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Débat :
Réforme du marché de change : la grande bataille économique en Algérie
par Abderrahmane Chenini* ![]() L'année 2025, en Algérie, est,
selon les autorités supérieures, l'année économique par excellence, une année
d'approfondissement de la réforme du système économique. Une année où le
processus de la renaissance économique est réellement enclenché sur la base de
l'incitation à l'encouragement de l'investissement dans les secteurs
industriels, miniers et agricole, ainsi que la promotion de l'exportation hors
hydrocarbures des produits made in Algeria. Le but
recherché, en plus de la création de la richesse, de l'emploi et du
développement socioéconomique, est de sortir définitivement du piège de la
dépendance des hydrocarbures, qui rend l'économie algérienne très vulnérable,
tout en faisant basculer le pays dans le cercle des économies émergentes. Le
tableau de cette réforme, mise en œuvre lors du premier mandat du Président Tebboune, se complète au fur et à mesure, par touches
successives, étapes par étapes.
En effet, et pour rappel, lors de sa prise de pouvoir en décembre 2019, le Chef de l'Etat avait pris en charge un Etat pratiquement au bord de la faillite, vu : la déliquescence de ses institutions, hormis l'ANP, prises en otages par des hommes d'affaires véreux ; de son économie essoufflée, presqu'à genoux et très fortement dépendante de ses recettes des hydrocarbures ; de sa jeunesse désespérée avec son horizon bouché ; une rupture de confiance entre les citoyens et les administrations bureaucratisées, censées résoudre leurs problèmes , le tout compliqué par une pandémie que personne au monde n'avait prévue. Pour remédier à cette situation et faire face aux enjeux et défis auxquels le pays était confronté, il a été nécessaire d'engager de profondes réformes à la fois politiques et économiques, parallèlement à des mesures sociales, telles que : la mise en place de l'indemnité de chômage pour les primo demandeurs d'emplois ; les augmentations successives des salaires et des pensions de retraites ainsi que celles accordées aux plus démunies et les handicapés. Sur le plan politique, la réforme a englobé plusieurs aspects, qui ont permis le renouvellement des instances institutionnelles, à travers, tout d'abord, l'adoption, par référendum, des amendements constitutionnels, élaborés par un comité d'experts et soumis à débat, pour la première fois dans les annales de l'Algérie, au sein des universités algériennes, sans omettre la prise en compte des avis des partis politiques et des personnalités nationales. Ensuite, des élections législatives et locales avaient été organisées, en toute transparence et indépendance, loin de toutes interférences des walis et de l'argent sale, qui étaient la marque de fabrique des élections passées, tout en faisant barrage aux hommes et femmes d'affaires véreux et corrompus, tout en accordant une place prépondérante aux jeunes diplômés des universités algériennes. Ce qui en soi constitue une révolution. Enfin, la mise en place de différentes nouvelles institutions, à l'instar du Conseil supérieur de la jeunesse et de l'Observatoire national de la société civile. Cette réforme ne pouvait provoquer le déclic tant attendu qu'en entamant un processus long, acharné et d'une force considérable, pour contrecarrer toutes les forces de résistances, sources d'inertie. Ce processus a consisté à débureaucratiser l'acte administratif, à travers une politique volontariste de numérisation, aussi exhaustive que possible. Cette réforme institutionnelle ne pouvait engendrer ses effets que si elle devrait être accompagnée d'une réforme en profondeur de notre économie. Comme pour toute politique économique stratégique, pour vérifier son efficacité, doit être mesurable et déterminée dans le temps. De ce fait, non seulement des objectifs chiffrés ont été fixés mais aussi un horizon temporel a été déterminé. Ceci s'est matérialisé par l'annonce d'un volume de PIB estimé à US 400 milliards à l'horizon 2026-2027, avec un taux de croissance maintenu à plus de 4% mais aussi la réduction du taux d'inflation à 4% et de l'appréciation du dinar. La finalité de tout cela est de permettre à l'Algérie d'intégrer le cercle des économies émergentes à moyen termes, donc à la fin de cet horizon. Pour atteindre cet objectif, à moyen terme, il a été nécessaire, en premier lieu, de changer de paradigme économique. Puisque le moteur de croissance, qui s'appuyait, par le passé récent, sur les dépenses publiques en tant que locomotive de la croissance, bascule vers l'investissement dans les secteurs industriels, miniers et agricoles. Alors que, durant plusieurs décennies, la croissance économique de l'Algérie était stimulée, sur le plan macroéconomique, par les dépenses publiques (fonctionnement et équipements), ce qui la rendait fortement tributaire des recettes publiques, plus particulièrement de la fiscalité pétrolière, qui elle-même était dépendante des exportations en hydrocarbures et, donc, de la conjecture économique internationale, la nouvelle approche économique accorde une importance extrême à l'investissement, afin qu'il devienne le principal stimulant de la croissance économique et, donc, de la création de la richesse de la Nation. Par ce basculement, le gouvernement opte pour la variable « investissement », au lieu de la variable « dépenses publiques », comme levier macroéconomique pour provoquer la croissance économique et l'emploi. D'où, l'importance accordée à l'investissement dans les différents secteurs industriels, miniers et agricoles. Cette importance se manifeste par la politique volontariste d'encouragement de l'investissement industriel tous azimuts, dans les différentes branches industrielles, dans les filières agricoles stratégiques, plus particulièrement, l'agriculture saharienne ainsi que le secteur minier, avec l'entrée très prochaine en exploitation successives des mines de fer de Gara Djebilet, de zinc et de plomb d'Amizour et du projet phosphate intégré de Tébessa, sans parler des autres projets en gestations (l'exploitation des mines de lithium à titre d'exemple). Pour ce faire, en plus des mesures fiscales incitatives, cet encouragement se matérialise par : la libéralisation de l'acte d'investissement, par le biais de la révision des textes législatifs régissant l'investissement et la mise en place d'une nouvelle structure (AAPI) en charge d'accompagner les investisseurs dans leurs actes d'investir, tout en leur facilitant, de manière transparente, l'accès au foncier industriel, loin des contraintes bureaucratiques et de leurs effets néfastes pour la création de la richesse nationale, grâce à la mise en place d'un guichet unique et à la numérisation du processus administratif de cet acte. La conséquence immédiate est l'engouement des capitaux nationaux et étrangers pour investir en Algérie. Les chiffres annoncés par l'AAPI sont là pour l'attester. L'exploitation de tous ces projets d'investissement, en plus de ceux lancés depuis ces dernières années, dans l'industrie, les mines et l'agriculture, laisse prévoir, pour cet horizon proche, l'augmentation du PIB au niveau estimé. Par ce changement de paradigme, en plus de stimuler la création de la richesse et de l'emploi pour la nation, l'autre impact recherché, à terme, est de casser cette dépendance vis-à-vis des recettes d'hydrocarbure et, partant, de limiter les incidences négatives de la conjoncture économique internationale sur l'économie nationale. D'où, les mesures de facilitation des exportations hors hydrocarbures, en ciblant en priorité les marchés africains, avec la mise en place notamment des zones franches avec la Mauritanie et, sous peu, la Tunisie, la Lybie et les autres pays du Sahel, ainsi que l'ouverture de filiales de banques commerciales algériennes dans plusieurs pays africains. Cette nouvelle vision économique, qui accorde la priorité sur le plan macroéconomique à l'investissement et aux exportations hors hydrocarbures, au détriment des dépenses publiques, qui deviennent la seconde locomotive du train économique, ne peut atteindre sa finalité qu'à travers le financement de la croissance économique par l'épargne des ménages et des entreprises et non pas par un financement publique, autrement dit par des recettes publiques (impôts directs et indirects) et/ou la création monétaire à travers la planche à billet, comme ce fut le cas par le passé. Ce qui explique l'importance accordée à la réforme bancaire et financière. Vu que le rôle non seulement des institutions bancaires mais aussi du marché boursier est, d'une part, de fluidifier les transactions économiques, et, d'autre part, de capter l'excédent du revenu disponible des ménages ainsi que les excédents d'exploitation des entreprises pour les orienter vers l'investissement, le succès de ce changement de paradigme économique nécessite un changement dans la philosophie sous-jacente au financement de l'activité économique, qui a prévalu jusqu'à ces dernières années. De ce fait, les institutions bancaires et financières, qui activent dans notre pays, se trouvent dans l'obligation de prendre le relais du financement de l'activité économique, dans toutes ses dimensions et de manière efficiente, à la place du Trésor public, qui le faisait par l'intermédiaire des budgets alloués aux différents secteurs. Cette réforme du système bancaire ainsi que la modernisation des moyens de paiement, compte tenu de ce changement de doctrine économique, seront d'un grand apport pour la maîtrise du taux d'inflation, puisqu'ils faciliteront le choix de la politique monétaire, sa mise en œuvre et sa maîtrise, étant donné la fiabilité et la fluidité des informations qui remonteront à la Banque d'Algérie. Si le taux d'investissement, le taux d'épargne, la réforme bancaire et la modernisation des moyens de paiement ainsi que le taux de croissance, à une moindre mesure, sont des facteurs essentiellement endogènes, le taux d'inflation, par contre, est dépendant, en plus des éléments endogènes, des éléments exogènes, sur lesquels l'Algérie n'a aucune prise, vu qu'ils dépendent de la conjecture économique internationale. En effet, étant donné le temps nécessaire pour voir apparaître tous les effets positifs de cette nouvelle approche, une grande part du taux d'inflation en Algérie reste influencée par l'inflation importée, à travers le coût des produits et services importés. Or, l'un des amortisseurs de cette inflation importée, dont dispose l'autorité monétaire et, par ricochet, le gouvernement est le taux de change. Toutefois, ce taux de change, qui dépend en premier lieu de la politique et du régime de change de la Banque Centrale, dépend aussi de l'état du marché de change. Seulement, toutes les politiques économiques, plus particulièrement celle relative à l'exportation hors hydrocarbures, mise en œuvre ces dernières années restent incomplètes, sans une véritable stratégie de réforme du marché de change et, donc, de son régime. Et cette absence de réforme de ce marché vital pour l'économie constitue le nœud gordien pour le commerce extérieur. D'où, l'importance de la bataille de la réforme du marché de change, que doit engager, tôt ou tard, le gouvernement. Car si la politique du taux de change est appréhendée par la Banque Centrale, en fonction du régime de change adopté par le pays, la valeur réelle de la monnaie, sur le marché de change, dépend de l'état de sa demande et de son offre sur ce même marché. En effet, si le choix de la politique de change relève de la politique monétaire de la Banque d'Algérie, qui demeure l'une des composantes de la politique globale sur les plans économique, social et culturel, le régime de change est dicté, fondamentalement, par des considérations doctrinales sur lesquelles reposent les systèmes politique et économique de notre pays. Or ces considérations doctrinales ont été fixées dans un autre contexte économique et historique. Alors que l'état du marché de change dépend, dans une économie de marché, de l'état de l'économie de manière générale et du comportement des agents économiques nationaux et étrangers de manière particulière, à travers leur demande (son achat) de la monnaie nationale et de leur offre (sa vente). La grande question, qui a été et qui demeure le grand questionnement des chercheurs universitaires, des spécialistes et des gestionnaires de la Banque Centrale, est de pouvoir déterminer le taux de change d'équilibre, qui permettra une gestion optimale et efficace des réserves de change. Au-delà des considérations académiques et des différentes réponses, induites par les théories de change, à cette question de recherche, il me semble que le véritable problème pour l'autorité monétaire et, à travers elle, la haute autorité du pays est de trouver la solution idoine pour sortir du piège dans lequel s'est enfermée l'Algérie par la gestion contraignante de ses réserves de change, depuis pratiquement le début des années 70 du siècle passé. Ce piège est la gestion institutionnelle du taux de change. Même si le régime est basé sur le flottement dirigé. Ce piège est le résultat de la combinaison de plusieurs facteurs, parmi lesquels il y a lieu de citer : en premier, la nature de nos exportations, qui étaient et qui sont basées sur les hydrocarbures, dont l'une de leurs principales caractéristiques est que leurs transactions sont libellées en dollars US ; en second lieu le fait que l'économie algérienne a été, jusqu'à très récemment une économie importatrice par excellence. Ce dernier facteur a induit l'émergence d'un troisième trait, qui est le dangereux fléau, pour l'économie nationale, du transfert effréné de capitaux vers l'étranger. Ce qui a nécessité la mise en place d'une gestion administrative et, donc, contraignante des opérations de change, pour y faire face. Ce qui explique, en grande partie, l'émergence et, par la suite, l'enracinement du marché parallèle des devises. La conséquence de ce piège est que cette gestion administrative, voire bureaucratique des réserves de change, entre autres, sont un frein pour le développement des exportations, en raison de la réduction de la compétitivité des produits algériens, à travers la non libre convertibilité du dinar. D'où, la grande bataille pour les autorités supérieures du pays pour le court et moyen terme, sur le plan économique, est d'engager une profonde réforme du marché de change, à travers une nouvelle approche, dont la finalité est de permettre au dinar algérien de gagner la confiance des entreprises exportatrices nationales et importatrices étrangères, par le biais de sa valeur sur le marché de change. Cette confiance est primordiale pour accompagner ce processus d'émergence d'une économie algérienne puissante et prospère. Cette réforme capitale pour l'évolution de l'économie nationale, qui complètera le tableau de la réforme économique, sera délicate à mettre en œuvre et nécessitera du temps, beaucoup d'incitations et d'explications aux opérateurs économiques algériens, dans la mesure où son succès sera le couronnement de toutes les politiques générées par toutes les réformes engagées sous la présidence de M. Tebboune. Pour cela, la réforme du marché de change de notre pays doit reposer, à mon avis, sur l'incitation, dans un premier temps, à libeller les factures d'un certain nombre de produits et services à l'exportation en dinar algérien et non plus en devises étrangères. Le choix de ces produits et services sera fondé sur des critères bien précis, tels qu'une faible part des intrants importés dans leur production et, partant, dans la structure de leurs coûts de revient. D'autres critères qui ne pénaliseront pas l'exportateur dans la production de ces biens matériels et immatériels peuvent être choisis. L'essentiel est que l'exportateur algérien puisse placer ses produits sur les marchés étrangers, en incitant l'importateur étranger de ses produits et services de se libérer de sa dette (payement) moyennant la monnaie nationale (le dinar algérien), au lieu de monnaies étrangères. Cela nécessitera, évidemment, pour accompagner ces exportateurs, la création par l'autorité monétaire, sur le marché de change interbancaire, d'un compartiment spécialisé dans l'achat libre du dinar par les importateurs étrangers des produits algériens, par le biais de leurs banques ou les correspondants de leurs banques, en contrepartie de la vente de devises étrangères. Bien entendu, des mécanismes de protection contre le risque de change doivent être pensés et mis en place, tels que les contrats de couverture à terme, afin de rendre ce marché de change moins risqué et, par conséquent, attractif. Pour faciliter la mise en place de ce compartiment de marché, l'autorité monétaire peut opter pour un régime de change flottant impur ou régime flottant géré. Aussi, plus cette liste de produits admis à l'exportation se rallonge et plus leur volume augmente, plus la demande d'achat du dinar algérien augmentera, ce qui engendrera une appréciation de sa valeur réelle sur le marché des devises. Pour motiver nos exportateurs à placer leurs produits et services sur les marchés extérieurs, moyennant le paiement par les importateurs des factures en dinars algériens, l'autorité monétaire peut leur accorder la possibilité de convertir une partie (30% par exemple) de leurs chiffres d'affaires en dinars algériens, réalisé à l'exportation, en devises étrangères, pour faire face aux dépenses engendrées par l'exploration de nouveaux marchés internationaux et le démarchage de potentiels acheteurs, voire acquérir des intrants pour leurs produits. Ainsi au lieu que l'appréciation de la valeur du dinar algérien se fasse par la manipulation d'une formule mathématique de calcul du taux de change institutionnel (Taux de Change Effectif Réel), ce qui a ses limites, ce processus se fera par le glissement, petit à petit, vers un libre marché de change du dinar, à travers le mécanisme de l'offre et de la demande, pour les entreprises algériennes exportatrices, dont les produits et services sont retenus sur cette liste dans une première étape. Ce qui permettra aux opérateurs économiques de reprendre confiance en la monnaie nationale, tout en accompagnant et encourageant l'intensification des opérations d'exportation. Quant aux autres types d'opérations d'importations et d'exportations, en dehors des exportations des produits et services portés sur cette liste de produits et services admis à une libre convertibilité du dinar, ils continueront, momentanément, à être soumis aux taux de change déterminés sur le marché interbancaire de change, conformément aux règles de change en vigueur, jusqu'au basculement total, à terme, à la libre convertibilité du dinar algérien. Le grand inconvénient de cette proposition est que le marché de change sera caractérisé, pendant une certaine période, par l'existence de deux (02) types de taux de change, l'un institutionnel, puisqu'il dépendra du taux de change effectif réel (TCER) fixé par la Banque Centrale, et l'autre de marché, vu qu'il sera fixé librement sur le marché de change dans le compartiment dinar librement convertible. Cette dualité créera certainement une discrimination entre les opérateurs économiques. Toutefois, plus le dinar sera demandé sur le marché de change, suite à l'augmentation de volumes d'exportations hors hydrocarbures, plus sa valeur augmentera et plus la période de l'existence du double taux de change sera courte et, donc, plus vite cette discrimination s'estampera. Mener une telle bataille se fera un jour ou l'autre, tôt ou tard, l'Algérie n'y échappera pas. Par contre, mener dès aujourd'hui cette bataille économique, au début de cette réforme économique radicale et profonde, facilitera la réussite des politiques engagées de renouvellement de l'économie nationale, puisqu'elle scellera définitivement le changement de paradigme économique à travers la politique d'investissement, la politique de réforme bancaire et financière, la politique de préservation du pouvoir d'achat des consommateurs algériens, par la réduction et la maîtrise du taux d'inflation, tout en accompagnant la diversification des exportations pour sortir de l'emprise des hydrocarbures. La mise en œuvre de cette réforme du marché de change permettra de lever plusieurs contraintes économiques, ce qui augmentera la confiance des opérateurs économiques, des investisseurs et des citoyens envers la monnaie nationale. Enfin, cela induira une contraction du marché parallèle des devises, et, donc, son absorption par le marché de change officiel, étant donné qu'une grande partie de la demande de devises sera prise en charge par ce dernier marché. Cette réforme capitale et nécessaire, qui sera le couronnement de toutes les réformes mises en œuvre depuis 2020, complétera définitivement ce tableau du renouveau économique, vu qu'il sera global. *Docteur d'Etat en Sciences économiques, Professeur des universités en retraite, Ex-Doyen et ex-Vice-Recteur des relations extérieures |
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