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Réguler en temps de pandémie

par Howard Davies*

LONDRES - Les années suivant la crise financière mondiale de 2007-09 ont été caractérisées par une orgie de réglementation par les organismes de contrôle financier du monde entier pour faire face aux faiblesses mises en évidence par les bouleversements. De manière importante, un Conseil de stabilité financière (FSB) renommé et renforcé, faisant rapport lors d’une série de sommets du G20, a supervisé le processus de re-régulation.

En dépit de l’impact économique des mesures et de la complexité de l’élaboration de règles répondant aux besoins des différents systèmes financiers, un degré remarquable de cohérence a été atteint. Alors que les Etats-Unis n’ont jamais pleinement mis en œuvre le cadre de Bâle 2, celui de Bâle 3 - avec, par exemple, un relèvement des réserves obligatoires - a fait son chemin, sous une forme plus ou moins reconnaissable, dans les recueils de règles de tous les différents régulateurs bancaires américains.

Cette fois-ci est différente. De nombreux changements réglementaires ont été introduits dans le monde au cours des deux derniers mois, naturellement à la hâte, quand les décideurs nationaux ont répondu à la crise Covid-19 au moyen de mesures visant à maintenir les flux de crédit aux secteurs économiques touchés.

Malheureusement, les signes de coopération internationale sont peu nombreux. Il n’y a eu aucun sommet d’urgence. Les régulateurs n’ont pas convergé vers la Suisse pour y participer à des sessions pour rédiger, jusqu’au bout de la nuit et à grand renfort de rösti, des amendements aux règles et directives du Comité de Bâle. Peut-être que les superviseurs ont pratiqué des réunions Zoom depuis leurs chambres d’amis respectives. Nous n’en savons rien. Mais les mesures annoncées ont certainement été fragmentaires.

Les modifications apportées à ce jour sont-elles largement cohérentes d’un pays à l’autre, ou le consensus international forgé par le FSB commence-t-il à s’effilocher ?

Pour la plupart, ce que nous avons vu n’est pas une nouvelle orgie de réglementation, mais plutôt un feu de joie de contrôles. L’Institute of International Finance a laborieusement recensé 312 initiatives, et compte toujours. La plupart relève de l’une des trois catégories suivantes : modification des exigences de fonds propres, conseils concernant les provisions pour pertes sur créances, contrôles sur les dividendes et autres distributions de capital comme les rachats d’actions.

Les modifications apportées aux exigences de fonds propres ont principalement affecté les réserves imposées aux banques depuis la dernière crise sous la rubrique générale de la réglementation macroprudentielle. De nombreux banquiers en étaient venus à penser que les suppléments macroprudentiels ne fonctionnaient que dans un sens : les réserves imposées en phase de croissance du crédit étaient maintenues en cas de récession. Face à une forte baisse, les régulateurs économiques ont fait preuve de souplesse bienvenue.

Une partie des réserves anticycliques ont été enlevées et il a été dit aux banques qu’il est désormais acceptable, en cas d’augmentation des pertes sur créances, de détenir des réserves inférieures au niveau de capital minimum exigé précédemment. Dix des 37 pays de l’OCDE ont jusqu’à présent enlevé les réserves anticycliques. Un certain nombre d’autres ont ajusté les exigences domestiques de réserves de capital ou de liquidité. Les comparaisons sont complexes, mais les changements semblent avoir des effets globalement similaires.

Ces changements sont généralement décrits comme temporaires. Ainsi, les banques qui peuvent se prévaloir de la flexibilité actuelle sont désireuses de savoir quand les réserves pourraient être réimposées et de combien de temps disposeraient-elles alors pour s’y conformer.

La Banque centrale européenne a déclaré que les banques de la zone euro auraient « amplement le temps » de reconstituer leurs fonds propres. La Banque d’Angleterre a dit que le temps serait « suffisant ». Les linguistes universitaires peuvent débattre de quel mot implique la plus longue période. Malheureusement, les avocats s’inviteront dans le débat si les régulateurs ne disent pas plus clairement ce qu’ils veulent dire.

Néanmoins, toute cette activité semble bel et bien largement compatible (au moins avant que les décisions difficiles de chronométrage). Jusqu’à présent, aucun organisme de réglementation national ne s’est véritablement appliqué à faire tomber les exigences de Bâle.

Il y a un problème potentiel, cependant. Nicolas Véron de l’Institut Peterson d’économie internationale a fait valoir que les changements de la Réserve fédérale au montant du ratio de levier financier supplémentaire représentent une violation grave de Bâle 3. La Fed a exempté les avoirs des banques en bons du Trésor du calcul de leurs actifs, alors qu’ils font explicitement partie de la définition de Bâle. Véron prévient que, bien que le changement en lui-même puisse ne pas être d’une grande importance, « si la tendance à la non-conformité se confirme, les conséquences les plus dommageables pourraient toucher les États-Unis eux-mêmes. »

Les changements dans le deuxième domai    ne, les provisions pour pertes sur créances, sont plus difficiles à évaluer, en partie parce que les États-Unis n’ont pas adopté les normes comptables internationales, et la norme internationale d’information financière (IFRS) 9 est nouvelle et non testée. Les banques ont besoin de conseils sur la façon de l’interpréter, en particulier en ce qui concerne les prêts garantis par le gouvernement et les prêts soumis à des suspension d’intérêt demandés. Il faudra veiller à ce que les différentes interprétations nationales de la norme IFRS 9 puissent être justifiées. Il est trop tôt pour être sûr de cela.

Le troisième domaine, les distributions de capital, est celle où la divergence internationale est la plus manifeste. Les régulateurs européens ont estimé que les dividendes et rachats d’actions devaient tout simplement être suspendus. La Fed et la Banque de réserve d’Australie ont laissé les banques décider s’il était sûr de payer un dividende.

Certaines explications de cette différence semblent évidentes. Par exemple, au cours de l’année dernière, 73% des distributions des banques américaines ont pris la forme de rachats d’actions et seulement 27% celle de dividendes, tandis qu’en Europe, 96% des distributions ont été versées sous forme de dividendes. Les banques américaines ont volontairement entrepris de suspendre les rachats, ce que la Fed a pris en compte lors de sa décision d’adopter une attitude plus détendue sur les dividendes.

Néanmoins, les décisions de chaque côté de l’Atlantique ont attiré de vives critiques. Le sénateur Sherrod Brown du Senate Banking Committee a accusé la Fed d’avoir été « trop empressée de fournir ce que vous appelez un ‘allégement réglementaire’ - et ce que le reste d’entre nous appelle des faveurs pour Wall Street ». De même, le Banking Policy Institute à Washington a maintenu qu’il y a « une bonne chance pour que les actions des régulateurs britanniques et de l’UE aient causé d’importants dommages de long terme à leurs banques. »

Qui a raison ? Il est trop tôt pour le dire.
Mais le Comité de Bâle aura beaucoup à discuter quand il sera enfin autorisé à se rassembler. La priorité devrait être d’évaluer les changements que les membres ont pris au cours de la crise et d’identifier ceux qui ont faussé les règles du jeu. Ce sera un exercice délicat, mais essentiel si l’on entend faire perdurer l’architecture financière mondiale reconstruit péniblement reconstruite après la dernière crise.

Traduit de l’anglais par Timothée Demont
*Président de la Royal Bank of Scotland