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Le Commandant Bousmaha, dit Mohamed Berrouaghia,
un authentique combattant de l'ALN qui a pris le maquis dès l'aube de la
Révolution, sera nommé responsable de la zone 6. Il sera secondé par le
capitaine Rouchaï Boualem,
dit si Zoubir et par si Djaafar.
Suite à la capture du Commandant Bousmaha, le 25 novembre, à Béni Messous, après un sanglant accrochage avec l'armée française, le capitaine Rouchaï va assumer l'intérim de la zone 6. Il va installer son PC, à la cité ?El Bahia' à Kouba, au domicile des Khmissa, une famille d'authentiques moudjahidine et de militants de la première heure. Depuis son PC de Kouba, le capitaine si Zoubir, l'enfant de Belcourt, va prendre des décisions qui auront une portée incommensurable sur le cours des évènements. Il fallait endiguer le torrent impétueux des manifestations de Belcourt et d'El Harrach, en capter l'énergie et l'étendre à tous les quartiers d'Alger, en leur donnant un sens politique majeur qui allait mettre, définitivement, en échec le projet de la troisième force caressée par de Gaulle et ses affidés. Comme tous les autres quartiers d'Alger, de Guyotville à Maison Carrée, La Casbah sera instruite par les agents de liaison sur les mots d'ordre, les revendications et les slogans. Ces mots d'ordre et ces slogans étaient d'une simplicité confondante. La plus importante et la plus symbolique des instructions données par Si Zoubir fut, sans nul doute, celle concernant la confection de l'emblème national qui devra être brandi lors des manifestations. Mais à l'ambiguë formule ?Algérie algérienne' de de Gaulle, si Zoubir lui opposera une autre formule tout aussi ambiguë : ?Algérie musulmane'. Faisant fi de la peur des militaires et des collaborateurs, des centaines d'adolescents, ramenaient depuis la rue de la Lyre et du marché de Chartres, où les commerçants musulmans et juifs furent mis à contribution, des quantités importantes de petits paquets de tissu rouge, blanc, vert, du fil et des aiguilles. La nuit, des centaines de femmes allaient, qui penchées sur d'antiques machines à coudre, qui utilisant des minuscules aiguilles confectionner le drapeau suivant le modèle qui a été fourni par le ?Nidham'. Je me remémore encore cette véritable ?Nuit du Destin' où les femmes de notre douira rassemblées, dans le menzah, confectionnaient des emblèmes de tailles différentes. Les petites filles, elles, découpaient sur des patrons de fortune le croissant et l'étoile. Et nous, enfants, montions la garde sur les terrasses pour protéger les femmes et le précieux étendard. De nombreux drapeaux furent, ainsi, réalisés et distribués, de terrasse en terrasse. D'immenses drapeaux de plus de trois mètres de long, furent, également, cousus. Ils serviront beaucoup plus tard de linceul aux couturières qui émirent le vœu d'être inhumées enveloppées dans l'emblème sacré. Le lendemain toute la Casbah fut pavoisée. Le boulevard de la Victoire était totalement investi par les militaires. Des chars et des automitrailleuses étaient positionnés au carrefour de Serkadji. Une clameur nous parvenait de la Rampe Valée voisine. Des Algériens manifestaient; certains criaient ?Algérie algérienne', d'autres ?Algérie musulmane' et ça donnait à l'oreille ?Algérie Masulmane'. Ces manifestants, qui ne brandissaient ni banderole, ni pancarte et encore moins le drapeau ?vert blanc rouge' furent stoppés à la cité des Eucalyptus par les Zouaves et refoulés vers le jardin Marengo et vers la rue Bencheneb. Bizarrement les milliers de militaires français qui avaient isolé La Casbah se montraient d'une étonnante et bienveillante complaisance avec ces marcheurs. Plus tard on apprit que ces manifestations encadrées par des collaborateurs et des bleus de chauffe de sinistre mémoire, étaient organisées par la SAS. La population ne s'y trompa pas. L'emblème national était brandi sur toutes les terrasses de la Casbah. Les femmes et les filles entonnaient, à l'unisson, un chant patriotique tombé, depuis, dans l'oubli. Ce chant composé dans la fournaise de la guerre de Libération commençait par « Ya frança ktelti guàà ecchoubane ki yekhlassou houma idjahdou enesswane » et qui se terminait par « Djamal et Abbas fi babour el houria » (France tu as tué tous les hommes, quand il n'y en aura plus, les femmes iront te combattre). Les banderoles reprenaient les mots d'ordre de si Zoubir : ?Algérie musulmane', ?Négociations immédiates', ?Abbas au pouvoir', ?Vive le FLN', ?Libérez Ben Bella', ?Vive le GPRA', ?Vive l'Indépendance'. Et nous les enfants, devenus adultes malgré nous, allions manifester notre soutien aux moudjahidine, au Boulevard de la Victoire, à la rue Randon, aux escaliers du cinéma ?Nédjma', au deuxième, à la rue Bencheneb, à Sidi Abderrahmane. Soustara était noire de monde et les balcons de la cité Bitche étaient tous pavoisés. Nous crions à tue-tête ?Soustelle à la poubelle l'Algérie pour les rebelles', face aux militaires qui bouclaient notre quartier pour isoler, totalement, la vieille cité, El Djazaïr El Mahroussa, qui a vaincu l'empereur Charles Quint en octobre 1541. Nous évitions de brandir le drapeau pour ne pas servir de cibles aux tireurs, aussi bien de l'armée que des pieds noirs. Puis vers 14h, un silence pesant s'est abattu sur La Casbah survolée par les hélicoptères. Depuis les petites fenêtres des cellules des condamnés à mort de Serkadji, des bras vigoureux ont brandi à travers les barreaux l'emblème national. Les patriotes clamaient leur foi en la victoire finale. Armés de lances à incendie, les gardiens de la prison se sont acharnés sur les détenus et les ont noyés sous des torrents d'eau glacée. Puis, comme aux heures sombres des exécutions capitales, la prison de Serkadji va résonner de chants patriotiques et de « Allah Akbar» ». Les youyous alors fusèrent de mille poitrines des terrasses de La Casbah en signe de solidarité aux détenus. ?Min Djibalina' gronda, résonna, s'amplifia et roula de terrasse en terrasse, jusqu'à la mer, jusqu'à la Place du Cheval. La Casbah a manifesté deux jours après Belcourt où les habitants ont bravé les militaires et les CRS et poussé les Européens à se réfugier chez eux, après qu'ils eurent occupé la rue. Le soir on a appris que les habitants de Kouba, Salembier, Birmandreis, Laaquiba, Diar Essaada, Diar el Mahçoul, Climat de France, Cité Mahieddine, Groupe Taine, bidonville d'El Kettar, la Carrière Jaubert, Bouzaréah et d'autres quartiers populaires ont manifesté en force. Les militaires ont tiré sur les foules désarmées. Il y eut des centaines de chouhada. Tout Alger s'est révolté mais aussi Oran, Sidi Bel-Abbès, Constantine, Annaba et d'autres villes. Dans des déchras de Kabylie, les hameaux de Jijel, El Koll, Skikda, les femmes, les jeunes filles et les enfants allaient braver les militaires français et les hélicoptères qui les mitraillaient en scandant des chants révolutionnaires et leur soutien au FLN. Devant le bain de sang qui s'annonçait Ferhat Abbas a, le 16 décembre, ordonné depuis Tunis, l'arrêt des manifestations. Le peuple exsangue mais discipliné et qui sacralisait la direction politique de la Révolution s'exécuta. Ces journées furent un tournant, dans une guerre qui a commencé le 1er novembre 1954. Elle confirma, de façon magistrale, la sentence de l'enfant de douar El Kouahi, à Aïn M'Lila qui affirma devant le scepticisme de ses compagnons d'arme: « Mettez la Révolution dans la rue, elle sera portée par des millions d'Algériens ». On a brandi, en décembre 1960, notre drapeau à la face du monde et crié haut et fort « vive Abbas, vive le GPRA». On nous a dit que nos cris ont fait vibrer les murs de Manhattan et que des comités de soutien à notre lutte se sont créés partout dans le monde (Nouvelle Zélande, Australie, Japon, Argentine ?). Nous étions persuadés que tout en rendant hommage aux Martyrs et aux prisonniers, nous avons contribué, certes très modestement, à la Libération du pays des ancêtres. Le sacrifice des Chouhada Ali la Pointe, Hassiba, Bouhamidi, petit Omar, Ramel, Mourad, Arbadji et les fidas originaires de la rue des Mimosas, de la Redoute et de tant d'autres martyrs, décapités par la « fingua » n'était pas vain. Leur avons-nous rendu l'hommage qu'ils méritaient ? Avons-nous été dignes des combattantes et combattants emprisonnés, en Algérie et en France, les Djamila Boupacha, Djamila Bouhired, Louisette Ighilahriz, Djamila Bouazza, Djouher Akrour, Baya Hocine, Ali Moulay, Ahmed Bayou et des milliers d'autres moudjahidine qui ont défié l'un des plus puissants et plus féroces système colonial du monde ? Ces journées de décembre prouvèrent que les valeurs de sacrifice, de solidarité, de fraternité, d'abnégation, d'amour du prochain des Algériens n'étaient pas des abstractions. Ces journées furent l'œuvre de la jeunesse des villes, jeunes hommes et jeunes filles. Mais aussi des enfants. Ce furent aussi les journées des femmes qui par dizaines de milliers ont manifesté et galvanisé les hommes par les youyous stridents et ont subjugué le monde entier. L'immense et célébrissime artiste Pablo Picasso ne s'y était pas trompé. En réalisant le portrait de Djamila Boupacha, il fit de cette fidaïa, incarcérée, atrocement torturée et condamnée à mort, l'icône incontournable de la résistance du peuple algérien et la Mona Lisa de la Révolution. L'artiste andalou qui n'a jamais caché sa sympathie pour la lutte du peuple algérien, a voulu, en réalisant ce portrait rendre hommage, à toutes ces femmes qui ont tant donné pour l'indépendance. Conclusion Si Zoubir va trouver la mort avec son compagnon Khelifa les 11 janvier 1961, lors d'un âpre combat qui eut lieu, dans un entrepôt de Belcourt, à la rue Lamartine. Des milliers de personnes, hommes et femmes, l'ont accompagné à sa dernière demeure à El Kettar encadrés par d'impressionnantes forces de répression. Ce cortège funèbre silencieux fut la dernière manifestation de masse d'Alger précédant le 3 juillet 1962. Puis ce fut l'indépendance. Les combats fratricides. L'exode des Pieds noirs. Les Martiens. La force locale. La désillusion totale et l'amertume. La légende glorificatrice, aussi, s'imposa à travers des institutions publiques ou privées pour traiter, à sens unique, des parcours humains complexes confrontés à de dures réalités. Si Zoubir n'échappe pas à cette récupération. Celui qui est présenté comme le déclencheur des manifestations de décembre 1960, assimilées sans retenue aucune au 1er Novembre 1954, va être sanctifié par ses anciens compagnons par une sorte d'hagiographie dévastatrice qui se voudrait une résistance active contre l'oubli. Rouchaï Boualem qui a remplacé Si Mohamed Berrouaghia dans des conditions de combats difficiles se devait de relever le défi pour que la zone 6 soit digne de la confiance qui lui a été octroyée par le Conseil de la wilaya 4 et par le GPRA. Il a, grâce à ses réseaux, récupéré des contre-manifestations anticolonialistes spontanées ou initiées par les services psychologiques de l'armée française (les historiens en débattent encore). Il lui fallait donner raison à ceux qui ont érigé l'ex ZAA en zone 6. Il fallait qu'Alger exprime la vitalité de la Révolution. Mais avait-il un autre choix ? Il porte néanmoins, la responsabilité d'une sanglante répression qui a coûté la vie à des centaines de jeunes. Il a sans doute voulu s'imposer comme véritable chef de la Zone 6 qui a été créée dans la turbulence de la guerre. Il a sous-estimé la force et la hargne de ceux qui, même dans son propre camp, lui contestaient ce leadership. Il n'a pas pu canaliser, dans la durée, le soulèvement populaire. Il n'a pas pu le stopper avant l'hécatombe annoncée. En avait-il d'ailleurs les moyens ? Il est mort les armes à la main dans un refuge de Belcourt où bizarrement il a été localisé et isolé. Il est mort pétri dans ses convictions et ses espérances comme Ali la Pointe, comme Amirouche, comme tant d'autres martyrs. Sa disparition combla, bien sûr, les militaires français mais sûrement, aussi, ceux qui se préparaient à occuper à l'indépendance une capitale expurgée de toute résistance et vidée de toute personnalité charismatique qui pourraient contrecarrer leurs ambitions. Ces jours de décembre 1960 le peuple avait défié le colonialisme pour l'indépendance qui était synonyme de liberté, de dignité, de prospérité. La déception fut immense. Heureux furent les Martyrs qui n'ont rien vu avait écrit un combattant dès l'été 1962. * Enarque |
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