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NEW YORK - Comme Larry Summers le souligne à juste titre, le terme «stagnation séculaire» est devenu populaire à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Alvin Hansen et beaucoup d’autres craignaient que, sans la stimulation fournie par la guerre, l’économie plongerait à nouveau dans la récession ou la dépression. Il y avait, semblait-il, une maladie fondamentale.
Pourtant, cela n’a pas eu lieu. Comment Hansen et d’autres ont-ils pu se tromper autant ? Comme c’est le cas de certains défenseurs de la stagnation séculaire des temps modernes, il y avait des failles profondes dans l’analyse micro et macro-économique sous-jacente – et, de manière encore plus importante, dans l’analyse des causes de la Grande Dépression elle-même. Comme nous l’avons soutenu avec Bruce Greenwald (et d’autres co-auteurs), la forte croissance de la productivité agricole (combinée avec une forte production mondiale) a entraîné une baisse des prix des produits agricoles – dans certains cas de 75% - au cours des seules trois premières années de la dépression. Les revenus dans les principaux secteurs économiques du pays ont chuté de moitié environ. La crise dans l’agriculture a conduit à une diminution de la demande de biens urbains et donc à un ralentissement général de l’économie. La seconde guerre mondiale, par contre, a représenté plus qu’un simple stimulus fiscal; il a entraîné une transformation structurelle, car l’effort de guerre a déplacé un grand nombre de personnes des zones rurales vers les centres urbains et leur a fourni les compétences nécessaires à une économie manufacturière, un processus qui a continué avec le projet de loi GI. De plus, la façon dont la guerre a été financée a évité d’appauvrir les ménages, qui ont pu libérer une forte demande une fois la paix revenue. Une transformation structurelle analogue, cette fois non pas de l’agriculture vers l’industrie, mais bien d’une croissance tirée par la fabrication vers une croissance basée sur les services, aggravée par la nécessité de s’adapter à la mondialisation, a marqué l’économie dans les années précédant la crise de 2008. Or, cette fois, la mauvaise gestion du secteur financier avait fortement endetté les ménages. Contrairement à la fin de la Seconde Guerre mondiale, il y avait donc une raison de s’inquiéter. Comme Summers le sait bien, j’ai publié un commentaire largement cité dans le New York Times du 29 novembre 2008, intitulé « Une réponse à 1 billion de dollars ». Dans ce document, j’appelais à un plan de relance beaucoup plus fort que ce que le président Barack Obama a finalement proposé. Et c’était en novembre. En janvier et février 2009, il était désormais clair que le ralentissement était plus grave et qu’une relance plus large était nécessaire. Dans ce commentaire dans le Times, et plus tard de manière plus détaillée dans mon livre Freefall, je faisais remarquer que la taille du stimulus nécessaire dépendrait à la fois de sa conception et des conditions économiques. Si les banques ne pouvaient pas être amenées à rétablir le crédit, ou si les États fédérés réduisaient leurs propres dépenses, un plus grand stimulus serait nécessaire. En effet, j’ai préconisé publiquement de lier les dépenses de relance à ces contingences – créant ainsi un stabilisateur automatique. Comme on s’en est rendu compte, les banques n’étaient pas obligées d’augmenter leurs prêts aux petites et moyennes entreprises; elles les ont en fait diminués de façon drastique. Les États, eux aussi, ont réduit les dépenses. De toute évidence, un stimulus encore plus large en termes de dollars serait nécessaire s’il était mal conçu, avec une grande partie gaspillée en réductions d’impôts moins rentables, ce qui s’est produit. Il devrait être clair, cependant, qu’il n’y a rien de naturel ni d’inévitable à la stagnation séculaire du niveau de la demande globale à des taux d’intérêt nuls. En 2008, la demande a également été déprimée par l’énorme augmentation des inégalités qui se sont produites au cours du quart de siècle précédent. La mondialisation et la financiarisation mal gérées, ainsi que des réductions d’impôts pour les riches – y compris les réductions de l’impôt sur les gains en capital (majoritairement au profit ceux qui sont au sommet) pendant les administrations Clinton et Bush – ont été les principales causes de l’accélération de la concentration des revenus et de la richesse. Une réglementation financière inadéquate a rendu les Américains vulnérables au comportement prédateur du système bancaire et lourdement endettés. Dès lors, il y avait d’autres moyens d’accroître la demande globale outre les mesures de relance budgétaire: faire plus pour inciter les prêts, aider les propriétaires, restructurer les dettes hypothécaires et remédier aux inégalités. Les politiques sont toujours conçues et adoptées dans l’incertitude. Mais certaines choses sont plus prévisibles que d’autres. Comme Summers le sait de nouveau très bien, quand Peter Orszag, le directeur du Ministère de la planification et du budget au début de la première administration d’Obama, et moi-même avons analysé les risques du prêteur hypothécaire Fannie Mae en 2002, nous avons dit que ses pratiques de prêt à ce moment-là étaient saines. Nous n’avons pas dit que, quoi qu’il fasse, il n’y avait aucun risque. Or, ce que Fannie Mae a fait plus tard dans la décennie a eu une grande importance. Il a changé ses pratiques de prêt pour ressembler davantage à celles du secteur privé, avec des conséquences prévisibles. (Même alors, et malgré le bobard issu des rangs de la droite cherchant à inculper Fannie Mae et l’autre prêteur soutenu par le gouvernement, Freddie Mac, ce sont bien les prêts du secteur privé, en particulier par les grandes banques, qui ont déclenché la crise financière.) Mais ce qui était prévisible et prévu était la manière dont les produits dérivés sous-réglementés pouvaient envenimer la crise. La Commission d’enquête sur la crise financière a indiqué clairement la responsabilité du marché des produits dérivés comme l’un des trois facteurs centraux ayant déclenché les événements de fin 2008 et 2009. Plus tôt, au sein de l’administration du président Bill Clinton, nous avions discuté des dangers de ces produits financiers risqués qui se multipliaient rapidement. Ils auraient dû être contrôlés, mais la Loi Commodity Futures Modernization de 2000 a empêché la réglementation des produits dérivés. Il n’y a aucune raison que les économistes doivent se mettre d’accord sur ce qui est politiquement possible. Ce sur quoi ils peuvent et doivent se mettre d’accord, c’est au sujet de ce qui serait arrivé si ... Voici l’essentiel: Nous aurions bénéficié d’une reprise plus forte si nous avions mis en œuvre un stimulus plus large et mieux conçu. Nous aurions bénéficié d’une demande globale plus forte si nous avions fait davantage pour lutter contre les inégalités, et si nous n’avions pas poursuivi des politiques qui les ont aggravées. Et nous aurions bénéficié d’un secteur financier plus stable si nous l’avions mieux réglementé. Ce sont les leçons que nous devons garder à l’esprit au moment où nous nous préparons à la prochaine récession économique. Traduit de l’anglais par Timothée Demont *Lauréat du prix Nobel 2001 en sciences économiques - Son livre le plus récent s’intitule Globalization and its Discontents Revisited: Anti-Globalization in the Era of Trump |
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