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Comment comprendre
ce qui se passe aujourd'hui en Irak et en Syrie depuis le déclenchement du «
Printemps arabe » en 2011 ? Comment comprendre l'absence de consensus entre les
grandes puissances pour trouver une solution aux crises et conflits sanglants
qui frappent la Syrie, l'Irak et les autres pays du monde arabo-musulman ?
Combien d'écrits, d'analyses, de conférences et de tables-rondes ont tenté
d'expliquer les «révolutions arabes» qui ont vu une reconfiguration politique
quasi totale de la région qui va de l'Afrique du Nord au golfe Persique ?
L'Irak et la Syrie sont déchirés par des guerres civiles, et un risque
d'éclatement plane sur eux, comme ce qui s'est déjà produit pour
l'ex-Yougoslavie. Et celui-ci peut s'étendre à d'autres pays, la Libye se
trouve la première cible. Les peuples d'Irak et de Syrie depuis 2011 vivent
leur plus grave crise de leur histoire. Les « printemps arabes » se sont
transformé en « hiver arabe ». Tous ces dangers qui guettent les nations arabes
font apparaître qu'un long processus historique qui a commencé depuis les
années 1970 est en train de prendre une dimension nouvelle, absolument inconnue
et qui pourrait changer l'ordre de puissance dans la région et le monde.
Il y a dans les crises des germes apparents et des germes cachés (ou en sommeil), et souvent ceux-ci lorsqu'ils se réveillent transforment complètement le cours de l'histoire. Quelques manifestations en Tunisie suite à l'immolation de Mohamed Bouazizi à Sidi Bouzid, le 17 décembre 2010, ont changé en quelques mois la configuration politique de la plupart des pays arabes, alors que ces régimes étaient considérés comme des plus stables. Le même processus a joué en Irak depuis la guerre déclenchée contre ce pays par les États-Unis, en 2003. Cette guerre a bouleversé complètement l'ordre politique, économique, culturel et religieux de l'Irak. Ainsi, il y a des événements qui paraissent au début insignifiants puis dans la foulée de l'histoire se transforment en événements redoutables. Voire même en cauchemar. Comme cela a été en Irak, la libération de l'occupation américaine devait normalement être célébrée comme une victoire, elle l'a été par des attentats aveugles contre une population qui fut progressivement divisée par la guerre. Il y a évidemment des raisons, et celles-ci relèvent des antagonismes communautaires et confessionnels qui n'ont pas discontinué durant toute la lutte armée menée contre l'occupant, et auxquels se sont greffés les antagonismes des puissances sur la mainmise des grands gisements de pétrole des pays du Golfe. Aussi pose-t-on une question légitime sur ces conflits fratricides atroces, car au fond chiites, sunnites et kurdes, malgré les différences, ont longtemps coexisté pacifiquement : « Qu'adviendra-t-il de cette région du monde ? Et quelles conséquences fait-elle peser sur le reste du monde ? » 1. Aux origines des guerres interconfessionnelles en Irak Tous les supposés armes de destructions massives détenues par l'Irak ou les formules de « démocratiser l'Irak » pour justifier l'entrée en guerre des États-Unis contre l'Irak sont tombés à l'eau, après 2003. Le monde entier prit conscience que le vrai de motif de l'offensive américaine était de mettre la main sur les gisements irakiens, surtout que, depuis la fin de l'année 2000, Saddam Hussein a décidé de « libeller les exportations pétrolières en euro ». Ce qui était inacceptable pour les États-Unis qui tirent du dollar, leur puissance économique, financière et militaire sur le reste du monde. Aucun pays n'a le « privilège exorbitant » qu'ont les Américains d'émettre de la monnaie sans contreparties, seule la demande des dollars pour les transactions commerciales sur les matières premières en particulier le pétrole des pays arabes servent de compensations physiques aux émissions monétaires américaines pour financer leurs déficits commerciaux avec les pays du monde. Cependant, au-delà des intérêts stratégiques de la superpuissance, l'offensive en alliance avec le Royaume-Uni contre l'Irak, en 2003, a eu cette même caractéristique qu'elle a eue durant la guerre du Vietnam. Les États-Unis et la Grande-Bretagne sont arrivés aux « limites de leur puissance » dans le conflit en Irak. En chassant les sunnites bassistes du pouvoir et en s'appuyant sur les chiites irakiens, ils ont provoqué une guerre interconfessionnelle au point que toute la guerre s'est changée en conflit généralisée. « Une guerre dans la guerre s'est enclenché au point que les guérillas chiites et sunnites ne laissaient comme ordre militaire à l'occupant que le chaos ». Et où les Américains et Anglais, cibles en permanence des insurgés, ne devaient leur salut qu'à trouver le plus vite possible une sortie du bourbier irakien dans lequel ils se sont enlisé. C'est ainsi qu'une commission bipartisane coprésidée par James Baker, ancien secrétaire d'Etat, et par l'ancien parlementaire démocrate Lee Hamilton, ont préconisé une nouvelle stratégie à l'équipe Bush pour sortir de l'enlisement et dégager les forces armées du conflit. Elle consiste : 1) d'associer l'Iran et la Syrie au processus de stabilisation de l'Irak, 2) résoudre le problème israélo-palestinien et pousser Israël à restituer le Golan à la Syrie en échange d'un accord de paix, 3) établir un échéancier pour le retrait des forces américaines. La nomination, le 7 janvier 2007, du général David Petraeus, nouveau commandant de la coalition en Irak, va permettre l'application de ces recommandations. Mettant en pratique des méthodes anti-insurrectionnelles, son plan opérationnel reposait sur trois points. 1) Un renfort de 30 000 soldats américains, le « Surge », 2) un rapprochement américain avec l'Iran (série de rencontres officielles à Bagdad), 3) financer et armer les tribus sunnites de la province d'al-Anbar pour les rallier aux forces américaines contre les insurgés d'Al-Qaida, 4) préparer un plan de désengagement des forces armées américaines d'Irak. Ce que l'on croyait impossible à réaliser en 2006 s'est concrétisé en 2008. En effet, grâce à la nouvelle politique des États-Unis en Irak, les attaques contre les troupes américaines ont diminué de 80% en deux ans. Cependant, s'il y a eu abaissement des attaques, le changement dans l'insurrection armée doit être recontextualisé pour être compris. Tout d'abord ce ne sont pas les méthodes contre-insurrectionnelles de Petraeus qui ont joué. « Les Sunnites n'ont pas été retournés comme on l'avait fait croire ». Tous les insurgés chiites, kurdes et surtout sunnites qui ont été marginalisés depuis la chute de Saddam Hussein, se préparaient à l'après-évacuation des forces américaines d'Irak. Par conséquent, un financement et un armement gratuit au bénéfice des Sahwas, permettaient à la force sunnite de 100 000 miliciens (les Sahwas) de s'aligner face aux 90 000 hommes chiites de l'imam Moktada al-Sadr et les 90 000 hommes de la force militaire kurde, les Peshmergas. Il était évident que les chefs sunnites ont opéré un « ralliement tactique » pour se préparer, lé désengagement américain venu, de « peser sur le partage du pouvoir politique et économique » du pays, après-occupation. L'approche tactique des Sunnites, comme celle réciproque des États-Unis qui cherchaient à s'assurer d'une baisse de violence et une « sortie honorable de l'Irak (sans défaite) » peut se comprendre dans cette alliance scellée avec les Sunnites qui relevait essentiellement de la Realpolitik, donc de la conjoncture politique et militaire qui prévalait à l'époque en Irak. Quant au désengagement lui-même des forces américaines, il a été opéré conformément à l'accord-cadre du 16 novembre 2008 (Status of Forces Agreement ou Sofa). Les dernières forces américains se retirèrent de l'Irak au mois de décembre 2011. 2. De l'extension du conflit à la Syrie au risque d'éclatement de la Syrie et de l'Irak Que peut-on dire de cet épisode américain en Iraq ? Humiliant ? Une sortie sans trompette ni fanfare certainement et qui aura donné à réfléchir à Washington et à l'état-major de l'armée américaine que, quelles que soient leurs forces, ils ne peuvent rien contre les peuples. En l'occurrence, le peuple irakien qui, après vingt années de guerres cumulées entre la première, la deuxième et la troisième guerre du Golfe et 12 années d'embargos, était considéré comme « fini » et pouvait être « asservi » comme du temps de la colonisation. Ce peuple a démontré qu'il n'est pas seul dans l'arène géopolitique mondiale, qu'il a derrière lui le monde arabo-musulman et des puissances qui ne sont pas d'accord avec la politique impérialiste des États-Unis. Les États-Unis n'ont pas compris que le monde a changé, il ne recule pas. Et le problème aussi, et c'est là où le bât blesse, le monde arabo-musulman recule. Mais recule-t-il réellement ? Ceci étant, l'évacuation des forces américaines d'Irak n'a pas réglé pour autant la fin des hostilités. Avec les guerres interconfessionnelles, il s'est créé un fossé presque insurmontable entre les communautés chiites et sunnites. La guérilla sunnite s'est poursuivi contre le gouvernement irakien du premier ministre irakien Nouri al-Maliki que la politique sectaire qu'il a menée a contribué au pourrissement de la situation entre les communautés. Attiser les conflits interconfessionnels, octroyer un strapontin aux sunnites dans le gouvernement et répartir inégalement les revenus pétroliers entre communautés étaient prévisibles que les Sunnites ne baisseraient pas les bras, entraînant les attaques à se poursuivre. D'autant plus que la guerre menée par les États-Unis en Irak a « renforcé l'axe chiite ». Désormais, l'Iran, qui s'est ménagé une « percée chiite en Irak » aura à opposer à l'Arabie saoudite une ligne chiite ininterrompue qui va de l'Afghanistan passant par l'Irak, la Syrie, le Liban pour aboutir au Bahreïn et au Yémen. L'Iran de plus tient un bras de fer avec l'Occident sur le problème de l'enrichissement nucléaire sur lequel la Russie et la Chine n'ont pas la même approche que les Américains et les Européens. Des donnes qui ne laissent aucune alternative à l'Occident sinon de compter avec la puissance régionale qu'est devenue l'Iran dans le Golfe persique. Et surtout elles mettent sous pression l'Arabie Saoudite qui, en tant que chef de file spirituel des pays sunnites, craint de perdre le leadership dans la région. Mais que peut opposer l'Arabie saoudite à l'Iran ? Les pays sunnites d'Afrique du Nord sont, depuis le « Printemps arabe », dans une situation de déliquescence. Le pays le plus puissant, l'Egypte, vit une grave crise islamiste. La Libye qui est traversée par des conflits entre milices armées est devenue un pays ingouvernable. La Tunisie qui semble sortir d'une crise politique majeure reste toujours confrontée aux problèmes économiques et sociaux. L'Algérie ne doit son salut qu'à sa prudence dans les conflits à ses frontières et surtout à la hausse des cours des prix du pétrole et du gaz. Le Maroc qui dépend de ses ressources intérieures (tourisme, industrie légère, exportations de matières premières) et aussi de l'aide des pays monarchiques du Golfe sous forme d'investissements semble comme ces derniers peu touché par les conflits armés entre islamistes et gouvernements locaux. Le Yémen fait face, depuis 2004, à une insurrection armée des tribus chiites zaïdites dans la région du Nord-Ouest du pays. Le départ de son président suite au « Printemps arabe » n'a pas résolu le conflit entre les chiites yéménites et le gouvernement central du Yémen. Seule la Turquie, en tant que pays sunnite et frontalier avec les deux pays, reste un pôle important dans les crises irakiennes et syriennes. Quant aux pays monarchiques du Golfe eux-mêmes, « ventre mou » de l'Axe sunnite, ils constituent, sous la houlette de l'Arabie saoudite, le principal donateur en moyens financiers et militaires pour le soutien des groupes djihadistes sunnites engagés en Irak et en Syrie. Il faut rappeler que le déclenchement du « Printemps arabe » en 2011 et l'évacuation des Américains d'Irak qui a coïncidé fortuitement avec celui-ci, ont amené fatalement le conflit irakien à s'étendre en Syrie. En effet, les mêmes caractéristiques qui existent en Irak existent en Syrie. La Syrie est aussi gouvernée par un régime politique issu de franges alaouites, une branche chiite. Et ces conflits armés par leur durée et leurs antagonismes confessionnels et politiques font peser un risque d'éclatement de ces pays. 3. L'enjeu fondamental des guerres interconfessionnelles : le « pétrole » Dons ces conflits armés, deux fronts armés se sont distingué. L'« Etat islamique en Irak et au Levant » (EIIL) , né d'une alliance de plusieurs groupes djihadistes irakiens, et soutenu par la plupart des tribus sunnites des provinces d'al-Anbar et de Ninawa. Le second groupe, le « Front al-Nosra » ou, en arabe, « jabhat an-Nusrah li-Ahl ash-Saham » (Front pour la victoire du peuple du Levant), né aussi d'une alliance de groupes sunnites syriens et de groupes rebelles d'Irak venus renforcés l'insurrection en Syrie. Tous ces groupes ont des accointances avec Al-Qaida. Il est connu que Al-Qaida est en fait la création des Américains, des Pakistanais et des Saoudiens depuis l'irruption de la République islamique en Iran en 1979, et l'intervention militaire de l'URSS en Afghanistan, la même année. Pour l'Arabie Saoudite, il fallait lutter contre la république islamiste d'Iran, venu concurrencer son leadership spirituel sur le monde musulman. Pour les Américains, Al-Qaida ou la « Base » devait mettre en échec les forces soviétiques en Afghanistan. Pour les Pakistanais, en conflit avec l'Inde, les Soviétiques mettaient en péril la mainmise qu'ils avaient sur l'Afghanistan. L'éclatement de l'URSS en décembre 1991 a pratiquement sorti Al-Qaida de la scène internationale. Même en 1996, ce sont les Talibans quiont été aidés par ces mêmes pays pour prendre le pouvoir en Afghanistan. Al-Qaida, un mythe, une nébuleuse à qui on lui attribue toutes les fonctions pour les besoins de la conjoncture susceptibles d'aider ces pays dans leurs plans géostratégiques. Et ces plans sont compréhensibles. L'Occident et l'Arabie saoudite pour l'axe sunnite, la Chine et la Russie et l'Iran, pour l'axe chiite. Et la ligne de fracture du monde arabo-musulman va de l'Afghanistan aux conflits des chiites du Bahreïn et au Nord du Yémen (chiites zaidistes). L'enjeu fondamental dans ces guerres interconfessionnelles, en réalité, est avant tout « économique ». Le pétrole est la clé de voûte, le religieux n'est que le « pendant de l'économique ».Si on éliminait le pétrole de ces conflits, c'est-à-dire le Moyen-Orient est dépourvu de pétrole, cette région n'aurait suscité ni convoitise entre les grandes puissances ni guerres interconfessionnelles. Celles-ci n'auraient aucun sens sans un enjeu qui les motive. Ces régions, sans pétrodollars, seraient restées probablement très pauvres, et dont les gouvernements auraient concentré leurs efforts pour attirer des investissements pour la création d'emplois, la recherche de stabilité, etc. Comme le Maroc, la Tunisie, le Bangladesh... Le problème de l'enrichissement nucléaire iranien n'aurait jamais existé. Sans pétrodollars, la révolution islamique en Iran n'aurait pas été fomentée par les puissances occidentales, le shah d'Iran aurait probablement continué à régner. Il n'y aurait pas eu de grands changements géopolitiques dans la région, après la décolonisation. Tous les pays arabes, sans pétrole et distancés sur le plan technologique et industriel par rapport à l'Occident et à l'Asie, seraient dans une situation de stagnation économique. Si on regarde l'humanité, aujourd'hui, peuplée de plus de 7 milliards d'êtres humains, un Occident, talonné par une Asie et une Chine en pleine croissance, et malgré une relative avance qu'il a sur l'Asie sur le plan industriel et technologique, l'Occident a toutes les difficultés pour soutenir sa croissance économique. Et le monde arabo-musulman, qu'en aurait-il eu de lui sans pétrole ? On peut donc dire, sans l'ombre d'un doute, que le pétrole a été une « bénédiction » pour le monde arabo-musulman, contrairement aux voix qui prétendent que le pétrole a annihilé toute volonté d'émancipation de cette donne. A penser seulement qu'il toucherait à sa fin ou que les cours des prix du pétrole baisseraient drastiquement, les pays musulmans auraient toutes les peurs du monde pour appréhender le futur. Evidemment, le pétrole n'appartient qu'à une conjoncture historique et ce monde doit s'affairer à trouver un substitut à cette manne. 4. Le monde arabo-musulman, à la fois « vecteur géostratégique » et « grenier de l'énergie » Et si le « destin-monde » a fait que c'est dans le monde arabo-musulman que se trouvent les plus grands gisements de pétrole du monde, c'est que ce « destin-monde » n'a pas agi sans raisons. Aussi doit-on entrer dans l'« herméneutique du destin-monde », avec ces facultés humaines que l'« intelligence-monde » nous a octroyées : la « pensée humaine dans la Raison du monde ». La première raison, le pétrole n'a pas été comme on l'invoque souvent, une « malédiction ». S'il n'avait pas existé, comme on l'a dit, on voit mal comment les pays musulmans, très en retard sur le double plan technologique et industriel, et dont nombre de pays sont encore englués dans des systèmes politiques féodaux, pourraient s'en sortir. Comment, sans pétrole, ils pourraient s'intégrer au marché mondial. Il faut se rappeler l'Inde dans les années 1950 et 1960 confrontée à la misère, avait de véritables mouroirs, et la violence était à son comble. Les pays de l'Afrique noire dans une misère noire, Ethiopie, Sud du Soudan, etc. Le Brésil, dont les villes sont entourées de favélas, gigantesques bidonvilles qui entourent des villes modernes, des villes dans des villes. A suivre |
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