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Il était une fois la Coupe du monde: France 1938 : au son des bottes

par Adjal Lahouari

En cette année 1938, l'atmosphère n'est pas à l'optimisme, car la menace de guerre se précise. Le canon gronde en Espagne. Déjà, en 1936, les Jeux Olympiques, marqués par l'empreinte du régime nazi, ont donné le ton. Adolf Hitler refuse de serrer la main au champion noir américain Jesse Owens et a signé le pacte germano-italien avec Mussolini. Et, à trois mois du coup d'envoi de la Coupe du monde, le bruit des bottes a résonné à Vienne, car le IIIe Reich a annexé l'Autriche. On ne verra donc pas à Paris le fameux «Wunderteam» qui dominait l'Europe, car les artistes autrichiens sont réquisitionnés pour défendre les couleurs allemandes. Des 36 nations engagées (un record), il n'en reste que 28 après le forfait de l'Autriche, suivi par ceux de l'Espagne, de la Colombie, des Etats-Unis, du Costa Rica, du Japon, du Mexique, du Salvador et de la Guyane hollandaise. Quant à l'Uruguay, il refuse de participer, reprochant à la FIFA de n'avoir pas confié l'organisation à un pays sud-américain, en vertu du principe d'alternance. A l'inverse des Coupes du monde précédentes, le pays organisateur (France) et le détenteur du titre (Italie) sont qualifiés d'office, ce qui répond déjà aux impératifs économiques. Pour tous les observateurs, entre l'équipe d'Allemagne renforcée par les artistes autrichiens et la «petite» Suisse, il n'y avait pas photo. Et pourtant, ce sont les Suisses, menés par le duo Abblegen - Bickel, après un match nul, qui ont réussi l'exploit d'éliminer les Allemands (4 à 2). C'est l'une des plus grandes surprises de la Coupe du monde, suivie par un autre résultat étonnant, celui qui a vu Cuba éliminer la Roumanie. Mais tout le monde attendait les Brésiliens, précédés par une flatteuse réputation. Bien qu'ayant assuré le spectacle, les cariocas ont été victimes de la décision ridicule de leur propre entraîneur, Ademar Pimenta, qui refusa d'aligner les deux stars Léonidas et Tim. Aux journalistes très surpris, il dira : «ce sont mes meilleurs joueurs et je les réserve pour la finale, car l'Italie n'est qu'une étape.». Les Italiens n'en demandaient pas tant et se qualifient pour la finale en gagnant par le score de 2 à 1. Un péché d'orgueil qui a coûté cher à un Brésil pourtant super favori. Bien avant Pelé, Tostao, Rivelino et Neymar, le Brésil a donné d'autres artistes. Silva Léonidas fut le plus brillant à cette époque où le football ignorait le béton et les tactiques prudentes. La chronique le définit ainsi, «petit et trapu, c'était un feu follet doué d'une technique diabolique. En outre, il avait une vitesse d'exécution et de course jamais vue auparavant. Enfin, c'était un grand buteur». A Strasbourg, tout le monde n'avait d'yeux que pour ce sorcier de Léonidas, qui a largement répondu à l'attente générale. Un autre évènement est resté dans l'histoire.

Las de patauger sur un terrain très gras, Léonidas a enlevé ses chaussures et a joué pieds nus pendant quelques minutes. Mais l'arbitre suédois Eckling s'est rendu compte de ce manège et a ordonné au Brésilien de se conformer à la règlementation, l'obligeant à se rechausser. Ainsi s'écrit parfois l'histoire à partir de jugements erronés de certains entraîneurs, ignorant que la glorieuse incertitude du sport n'est jamais loin. En venant à bout de la Hongrie, les Italiens réalisent le doublé et comblent d'aise Mussolini. Après, ce sera la drôle de guerre.

La fiche

Pays participants : 15 + Autriche - forfait pour la phase finale

Finale : Italie 4 Hongrie 2

Attaque : Hongrie 15 buts

Défense : Italie 5 buts

Buteur : Léonidas (Brésil) 7 buts



Echos



Tirage au sort



Le tirage au sort des rencontres de cette Coupe du monde a été confié à une main innocente, celle du petit-fils du président de la FIFA. Jules Rimet, dénommé Yves qui, pour la circonstance et vu sa petite taille, est monté sur la table pour s'acquitter de sa mission.



Jongleries



L'histoire retiendra également que les Brésiliens, dès leur descente du train, tout en tenant leurs valises, ont commencé à jongler sur le quai de la gare ferroviaire.

C'était déjà un spectacle pour les Français, peu habitués à ce genre d'attitude pour le moins décontractée.



Ben Bouali



Abdelkader Ben Bouali est l'un des premiers joueurs algériens à revêtir le maillot tricolore. Malgré la rude concurrence des Diagne, Bourbotte, Mattler et Van Dooren, ce défenseur a retenu l'attention du sélectionneur par sa technique et son physique impressionnant.



Cuba



Après la série de forfaits des pays d'Amérique du Sud pour différentes raisons, le Brésil est le seul représentant de ce continent, accompagné par défaut par Cuba qui défendra les couleurs des Amériques. Les Cubains joueront trois matches avec une victoire, un nul et une défaite en quarts de finale face à la Suède.



Prolifiques



Au cours de cette édition 1938, les contemporains ont assisté à des rencontres prolifiques. Qu'on en juge par les scores : Brésil 6 Pologne 5 - Hongrie 8 Indes néerlandaises 0 - Suisse 4 Allemagne 2 - Cuba 3 Roumanie 3 - Hongrie 5 Suède 1 - Brésil 4 Suède 2 et Italie 4 Hongrie 2 - En tout, 80 buts ont été inscrits pour 18 matches, ce qui donne une moyenne étonnante de 4,4 buts par rencontre.



Forfaits



Entre les forfaits des uns et des autres, celui de l'Argentine après une longue valse - hésitation a provoqué la colère des fans argentins qui, dès l'annonce de cette abstention, firent le siège de la fédération, obligeant la police à intervenir.



Un match



C'est la particularité de l'équipe des Indes néerlandaises et orientales (aujourd'hui Indonésie), qui n'a joué qu'un seul match dans cette troisième édition de France après avoir été battue par la Hongrie (6 à 0).



Embrigadement



Outre l'Espagne en pleine guerre civile, le forfait de l'Autriche a été enregistré pour une raison plus grave. Ce pays avait été annexé par Hitler. En outre, pour la phase finale, cinq joueurs autrichiens ont été embrigadés de force pour renforcer l'équipe allemande, une «mayonnaise» qui fut un échec. Détail insolite, quelque temps auparavant, l'Autriche avait battu l'Allemagne.

      

Attente



Dotée de stades spacieux et de joueurs de talent, l'Argentine avait postulé à l'organisation de la Coupe du monde. Ses dirigeants ont reproché à la FIFA l'absence d'alternance entre les deux continents. Finalement l'Argentine verra son rêve se réaliser en 1978, après une attente de 40 ans.



Stades



Ayant obtenu l'organisation de la Coupe du monde 1938, les responsables français ont effectué des aménagements concernant l'infrastructure. Ainsi, le stade de Colombes a été agrandi, tandis que deux stades ont été édifiés à Marseille et à Bordeaux. Par ailleurs, d'autres installations ont été aménagées dans six villes pour cet évènement.



Coût



Ayant bénéficié du forfait du Japon dans le groupe 10, l'équipe des Indes néerlandais a disputé un seul match, perdu face à la Hongrie par le score lourd de 6 à 0. En outre, ce long déplacement a coûté 350.000 francs de l'époque. Voilà un match qui est revenu très cher pour une participation tout à fait symbolique.



Ossatures



Pour le compte du match France - Belgique, on a relevé deux ossatures au sein du onze tricolore, celles du RC Paris et du FC Sochaux, avec trois joueurs de chaque club. Quant à l'équipe de Belgique, elle a aligné un noyau de cinq joueurs issus du club Beerschot.



Avion



Les équipes participantes se sont plaints des déplacements à effectuer en raison des longues distances séparant les villes retenues. Il est vrai que les moyens de transport n'étaient guère confortables à cette époque. Seuls les Italiens, en avance sur tout le monde, sont venus avec leur avion personnel. Ils ont été récompensés avec ce second sacre.



Hécatombe



Le match Brésil - Tchécoslovaquie disputé à Bordeaux restera dans les annales, non pas par son niveau, mais par l'hécatombe qui l'a marqué. Trois expulsés, deux Brésiliens et un tchèque, deux blessés chez les cariocas dont Léonidas, quatre du côté tchèque dont deux fractures du bras pour Planika, du pied pour Nejeldly.



Changements



En raison du nul ayant sanctionné ce match, une seconde rencontre fut programmée sur le même stade. Le coach brésilien a inclus neuf joueurs frais alors que son homologue tchèque en a titularisé six. Cette fois, le match fut correct et sans histoires avec la victoire des Brésiliens.