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Le football, comme d'autres sports,
comme les chansons, la musique et les livres, a ceci de particulier qu'il
accompagne et rythme nos vies, que l'on s'y intéresse a priori ou pas par
ailleurs. Car toutes ces activités humaines et bien d'autres encore bien sûr,
font partie, selon les mots d'Edgar Morin, des moments de communion et de
«poésie» si précieux pour nous tous, par opposition à ce que le même Morin
classe comme étant de la «prose», incontournable mais peu captivante pour
l'Homme dans ce qu'il a de plus profond.
Avant tout je précise que je suis, à titre personnel et sans doute comme beaucoup, très critique sur les montagnes d'argent qui irriguent le football aujourd'hui, au détriment à coup sûr de l'esprit de camaraderie et d'équipe, du sentiment d'appartenance et de partage qui sont très stimulants et dans lesquels je me reconnais si bien que je suis davantage adepte des rencontres internationales comme la coupe du monde de football, moment fort de communion des supporters de tous les pays. Et même si l'argent se retrouve également dans ce genre de compétitions, car il ne s'agit pas d'être dupe, il faut noter qu'il y est beaucoup moins mis en avant. Il y a quarante ans exactement, un évènement inédit et très marquant pour les Algériens, a ponctué la coupe du monde de football qui était organisée en Espagne pendant l'été 1982. Je venais alors de «terminer» le collège d'enseignement moyen (CEM) de Seddouk en plein milieu des terres de la Kabylie, et j'étais prêt à m'élancer au sein du lycée Debbih Chérif d'Akbou à trente kilomètres de là. A quatorze ans, les préoccupations de fin de collège s'étant donc évanouies et le sentiment du devoir accompli m'ayant gagné, je pouvais occuper tout mon esprit, pendant ce qui restait du mois de juin et du début de juillet, habituellement ponctués d'une chaleur étouffante et de l'absence de perspective d'évasion pour les vacances, par l'équipe nationale algérienne de football avec la fierté de la savoir qualifiée aux phases finales de coupe du monde pour la première fois de son histoire. Pour l'excellent et charismatique professeur de sciences naturelles que j'avais alors, Monsieur H.B., c'était déjà un exploit pour l'équipe d'Algérie de se qualifier vingt années seulement après l'indépendance du pays. Cette déclaration inhabituelle de fin de cours, dans ce moment rare que nous aimions où des échanges informels étaient possibles avec ce professeur, tant le rythme de ses cours était impeccable et efficace, provoqua le silence général et approbateur des quarante-cinq élèves (environ) de ma classe. Une émotion forte a même fendu l'atmosphère avant que nous quittions le cours qui était un des derniers de l'année scolaire, encore plus déterminés que jamais à être des supporters inconditionnels des «verts», la jeune équipe algérienne de 1982, comme notre modèle de professeur. L'atmosphère d'avant la compétition... Bien sûr, quasiment tout le monde parlait de cette coupe du monde à Seddouk, exceptées bien sûr, et généralement, les filles et les mères. Ces dernières considéraient que c'étaient là des préoccupations des garçons que nous étions, sans doute trop contents de les exclure, encore une fois, de ces «champs» qui nous appartenaient à titre exclusif (au même titre d'ailleurs que l'espace public qui était entièrement masculin) sans jamais que cela soit remis en cause par personne et certainement pas par les premières concernées. Pour ce qui est de nos pères, il y avait globalement deux écoles : ceux qui étaient méfiants car l'idée de l'interdiction de ce jeu dans l'Islam circulait, en tout état de cause à cette époque, dans les milieux sunnites quelque peu radicaux ; et les autres, qui ne donnaient aucune importance à ce genre de «sornettes» car ils se considéraient comme des gens sérieux. Il restait la minorité des «modernes» avec une pensée que l'on peut qualifier de «laïque», plus ou moins informés sur le football et prompts à se passionner pour un tel évènement et qui supportaient déjà l'équipe locale de Seddouk (RCBS) qui déchainait les passions dans ma génération depuis plusieurs années ; tout comme la JSK, jeunesse sportive de kabylie, équipe mythique par excellence pour nous à cette époque, basée dans la ville de Tizi-Ouzou. La JSK à laquelle le grand poète-chanteur kabyle Aït-Menguellet avait par ailleurs consacré une chanson, sortie juste deux ans auparavant. Mais peu à peu et bientôt surtout, tout le monde et sans exception, pères, mères, garçons, filles et même grands-pères et grands-mères, seront acquis à la cause de cette équipe algérienne de football dont le symbole va bien au-delà d'une simple coupe du monde football. ...entre espoir et découragement Bien sûr qu'il y eut avant le premier match de l'équipe d'Algérie contre la république fédérale d'Allemagne, la RFA, des prophètes du malheur, notamment nos jeunes ainés-garçons du quartier : une bande de frimeurs oisifs qui «tenaient les murs» à longueur de journée, afin sans doute qu'ils «ne tombent pas» comme cela se disait alors, à parler des heures entières des filles et de leurs exploits supposés dans tant de domaines. Certains, parfois fils de travailleurs immigrés en France, se vantaient d'avoir visité Paris et arboraient des «cartes oranges» du métro parisien dont ils ne se séparaient pas, seuls vestiges d'une époque qu'ils ont connue, certes, mais qui ne reviendra probablement pas pour eux rapidement. Ils étaient surtout, pour ce qui est du football, nostalgiques de l'équipe algérienne de 1964, celle de Rachid Makhloufi, de Mustapha Zitouni et de l'entraineur Smaïl Khabatou qui battit le 1er janvier de cette année-là, à Alger et en match amical, deux buts à zéro, l'Allemagne de l'ouest justement, celle de Léo Wilden et de Aki Schmidt, sous le regard du président Ben Bella, lui-même ancien joueur de l'Olympique de Marseille. Pour eux cette équipe algérienne de 1964 ne pouvait être égalée, et certainement pas par les joueurs actuels : des «gringalets sans grand talent» qui ont «soit-disons» été finalistes de la coupe d'Afrique de 1980. Ils ajoutaient qu'au pays des aveugles, les borgnes étaient rois et que si on voulait jouer au football, il fallait se mesurer à l'Europe, ignorant que l'équipe d'Algérie avait justement une occasion en or de se mesurer à une équipe européenne importante. Il disaient également, en bons connaisseurs de l'histoire du football algérien, ce qui m'étonnait beaucoup car je les sous-estimais puisqu'il avaient tôt quitté l'école, que l'entraineur allemand de cette année 1964, Sepp Herberger, avait déclaré à la presse, notamment au journal francophone algérien «Le Peuple» qui avait alors un supplément «Sports», que l'Algérie était «capable de battre n'importe quelle équipe européenne». Bien sûr que le découragement gagna quelques supporters potentiels seddoukois de notre équipe nationale, notamment lorsqu'ils n'avaient qu'une connaissance très partielle de cette même équipe. Ainsi mon camarade Madjid B. avait-il déjà quasiment abandonné l'affaire. Il m'avoua un matin que pour lui, il ne fallait pas continuer à rêver : l'équipe de la RFA était à ce moment de l'histoire, l'une des meilleures du monde et au plus haut de sa forme. C'est alors que j'ai renchéri, intérieurement mécontent de la propension de Madjid à vite abdiquer, lui demandant s'il connaissait réellement les joueurs de l'équipe d'Algérie. Il balbutia mal quelques noms, sans références particulières à leurs exploits passés ni aux clubs dans lesquels ils évoluaient. Ceci me prouva qu'il était plutôt démuni, c'est-à-dire bien davantage que moi, en termes de connaissances footballistiques de base, car je m'étais personnellement et heureusement un peu renseigné avant cet échange. Je le renvoyai à une publicité sur l'équipe d'Algérie qui tournait en boucle sur l'unique chaine de télévision algérienne de l'époque, avec un joueur notamment, un certain Zidane, dont le prénom était Djamel, qui jouait à Courtrai en Belgique et qui arborait le numéro 14 au sein de cette équipe algérienne. On le montrait sur cette séquence publicitaire dans une séance de dribles lors d'une rencontre visiblement éliminatoire pour la même coupe du monde. Il s'y était pris alors avec une virtuosité digne des joueurs brésiliens, en driblant quatre joueurs au total au milieu du terrain. Madjid, qui avait déjà regardé cette publicité comme quasiment tout le monde, me demanda si c'était cela l'équipe d'Algérie actuelle, visiblement interloqué par l'excellent jeu qui était le sien (il ignorait qu'il s'agissait d'images récentes, me dit-il), et je crois que j'ai réussi à lui remonter le moral le ramener définitivement à la horde de supporters seddoukois de cette équipe algérienne. Il y eut également les familles que j'appellerais «francophones» de Seddouk, qui se comptaient sur les bouts des doigts et qui parlaient à la maison assez souvent en français sans que cela n'offusque personne dans cette atmosphère que l'on peut qualifier encore à cette époque-là, de «sortie de la guerre d'Algérie». Ma camarade de classe Sophia B. dont mon frère était amoureux et que j'appréciais particulièrement (elle avait poussé l'audace, par exemple, jusqu'à se balader avec moi quelques minutes sous un parapluie un jour pluvieux dans les rues de Seddouk, ce qui ressemblait à une petite révolution), appartenait à l'une d'elles. Ses parents étaient tous les deux instituteurs en langue française, car nous étions sous le régime de l'école bilingue, et sa mère était une rareté puisqu'elle travaillait ! Sophia était dans ma classe en primaire et au collège. C'était une jeune fille que je «fréquentais» en gardant les guillemets car les rapports filles-garçons étaient très réglementés et la frustration était partout. Elle faisait exception car elle connaissait les vedettes du football allemand de l'époque. Elle les trouvaient beaux, blonds, sans doute par opposition aux bruns que nous étions en majorité. Elle avait une manière très sensuelle de mimer leur corps lorsqu'elle parlait de leur beauté si bien que j'en avais conclu que ce n'était pas le football qui primait pour elle dans son admiration sans bornes pour ces joueurs. Je ne pouvais donc évoquer avec elle ou avec un des membres de sa famille le sujet du match car j'avais peur que cela dégénère vite, au vu la certitude que j'avais sur le fait qu'ils étaient des supporters de la RFA. Ensuite il y avait la famille française, l'unique, que nous évitions tous soigneusement dans ces moments. C'est une famille qui n'a pas quitté l'Algérie après l'indépendance. Nous l'évitions car le fils, Patrick, qui était alors de notre âge et qui parlait couramment le Kabyle, allait forcément se concentrer sur l'équipe de France de l'époque qui était également une grande équipe comme nous le savions, tout en la dénigrant assez violemment parfois. Il fallait ajouter à tout cela les déclarations intimidantes et peu respectueuses des joueurs et de l'entraineur de l'équipe de la RFA que je lisais dans le journal El Moudjahid en français, quand je pouvais le faire précipitamment, chez le marchand de journaux, ou «El Chaab» (le peuple), en arabe, et dont je me contentais souvent, sur le chemin du retour, lorsque j'allais l'acheter quotidiennement à mon père. Les deux quotidiens étaient les organes officiels et muselés du FLN. Leur lecture, quoi qu'ils soient très orientés sur le plan politique, seulement en raison de l'intérêt pour cette coupe du monde et pour le football en général, a été malgré tout certainement une très bonne chose pour les jeunes de ma génération. Il faut lui ajouter, au moins pour ce qui me concerne, la lecture de livres, en général des prix de fin d'année que je recevais, et qui étaient souvent des romans de jeunesse en langue française. La RFA pensait déjà à la finale ! Elle était championne d'Europe et comptait plusieurs grands joueurs dont Karl-Heinz Rummenigge et Paul Breitner. Le premier était double ballon d'or consécutif (1980 et 1981) et le second deuxième meilleur joueur européen. Certains joueurs déclaraient que le cinquième but de la RFA allait être dédicacé au nouveau bébé de l'un d'entre eux. Un joueur aurait même dit que le huitième but (qu'il allait marquer selon lui) serait dédié à sa femme. Le sélectionneur lui-même, Jupp Derwall, ajoutait qu'en cas de défaite, il rentrerait au pays en train ! L'équipe nationale algérienne était essentiellement composée de joueurs du championnat local avec quelques joueurs professionnels seulement, qui évoluaient en France essentiellement. Le match La fable du lièvre et de la tortue allait se réaliser d'une certaine façon car l'excès de confiance des allemands, surtout leur mépris pour tout dire, d'une équipe africaine qu'ils ne se sont pas donnés la peine de connaître réellement ; ajoutés au réel talent des nouvelles stars du football algérien comme de leur entraineur qu'il ne faut pas oublier, l'exceptionnel et très populaire Khalef Mahieddine, vont avoir raison de l'une des meilleures équipes du monde du moment. L'équipe algérienne restera dans l'histoire également parce que les équipes européennes n'oseront plus jamais être à ce point condescendantes avec des équipes africaines en coupe du monde, depuis España 1982 ! Tout le monde attendait le match avec impatience et fébrilité. Le jour « j » finit par arriver et ce fut le mercredi 16 juin 1982, jour où une équipe africaine battait pour la première fois de l'histoire une équipe européenne en phase finale de la coupe du monde. Nous étions réunis en famille dans l'après-midi, frères et sœurs, devant la télévision, quelques minutes avant le match. La ville était déserte une bonne demi-heure avant ; mon père et ma mère étaient avec nous, curieux mais peu intéressés dans le fond. Nous étions, en particulier entre frères, quasiment interdits de respiration tant l'enjeu étant important. En voyant les joueurs de l'équipe algérienne en direct depuis le stade de Gijón sur la côte des asturies, maillot vert et blanc avec des bandelettes qui s'évanouissent pour qu'une couleur fasse place à une autre, beaux et fiers, nous avions une impression d'irréalité. Nous avions le sentiment, contrairement à ce qu' a affirmé le chanteur algérien Baaziz dans une de ses chansons des années plus tard, que le monde ne se faisait plus « sans nous », et la sensation que les joueurs eux-mêmes vivaient l'instant de la même manière. Un maillot inconnu jusqu'alors pour nous, confectionné avec fierté par la société nationale de l'industrie textile (la Sonitex) d'alors avec le sigle « Al Djazaïr » (Algérie) en arabe dans un typograhie qui va changer entre la première et la seconde mi-temps en passant d'une écriture droite blanche sur du vert, à une calligraphie circulaire avec les mêmes couleurs, ce que peu de personnes remarqueront. Ce fut sans doute la seule tenue (hors chaussures) de la coupe du monde 1982 et de celles qui suivront, qui ne soit pas confectionnée par les grandes multinationales qui se partagent le marché à travers le monde. Tout un symbole d'une Algérie qui s'est libérée en 1962 et qui avait légitimement une soif terrible d'exister parmi les nations. Il n'y eut aucun but lors de la première mi-temps qui a permis aux algériens de prendre progressivement confiance et finalement d'oser, tout en résistant aux nombreux assauts de l'équipe allemande, avec un gardien héroïque et qui sera très important pour ce match : Mehdi Cerbah qui évoluait alors au club de Kouba (RCK), un quartier algérois, après huit années à la JSK. Ce fut à la 54ème minute donc après le début de la seconde mi-temps, que survint le fameux « lobb » du talentueux Rabah Madjer, joueur du club de Hussein-Dey, un quartier d'Alger également, qui portrait le numéro 11 et dont le but restera dans l'histoire : après une attaque très rapide et bien construite en amont, Djamel Zidane, le numéro 14, passe le ballon à Lakhdar Belloumi, le numéro 10 et joueur du club de Mascara (GCM). Ce dernier s'avance vite vers las buts et tire du pied gauche, alors que trois défenseurs allemands qui semblaient dépassés étaient en train de revenir, en direction des buts du gardien Harald Schumacher. Ce dernier repousse le ballon de la main, mais c'était sans compter sur Madjer qui arrive du côté droit et lobbe intelligemment les trois défenseurs allemands impuissants, ainsi que le gardien qui était, lui, bien loin. Les supporters algériens qui étaient dans le stade étaient en folie comme nous devant notre téléviseur ! Les drapeaux vert-blanc-rouge se sont levés d'un seul mouvement et ce fut extraordinaire car c'était devenu pour tous désormais possible de battre la RFA. A la soixante huitième minute, Karl-Heinz Rummenigge égalise toutefois et réussit par la même à instiller le doute en nous. Mon frère, assis à côté de moi, disait même qu'il nous était impossible de battre la RFA et qu'il ne fallait pas rêver. J'étais au bord du désespoir mais je refusais d'accepter ce discours négatif. Mais il se trouve qu'une minute plus tard et sans que l'Algérie ne perde une seule fois le ballon après la balle au centre qui a succédé à ce but, Mustapha Dahleb, joueur du Paris-Saint-Germain qui portait le numéro 15, donne un ballon en or au numéro 7, Salah Assad, joueur du RCK comme Cerbah, qui s'élance avec la vitesse inouïe pour lequel nous le connaissions, vers les buts, et centre en direction de la droite où surgit encore Lakhdar Belloumi qui n'hésite pas une seconde du pied droit cette fois, à marquer le deuxième but de l'équipe d'Algérie ! La suite du match est une défense héroïque algérienne qui va encore résister à tous les assauts des allemands dépités, découragés et même enragés de ne pas pouvoir marquer. L'équipe algérienne s'est organisée pour être un véritable roc en défense, avec notamment l'entrée de Salah Larbès de la JSK, un défenseur qui portait le numéro 12, à la 88ème minute et en remplacement de Rabah Madjer qui avait été averti d'un carton jaune à la 83ème minute. Une image symbolise cette situation, celle du numéro 9 de l'équipe de la RFA, Horst Hrubesch, attaquant réputé pour son jeu de tête et ses qualités physiques, qui frappa de ces poings le gazon du stade de Gijón plusieurs fois, par dépit ! La joie après la victoire et puis le désenchantement Lorsque l'arbitre péruvien Enrique Labo Revoredo a sifflé la fin du match, des hordes d'hommes déferlèrent dans les rues de Seddouk comme dans toutes les villes et villages d'Algérie ! Nous ne pouvions contenir notre joie et notre émotion ! Les gendarmes de Seddouk qui furent redoutables durant les dramatiques évènements du printemps berbère, nous encouragèrent et manifestèrent même avec nous ! Je me rappelle qu'ayant en tête ces évènements du printemps berbère et donc une méfiance vis-à-vis des gendarmes qui réprimèrent sans discernement et allèrent jusqu'à emprisonner une bonne partie d'une journée mon grand frère N. qui n'a participé pourtant aucunement aux manifestations d'alors et qui était en phase de préparation du baccalauréat, un gendarme s'est approché de moi pour me demander pourquoi je manifestais, j'hésitai de peur d'un reproche de sa part. Il renchérit en arabe : « C'est pour l'équipe nationale ? » Je hochai la tête en signe d'approbation. Il continua en m'encourageant avec un grand sourire : « Allez, vas-y applaudis ! ». C'était la première fois qu'un gendarme de Seddouk se montrait avec moi sous ce jour ! Les journées passèrent, l'Algérie s'inclina devant l'Autriche deux buts à zéro le 21 juin et battit le Chili trois buts à deux le 24 juin. Et Le match dit « de la honte » eut lieu enfin entre l'Autriche et la RFA le 25 juin. Les deux équipes se sont arrangées pour un score d'un but à zéro en faveur de la RFA, afin qu'elles puissent se qualifier toutes les deux au détriment de l'Algérie, ce qui offusqua notamment la presse internationale. Un journal espagnol ira jusqu'à appeler la match « l'Anschluss », en référence à l'annexion de l'Autriche par l'Allemagne nazie en 1938 et un journal ouest-allemand considéra que le triomphe de la RFA sur l'Autriche était plus honteux que sa défaite contre l'Algérie. La fédération algérienne de football transmit un telex à la FIFA pour qu'elle disqualifie les deux équipes de la compétition et la FIFA répliqua que la RFA avait tout à fait le droit de jouer la prudence et la sécurité. La FIFA a donc validé le résultat malgré l'avalanche de protestations, mais le malaise lui a fait prendre la décision historique encore, de faire de sorte que tous les matchs de la dernière journée d'un même groupe se déroulent simultanément. Ce qui est appliqué depuis la coupe du monde 1986. L'UEFA prendra la même décision dès la coupe d'Europe de 1984. En 2007 enfin, un journal émirien (Al-Ittihad) publie un entretien avec l'un des joueurs allemands de 1982, Hans-Peter Briegel, dans lequel il affirme que l'Allemagne a bien triché et présente ses excuses à l'Algérie. L'année suivante, ce sera au tour du gardien Harald Schumacher de reconnaitre, en présence de Madjer et de Belloumi, que le match était truqué et que dans la vie, il fallait reconnaitre un jour ou l'autre ses erreurs. Il a alors demandé pardon à Khalef Maheiddine et à tout le peuple algérien et a même proposé une rencontre entre les deux équipes d'Algérie et de RFA qui ont participé à ce match de 1982. Et en 2014, le défenseur allemand de 1982 Karl-Heinz Forster, déclare au journal « Le Parisien », qu'il n' y avait pas d'arrangement prévu à l'avance mais qu'en deuxième mi-temps, les allemands, pour arranger les autrichiens, ont décidé de ne pas jouer à fond. Il avoue que les Algériens lui ont fait de la peine et que s'il croisait Madjer, il lui présenterait ses excuses. L'Algérie, qui n'a pas démérité, a été donc éliminée et nous étions, quoique très déçus, fiers de cette performance qui était exceptionnelle et qui obligeait deux grandes équipes européennes à tricher, ce qui était un comble, pour lui barrer la route des huitièmes de finale de la coupe du monde 1982. La RFA, qui battit la France en demi-finale dans un match mémorable le 8 juillet , ne réussit pas toutefois en finale le 11 juillet contre l'Italie de Dino Zoff et de Paolo Rossi qui sera championne du monde en 1982. Un évènement marquant, qui s'inscrit dans l'histoire Le 5 juillet 1982, c'était fête de l'indépendance. Dans la salle de la mairie de Seddouk, un poète local a été invité. Il s'agit de Ali Boulila, bien connu à cette époque à Seddouk. Il était dans la lignée des poètes kabyles anciens décrits par Mouloud Mammeri dans son ouvrage « Poèmes kabyles anciens » paru aux éditions François Maspéro. Ce livre a été indirectement le déclencheur des évènements du printemps berbère de 1980, puisque c'est une conférence interdite par les autorités du même Mouloud Mammeri sur la poésie kabyle ancienne, à la suite de la parution de ce livre, qui a engendré la révolte. Ali Boulila, qui était très prolixe, a préparé un poème qu'il a clamé devant nous en kabyle, à la gloire du combat pour la libération du pays. Cette fois-ci, il y fit l'éloge de l'équipe nationale de football victorieuse de la RFA et a fait même référence de manière humoristique dans son poème à Horst Hrubesch en affirmant que les joueurs de l'équipe de la RFA ont « mangé de l'herbe », ce dont « nous étions tous témoins ». En 2014, l'équipe d'Algérie poursuivait son chemin historique et participait aux phases finales de la coupe du monde de football pour la quatrième de son histoire, au Brésil cette fois. Un match de huitièmes de finales, pour la première fois pour l'Algérie (mais le plafond de verre de la qualification aux huitièmes de finale avait été déjà brisé depuis par plusieurs équipes africaines), l'a opposée alors à nouveau à l'Allemagne, cette fois-ci unifiée. Cette équipe allemande de 2014 était également au meilleur de sa forme et sera, comme chacun sait, championne du monde. Ce 30 juin 2014 à Porto Alegre, les « verts », impressionnants à nouveau, vont tenir tête aux futurs champions du Monde allemands jusqu'aux prolongations. Résultat : deux buts à un pour l'Allemagne. L'Allemagne aura donc (quoique très difficilement) sa revanche sur 1982 sans doute parce qu'elle n'était plus condescendante ; mais l'équipe algérienne a montré alors tout son talent et a impressionné les supporters de football de tous les pays. Il reste qu'au bilan, si on tient compte du match amical de 1964, c'est l'Algérie qui sort historiquement gagnante de ses duels avec l'Allemagne. Un de mes amis libanais m'a appelé ce 30 juin 2014 : « Elle est merveilleuse cette équipe ! C'est un grand pays de football, l'Algérie ! ». J'ai songé alors à 1982, mais aussi à la fameuse équipe du FLN, surnommée le onze de l'indépendance, constituée principalement de joueurs professionnels qui évoluaient en France, avant de rejoindre le mouvement révolutionnaire pour l'indépendance de l'Algérie, le Front de libération nationale (FLN), et de l'aider en organisant entre autres des matchs de football. Il s'agit des Boubekeur, Hamadi, Zitouni, Bakhloufi, Arribi, Rouaï, Mekhloufi, Ben Tifour, kermali, Brahimi et Bouchouk et de bien d'autres... L'équipe a été fondée le 13 avril 1958. Son rôle fut avant tout politique : montrer aux Français que même des footballeurs professionnels s'impliquent dans la cause de l'indépendance algérienne, quitte à renoncer à leur statut. Les autorités françaises obtiennent facilement la non-reconnaissance de cette équipe par la FIFA. Malgré cette interdiction de jouer, l'équipe du FLN réalise une tournée mondiale d'environ quatre-vingts rencontres, notamment en Europe, en Asie et en Afrique. Ces matchs font connaître à travers le monde la cause algérienne et sa guerre d'indépendance. L'équipe cesse d'exister en 1962, laissant la place naturellement à l'équipe d'Algérie de football qui en sera l'héritière. Ainsi, l'histoire de l'Algérie est intimement liée à l'histoire de son équipe de football, tant et si bien que le déclin de cette équipe a été enregistré entre 1992 et 2007, conséquence des années noires de l'histoire contemporaine algérienne comme chacun sait. Espérons à cette merveilleuse équipe algérienne la plus longue prospérité possible, comme nous l'espérons, encore et toujours, pour l'Algérie. *Journaliste et doctorant en anthropologie au laboratoire d'anthropologie sociale du collège de France. |
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