la mort » , https://www.lemonde.fr/international/article/2025/05/27 (16)_ J. Douglas Porteous and Sandra E. Smith, « Domicide :The Global Destruction of Home » McGill-Queen's University Press , Bibliothèque nationale du Québec, 2001 _ Martin Coward, «Urbicide : The Politics of Urban Destruction », Routledge, New York, 2009 _ Bénédicte Tratnjek , « La destruction du « vivre ensemble « à Sarajevo : penser la guerre par le prisme de l'urbicide », https://shs.hal.science/halshs-00705113v1/document (17)_ J. Douglas Porteous and Sandra E. Smith, Ibid. (18)_ Balakrishnan Rajagopal, « Domicide: The Mass Destruction of Homes Should Be a Crime Against Humanity » , The New York Times , 29 Janvier 2024. (19)_ Alain Dieckhoff, « Les trajectoires territoriales du sionisme »Vingtième siècle, n°21, janv-mars1989, p.40. -Alain Dieckhoff, « Les espaces d'Israël , Essai sur la Stratégie territoriale israélienne » Fondation pour les études de défense nationale, Coll. « Les 7 épées, Paris, 1987 (20)_ « Accusations de reportage truqué en Israël : la justice donne de nouveau raison à Charles Enderlin », Journal le monde du 26 Juin 2013 (21)_ Edward.Saïd, « d'Oslo à l'Irak », Fayard, Paris, 2005. |
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