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![]() ![]() ![]() ![]() BERKELEY – Au printemps 1980, l’économiste de l’Université de Harvard Martin Feldstein enseignait (aux côtés d’ Olivier Blanchard) l’un des meilleurs cours de macroéconomie que j’ai jamais suivis. Deux ans et demi plus tard, Feldstein a rejoint le cabinet du Président des États-Unis Ronald Reagan, où il a présidé le Conseil des Conseillers économiques jusqu’en juillet 1984.
Pendant son séjour à la Maison Blanche, Feldstein a mené en solitaire une campagne de persuasion contre les réductions d’impôts de la bureaucratie de l’administration Reagan de 1981, en faisant valoir qu’elles étaient trop fortes et qu’elles s’avéreraient douloureuses sur le plan économique si on ne les corrigeait pas. La position de Feldstein n’était pas populaire parmi les autres partisans de Reagan. Plutôt que de tenir compte de ses avertissements, le chef de cabinet du Président Reagan, James Baker, a convaincu d’autres membres de l’administration de garder le cap, pour ne pas avoir à admettre que la signature de l’initiative de réduction d’impôts par le Président avait été une erreur. Baker et ses complices ont remporté le débat politique. Les réductions d’impôts de Reagan sont restées en vigueur et ont produit un déficit du budget fédéral qui n’a pas été jugulé avant que le Président Bill Clinton n’ait commencé à ramener les recettes et dépenses à leur niveau normal en 1993. Clinton a accompli cet exploit en dépit des objections unanimes de chaque Républicain du Congrès des États-Unis. Les déficits de l’ère Reagan ont aidé l’économie américaine à se remettre de la récession de 1981-1982. Mais après 1984, la croissance a ralenti, car les ressources qui auraient dû être allouées aux investissements ont été consacrées à la consommation, en particulier chez les personnes à revenus plus élevés. En définitive, les réductions d’impôts de Reagan ont durement frappé le Midwest et ont créé la région que l’on connaît à présent sous le nom de « Rust Belt. » En l’occurrence, c’est précisément contre cela que Feldstein avait mis en garde l’administration. Il avait soutenu que la conjoncture économique laissait entendre qu’un déficit budgétaire plus étendu entraînerait une hausse des taux d’intérêt et un dollar plus fort, ce qui devait compliquer la tâche des industriels américains pour concurrencer les importations. Je crois que si l’avertissement de Feldstein avait été entendu en 1982-84, l’Amérique serait plus forte et plus prospère aujourd’hui. J’ai donc été consterné par sa récente expression d’optimisme d’après laquelle sous le Congrès actuel à majorité républicaine, « une réforme fiscale servant à augmenter la formation de capital et la croissance sera promulguée », tout en soulignant que « toute augmentation du déficit budgétaire sera temporaire. » Je souhaiterais répondre à Feldstein par trois questions. Premièrement, à quel moment de l’histoire récente une réduction d’impôts proposée par les Républicains n’a pas créé de déficit ? Deuxièmement, à quel moment ces déficits ont-ils été « temporaires », à l’exception des occasions où les administrations démocrates qui ont succédé les ont réduites en inversant les réductions d’impôts sous-jacentes (comme l’ont fait Clinton après Reagan et Barack Obama après George W. Bush) ? Et enfin, à quel moment les investissements découlant des réductions d’impôts des Républicains ont augmenté davantage en épargne nationale qu’ils n’ont été réduits par les déficits budgétaires ? La réponse à ces trois questions est simple : jamais. Un train de réformes fiscales pro-croissance sans incidence sur les recettes pourrait être possible aux États-Unis s’il était conçu par un groupe bipartite de centristes, ce qui est arrivé avec la loi de réforme fiscale de 1986. Un tel projet de loi aujourd’hui devrait promettre des taux plus bas pour ceux qui sont lourdement imposés et seulement des hausses d’impôts limitées pour ceux qui sont faiblement imposés. Et toutes les modifications apportées devraient se traduire par des bénéfices de la croissance relativement importants. Malheureusement l’effort de réforme fiscale actuel en cours aux États-Unis n’est pas soutenu par un groupe de centristes bipartite, mais par des Républicains de droite qui croient que les impôts sont un affront à l’encontre des libertés des milliardaires. Plutôt que de partir du centre et de lancer des appels aux deux camps, les sénateurs Républicains partent de la droite et font mine de pencher vers le centre. En fin de compte, la réduction des impôts pour les riches reste leur priorité absolue, indépendamment du fait que de telles réductions conduisent à davantage d’investissements nationaux. Le langage de Feldstein pour décrire l’effort de réforme fiscale républicain est révélateur. « La Chambre des Représentants à majorité républicaine va permettre de réduire le taux d’imposition à 30 % ou moins, écrit-il, avant de lister quelques « conditionnels » : le projet de loi « pourrait (…) éliminer les droits de succession » et « pourrait éliminer les déductions fiscales pour les impôts nationaux et locaux et imposer certains avantages indirects qui sont actuellement exclus du revenu imposable. » Plus loin, il affirme que le projet de loi « va permettre de réduire le [taux] de l’impôt des sociétés à 25 % ou moins,» ce qui, affirme-t-il, «va probablement faire augmenter les investissements des entreprises.» Mais la « volonté » du projet républicain de faire quelque chose dépend en grande partie de ces « conditionnels. » Le projet de loi pourrait donner un avantage net à tous voire à la plupart des Américains, ou bien il risque d’être un tract destiné aux super-riches. Etant donné que l’initiative est dirigée par des Républicains de la droite dure qui s’intéressent davantage au sujet de la réduction des impôts qu’à juguler les déficits, je mise sur le dernier résultat : celui contre lequel Feldstein nous a mis en garde au début des années 1980. *Ancien sous-secrétaire adjoint au Trésor, professeur d’économie à l’Université de Californie de Berkeley et chercheur associé au National Bureau of Economic Research |
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