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Organisation des élections présidentielles : Enjeux et défis de la démocratie et de la République

par Bouriche Ryadh*

A travers des manifestations grandioses et historiques qui se sont déroulées dans le calme et la dignité, les Algériennes et les Algériens viennent d'exprimer leur volonté de rupture avec un système de gouvernance qui a duré longtemps.

En disant «non au cinquième mandat», «non à la prolongation du quatrième mandat», «non au report des élections» et «oui au changement radical du pouvoir/système», ils ont manifesté leur désir de reprendre leur destin en main pour, enfin, vivre dans la liberté et la démocratie et se dresser contre ce que l'on appelle aujourd'hui cette «première république» fondée sur la légitimité révolutionnaire. Autrement dit, il y a là l'envie de passer à une deuxième république, c'est-à-dire de passer tout simplement de cette légitimité révolutionnaire à la légitimité populaire, dans le cadre de l'existence d'institutions fortes et de séparation des différents pouvoirs (exécutif, législatif, judiciaire).

Si l'on considère que la république est l'autogouvernement du peuple, il s'ensuit alors que chaque citoyen doit être consulté sur les choix publics, et du coup il revient ; aujourd'hui plus que jamais à prendre en considération tous ces cris alarmistes du peuple algérien pour fonder cette deuxième république. Cet autogouvernement du peuple implique l'idée de nation, lieu de l'exercice de la souveraineté populaire. Si le devoir de la République est de préserver la liberté de chaque individu algérien de toute intrusion arbitraire, intérieure ou extérieure, il s'agira d'entendre ses demandes politiques (ce que l'on appelle en politique publique «political demands») et de répondre à ses doléances, sans faute, sans aucun retard et d'une bonne manière avec l'urgence de revoir la question des politiques publiques institutionnelles. Selon les manuels politiques, la république est considérée comme la chose publique ou la chose de tous, ce qui permettrait d'avoir normalement un régime où il y a «des citoyens, également soumis à la loi, qu'ils se sont donné à eux-mêmes dans l'intérêt de tous». A partir de là, la république revendiquée en Algérie doit, donc, impérativement incarner la liberté politique contre l'arbitraire avec de grands thèmes comme le primat de l'intérêt commun sur les intérêts particuliers, le gouvernement des lois ou l'Etat de droit et la vertu civique.

Le peuple algérien s'est, donc, exprimé sur cette chose publique ou cette chose de tous. Il appartient aux autorités algériennes d'aujourd'hui de se placer à ce niveau de conscience politique et citoyenne dont le peuple a fait preuve. C'est à ce prix que ces autorités pourront éviter le pire au pays et œuvrer à ne pas faire rentrer le pays dans «un processus sans issue». La situation nécessite une sagesse politique qui croit tout simplement aux dogmes de la république, tout en respectant la constitution et en considérant le peuple comme la source de tout pouvoir. En effet, la souveraineté nationale doit appartenir exclusivement au peuple, d'une manière démocratique, en procédant à l'organisation, entre autres, d'élections présidentielles libres et transparentes. Il s'agit de dire ici qu'on arrête, en Algérie, de fabriquer le président de la république et laisser cette tâche au peuple à travers le vrai suffrage universel démocratique. Dans ce sens, la démocratie représente une aspiration de l'humanité, en tant que société idéale où les hommes et les femmes prennent en mains leur propre destin. L'idéal de la démocratie repose sur la conception que le pouvoir politique procède du peuple souverain. Il ne peut donc y avoir de démocratie sans implication du citoyen, c'est-à-dire sans citoyen actif et agissant dans le choix de ses représentants. En effet, il ne peut y avoir participation politique si on ne se considère pas partie prenante d'un groupe, sans sentiment d'appartenance, sans disposer de moyens de se faire entendre avec des moyens institutionnels. Mais il ne peut y avoir tout cela sans une légitimation républicaine du suffrage universel, c'est-à-dire sans l'organisation transparente de l'élection présidentielle.

Depuis quelques semaines le pays vit une crise politique, non du fait de la mobilisation populaire, mais de la mauvaise lecture de la scène politique de la part des pouvoirs publics qui ont annoncé au début la candidature du président au cinquième mandat, et par la suite la prolongation du quatrième mandat, le report de l'élections présidentielle, l'envie de l'organisation d'une conférence nationale et la réforme de la Constitution : tout cela dans une période de transition extra-mandat-constitutionnel.

En tout cas, exercer un mandat prolongé en toute illégalité et prendre des décisions qui n'auront, constitutionnellement, aucune validité légale, risque de faire rentrer le pays dans une situation gravissime aussi bien sur le plan intérieur qu'extérieur. Le pouvoir, par cette démarche, pourrait accomplir un acte de divulgation, car il renie son serment solennel de respecter la Constitution. L'histoire politique n'accepterait sûrement aucune justification qui peut effacer cette forfaiture. Il s'agit de dire que l'output politique attendu ou bien le vrai salut politique est dans l'alternance avec l'organisation transparente des élections présidentielles juste après la fin du mandat, par un gouvernement national et une commission électorale indépendante.

Dans le même sens, la crédibilité, d'une part, de la conférence nationale, difficile à atteindre dans ces temps de non-calme et d'autre part, de la démarche de réforme constitutionnelle profonde que le pouvoir politique a promis pour une période de transition, est plus que fragile car tout ce qui sera conçu dans une période non-constitutionnelle ne fera jamais l'unanimité et ne sera jamais accepté par tous. On ne peut violer la Constitution pour s'engager à faire mieux.

La même remarque peut être faite pour les gens qui sont en train de revendiquer des mesures transitoires avec la mise en place d'un haut comité d'Etat et d'un conseil constituant qui assureraient la période de transition ; la question que l'on peut se poser ici est : qui va choisir qui ? La référence juridique justifiant les mesures transitoires qui seront prises par des représentants, difficiles à choisir par tout le peuple, ne peut assurer la crédibilité de cette feuille de route qui n'a pas d'agenda opérationnel du moins jusqu'à maintenant. Ces deux scénarios tourneraient sûrement autour de la négociation avec les autorités. Faut-il débattre, négocier avec ceux qui sont en place, pour une transition, pour des réformes constitutionnelles et un autre processus électoral sur de nouvelles bases constitutionnelles et institutionnelles ? Ces deux scénarios nécessiteraient sûrement une période de transition déterminée et parfois longue, et un consensus sur la période «extra-mandat constitutionnel» animés par une conférence nationale indépendante ou bien par un Haut Comité d'Etat...

Mais, lors des derniers développements de la scène politique, il parait qu'il y a eu un troisième scénario par l'éventuel appel du chef de l'Armée au Conseil constitutionnel pour une solution à la crise politique à travers l'activation de l'article 102 de la Constitution qui évoque que : «Lorsque le président de la République, pour cause de maladie grave et durable, se trouve dans l'impossibilité totale d'exercer ses fonctions, le Conseil constitutionnel se réunit de plein droit..., il est procédé à une déclaration de vacance par démission de plein droit. Le président du Conseil de la Nation assume la charge de Chef de l'Etat pour une durée de quatre-vingt-dix (90) jours au maximum, au cours de laquelle des élections présidentielles sont organisées...Le Chef de l'Etat, ainsi désigné, ne peut être candidat à la présidence de la République...».

Pour ce scénario de l'article 102 de la Constitution qui arrive un peu tard pour une possible solution constitutionnelle à la crise politique, il pourrait constituer un début de solution à la crise mais il n'est pas suffisant car il aura besoin de la mise en place de deux autres éléments : un gouvernement national nommé avant le départ du président, dans le cadre d'un débat public et constitué de personnalités intègres, neutres et consensuelles, en plus de la nécessité de la désignation d'une Commission électorale nationale indépendante pour l'organisation transparente des élections présidentielles avec comme condition la non ingérence ni de l'administration centrale (pouvoir en place), ni de l'armée...) dans cette opération. Tout cela, si on prend en considération l'article 104 de la Constitution qui évoque que «le gouvernement en fonction, au moment de l'empêchement, du décès ou de la démission du président de la République, ne peut être démis ou remanié jusqu'à l'entrée en fonction du nouveau président de la République». N'importe quelle analyse de la situation politique en Algérie pose la question centrale des moyens utilisés pour atteindre l'objectif démocratique qui respecte la légitimité et la constitutionnalité de la chose politique. C'est, certainement, en ce sens que Georgina Sánchez López, dans son livre intitulé : ?Les chemins incertains de la démocratie en Amérique latine', édité à L'Harmattan en 1993, affirme que «face à des évolutions aussi rapides qu'incertaines, des légitimités à construire, la démocratie reste à inventer ...». Il s'agit d'essayer d'éviter tous les chemins incertains pour atteindre cette république démocratique, en Algérie.

En guise de conclusion, la transition démocratique entraîne l'abandon des anciennes règles du jeu politique et suscite l'apparition de nouveaux acteurs politiques et de nouvelles configurations stratégiques. Selon Juan J. Linz, dans ?Democratic transitions and democratic consolidation', publié en 1991, cette transition est complète lorsqu' «un gouvernement arrive au pouvoir comme le résultat direct du suffrage libre et populaire, quand ce gouvernement dispose d'un pouvoir souverain pour générer de nouvelles politiques publiques, et quand les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire nés de la nouvelle démocratie n'ont pas à partager le pouvoir avec d'autres corps de droit.» Encore faudrait-il souligner que «le politique/politics», au sens du phénomène conflictuel de la politique dans le cadre de la lutte pour atteindre le pouvoir, c'est de l'éthique, des principes et des prises de positions, mais il reste aussi du travail à faire en Algérie, c'est «la politique/policy» au sens de relever les défis des politiques publiques qui seront élaborées par un pouvoir quelconque, une fois mis en place d'une manière légitime.

* Professeur-Docteur en Sciences politiques - Docteur en Droit, diplôme d'études approfondies en Economie