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Nuance ! La «3ssaba» n'est pas le «système»

par Reghis Rabah*

Bien que faisant partie du clan d'Oujda, Abdelaziz Bouteflika est l'un des artisans, à travers un président civil Ben Bella et sous l'impulsion son père spirituel, le colonel Houari Boumediene du pouvoir militaire dés 1962. Son retour en 1999 après une traversée du désert de prés de 20 ans a été caractérisé par la création de son propre « ordres établi ».

Son mode de gouvernance basé sur la cooptation, le régionalisme, le règlement de compte auxquels s'ajoutent ses traits de caractère particuliers comme le narcissisme, la vanité et la paranoïa ont favorisé la création d'une « 3ssaba » qui fait de lui un atome social autour duquel gravitent les opportunistes de tout bord. Ils s'accommodent dans cette espèce de modus vivendi pour la simple raison que chacun y trouve son compte. Même les partis de la coalition dont l'existence est censée noyer le poisson à défaut de le pêcher, ânonnent, en pamoison, à longueur de journée : « Le seul responsable, c'est lui, nous, nous obéissons puisque nous n'avons aucun programme, aucune idée et encore moins des propositions. » Ceci explique son comportement public, voir insultant envers certains de ses ministres. Ils encaissent, baissent la tête, mais c'est les règles du clan qui l'emportent. Cette situation pouvait durer indéfiniment tant que le noyau central tient et supporte ce sociogramme mais la maladie sérieuse de Bouteflika a changé les donnes en affolant les membres du clan. Catastrophe pire que pour celle de Boumediene où les aberrations de l'acharnement thérapeutique sous perfusion politique n'auraient pas hésité un seul instant à sacrifier toute la populace si le miracle en dépendait.

1- Cette 3ssaba a mélangé la politique avec l'argent

Selon une étude toute récente de New World Wealth (NWW), une ONG qui donne des informations sur les richesses dans les pays africains, quatre pays du Maghreb figuraient en 2017 dans le top 10 des pays qui comptent le plus de millionnaires en dollars sur le continent africain. La Tunisie viendrait en tête avec 6500 millionnaires, suivie de la Libye (6400), le Maroc (4900) et l'Algérie (4100). Les toutes premières places du top africain reviendraient à l'Afrique du Sud avec 48 800 millionnaires, suivie de l'Egypte (23 000), le Nigeria (15 900) et le Kenya (8400). L'étude New World Wealth définit le millionnaire comme étant un individu ayant des actifs nets de plus d'un million de dollars. Dans ce cadre justement l'Algérie mi 2018 compte plus 40 milliardaires. Il est clair que ces informations s'appuient sur les données compilées au moyen d'enquêtes diligentées à cet effet et les chiffres fournis par des institutions transnationales comme la Banque mondiale et l'OMC etc. Si en Tunisie, au Maroc, ou en Egypte pour ne citer que ceux là, ce nombre de millionnaires se justifie par plusieurs décennies de libéralisme, d'autres par l'extraversion de leur économie depuis plus d'un demi siècle, en Algérie la poussée de l'informel fausse et biaise ces résultats. En effet, si comme le prévoit l'étude New World Wealth le millionnaire est un individu ayant des actifs nets de plus d'un million de dollars, Les Algériens savent pertinemment que les barons de l'import-export et du marché informel qui disposent d'énormes sommes en liquide (s'hab echkara) et d'actifs non déclarés sont nombreux et politiquement très influents. Aucune étude ne leur est consacrée, seuls les services de renseignement algériens et, dans une moindre mesure, le fisc, ont une idée assez précise de l'immensité de leurs richesses et, bien entendu, de leur capacité de nuisance. Ces donnés échappent donc complètement à ces organismes et viendraient gonfler le nombre de milliardaires et millionnaires en Algérie et qui sont amassés dans le processus de spéculation dans des importations sans exportation. Toutes ces raisons et bien d'autres n'ont pas favorisé des actions efficaces des programmes gouvernementaux malgré un bon diagnostic. Les objectifs « prioritaires » assignés a un gouvernement, combien même remanié, risquent de l'éloigner encore plus longtemps des aspects économiques. Ceci va certainement creuser le fossé et pourra mener vers l'irréparable.

2- L'armée parle de la «3ssaba» et non du «système»

Relisons tous les discours de représentant de l'institution militaire, le vice ministre de la défense, chef d'état major de l'armée, Ahmed Gaid Salah, ainsi ceux du chef de l'Etat par intérim Abdelkader Bensalah, aucun d'entre eux n'a parlé à un moment ou un autre de cette deuxième république dont revendique la rue chaque mardi et vendredi. La feuille de route, tracée par l'armée consiste uniquement sur des points sur lesquels, elle n'a jamais tergiversé : le départ de la 3ssaba. Par contre les revendications du Hirak ont évolué progressivement. Rappelons que depuis la capitulation du GPRA imposée par le groupe d'Oujda en 1962, le peuple Algérien a été conduit d'une manière directe ou indirecte par un pouvoir militaire jour où ce déclic du cinquième mandat lui a fait comprendre que sa liberté effective ne l'atteindra que lorsqu'il se débarrasse de ce « système » instauré depuis pour édifier lui-même un Etat de « droit, républicain et citoyen ». C'est de cette humiliation qu'on a tenté de lui imposer que le peuple s'est soulevé d'une seule voie : # Errahlou gâa. Il faut reconnaitre qu'à ce jour de nombreux acquis ont été réalisé par un effort conjuguée entre les citoyens et leur armée, lesquels citoyens n'ont pas cessé de lui faire appel dés les premiers instants. Cet accompagnement de l'institution militaire devait créer les bases de ce débat en se débarrassant de l'essentiel : l'arrêt inconditionnel du processus du cinquième mandat et encore plus, mise en échec de la tentative de sa prolongation en obligeant Abdelaziz Bouteflika à la démission. La neutralisation de la « 3ssaba » qui conduisait le pays par des artifices extraconstitutionnels et surtout la lutte sans merci contre la corruption qui a vu défiler de hauts responsables devant la justice voire même emprisonnés. Ceci, restent des actifs considérables pour le Hirak et là commencent les divergences. Pour le pouvoir en place détenu par l'armée, les objectifs ont été atteints et donc un président qui a favorisé une gestion extraconstitutionnelle est parti, il faudrait un autre pour ne pas créer un vide constitutionnel sans pour autant évoquer cette deuxième république. Dans un de ces discours, Ahmed Gaid Salah a rappelé que l'armée n' pas les prérogatives de toucher à la constitution qu'il la laisse aux bons soins du futur président mais son accompagnement s'arrête jusqu'à son élection, supposé qu'il ne sera plus le premier responsable de l'armée car le président élu en occupera ce poste. Pour le Hirak des mardis et vendredis, il faudrait plus car cette façon d'opérer reconduit le systéme en vigueur depuis l'indépendance que le peuple n'en veut plus. Une solution médiane qui pourrait être acceptable est celle d'en faire de ce scrutin de toute évidence imposé, une « transition présidentielle » sur laquelle le futur président s'engagera bien avant son élection d'utiliser son mandat pour réaménager la constitution dans son équilibre du pouvoir et son verrouillage pour qu'elle ne soit plus triturée.

3- l'espoir populaire ne s'arrête pas à l'élection d'un président

Il s'agit de rester dehors pour créer les conditions favorables pour refonder un système institutionnel dans lequel la puissance publique est soumise au droit. L'environnement de gouvernance contiendrait des normes juridiques hiérarchisées de telle sorte que cette puissance publique s'en trouve balisée. Un tel système assurera une justice « juste et équitable » avec une juridiction indépendante. La souveraineté appartient au peuple, lequel peuple exerce le pouvoir public directement ou par l'intermédiaire de ses représentants qu'il aura à choisir lui-même en toute liberté et transparence. Dans ce systéme dont la jeunesse d'aujourd'hui longtemps marginalisée, favorise l'initiative citoyenne pour en faire des citoyens socialement présents, intéressés au corps social. Il s'agit là de tout un processus qui prendra du temps et reste unique dans son modèle de manière à n'attendre de l'aide d'aucun pays limitrophe voire africain ou Arabe.

4- Karim Younes et Charfi ont une divergence avec la « 3ssaba » et non le système

Peut-on dire pour autant qu'ils sont contre le « systéme » en vigueur en Algérie depuis 1962 ? C'est difficile à dire puisque les deux l'ont servi et reconnaissent leur qualité de commis de l'Etat. Le premier fonctionnaire à l'éducation national, militant du front de la Libération National voire adjoint Mouhafadh jusqu'au poste de ministre puis président de l'assemblée nationale et les mauvaises langues disent qu'il aurait pu rester au service de Bouteflika si ce n'est son soutien à Ali Benflis qui lui a permis d'accéder à ces postes. Le second n'a pas quitté le secteur de la justice jusqu'à sa mise à la retraite. Que se soit en tant que procureur sur le terrain ou ministre de la justice et garde des seaux. Il a accompagné le regime Bouteflika jusqu'à son quatrième mandat en 2014. Sa brouille avec lui sur le dossier Chakib Khelil l'honore certes, mais il n'est pas le seul. Yazid Zerhouni, bouteflikiste de pur sang a bien eu aussi des brouilles avec Chakib Khelil au moment du débat de la loi sur les hydrocarbures de 2005 sur laquelle la rue a obligé Bouteflika de l'amender par ordonnance, peut on dire aussi que cet ancien ministre de l'intérieur est contre le système qui l' a nourri. Cela pourrait s'appliquer aussi à Ali Benflis qui lorgne sa candidature à El Mouradia. Rappelons que Karim Younes, par qui est arrive Charfi a fait d'énormes concessions, dit il au nom de l'intérêt suprême de la nation. Pourrait- il aujourd'hui garantir, puisque le pouvoir ne le fait pas, qu'un président élu, même en toute transparence dans ces conditions ne serait-il pas pire que Bouteflika ? Rappelons qu'il allait au départ jeter l'éponge lorsque l'armée lui a dit « niet » aux préalables. Il a déposé un rapport dans lequel le départ du gouvernement Bedoui est bien mentionné « exigé par tous les partenaires consultés » y compris Talaie El Houriet, à l'issue de son entretien avec le chef de l'Etat lors du dépôt de ce rapport il a déclaré à la presse qu'il avait son aval pour lever cette réserve. La semaine dernière, le porte parole du gouvernement, ministre de la communication Hassen Rebehi a confirmé que ce gouvernement auquel il appartient ne partira pas. Finalement, les bonnes intentions de ces personnalités, pourtant crédibles n'ont-ils pas servi plus l'establishment que ce qu'ils visent réellement : l'intérêt général ? Avec ce gouvernement, les fonctionnaires de police, de wilaya et de wilaya délégué ne sont ils pas venus pour renforcer le terrain que l'autorité semble selon son président avoir conquis en moins d'une semaine ou conquerra dans moins de 90jours. Même s'il est vrai que les trois ministères celui de l'intérieur, la justice et les affaires étrangères ne sont plus impliqués dans les élections comme avant, ils le seront par le biais de leur ramification dans 48 wilayas à travers le pays. La manière habituelle dont a été élu le président de cette autorité indépendante, seule candidat par une levée des mains, la composante des ses 50 membres dont la majorité n'étaient hostile sinon ont soutenu au moins les quatre mandats de Bouteflika n'est assurément pas du tout rassurant, mais faut il garder espoir ?

5- l'armée et le Hirak sont dans deux dimensions différentes

Ahmed Gaïd Salah, vice-ministre de la Défense et chef des armées est convaincu, si l'on se réfère à son dernier discours à partir de la 5e région militaire à Constantine que le peuple a approuvé la démarche de sortie de crise de l'armée qui repose d'abord sur la légalité constitutionnelle ensuite sur un dialogue rationnel sans exclusion. S'appuie-t-il sur le rapport de l'instance de médiation et de dialogue pour le généraliser à la totalité des électeurs algériens ? Apparemment c'est le cas, en se référant à ce que pense Madame Fatiha Benabou professeur de droit constitutionnel à la faculté de droit à Alger et membre voire même présidente de la commission technique qui a élaboré les deux textes qui viennent d'être validés par les deux chambres du pouvoir législatif. Il s'agit en effet de l'adoption des deux projets de loi organique modifiant et complétant la loi électorale et le projet de loi organique relatif à l'Autorité nationale indépendante des élections. Pour Fatiha Benabou, les deux visions celles d'aller directement vers un présidentielle ou passer par un processus constituant n'est plus au stade de débat mais devenu « deux camps distincts » caractérisé par un «matraquage idéologique». Chaque camp tente de faire peur l'autre au lieu de développer ses arguments. On est donc selon ces propres termes «dans une atmosphère de guerre psychologique» qui déroute la population profonde. La violence verbale est devenue monnaie courante dans un camp comme de l'autre. Pour Mme Benabou, la commission technique du panel de dialogue et de médiation a travaillé en s'appuyant sur la situation exceptionnelle non prévue par la constitution qui a permis de revenir aux articles 7 et 8 «qui ont de suite pris le relais». Dans ce cas, c'est la voie du peuple qui est prise en considération. Le Hirak dit elle « n'est pas homogène car il est composé de différents groupes idéologiques ». Tandis que le peuple dans son ensemble, il est l'auteur de la constitution et par voie de conséquence, «c'est lui qui prime sur son œuvre qui reste cette constitution». Donc, conformément à l'article 8, qui dit que le pouvoir constituant appartient au peuple, ce dernier fait primer sa volonté sur son œuvre. Donc les articles 7 et 8 seront appliqués, «c'est même, le moment idéal, pour le faire». Pour Fatiha Benabou, «toute défaillance de la constitution qu'on appelle légalité constitutionnelle, laisse automatiquement la place à la légitimité populaire». On ne peut donc trancher que par référendum ou élection. « C'est le principe même de la démocratie qui permet de juger la volonté populaire». Elle ne mâche pas ses mots quand elle soutient que «la rue exprime une simple opinion» et d'ajouter, ni le panel de dialogue et de médiation et encore moins les personnes consultées ne représentent le peuple. «Seule une large consultation par voie référendaire ou élective, pourra mesurer sa véritable volonté», estime-t-elle à contre-courant du discours répandu par le pouvoir.

Or, le référendum ne peut être organisé car le chef de l'Etat intérimaire n'a pas la prérogative de l'initier, il reste donc l'élection présidentielle. Elle reprendra le chemin de la légalité pour permettre au peuple de réaménager ou changer carrément la constitution pour satisfaire sa volonté d'aller vers un Etat de droit républicain et citoyen. «Si le peuple n'est pas satisfait, il change de président ».

*Economiste pétrolier