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Iran : contrastes et merveilles

par Téhéran (Iran): El Yazid Dib

L'Iran est une grande histoire que de petits jours ne peuvent en tenir les bouts. Le raconter c'est un peu côtoyer la rêverie, le visiter c'est tenter d'ouvrir un cahier infini. En voici donc quelques lignes d'une quelconque page de ce bref périple iranien. Embarquement.

Parler de l'Iran parait être l'apanage de spécialistes invétérés. La Perse et son rayonnement, sa civilisation et son histoire m'ont parus comme des identifiants identitaires d'un passé qui ne trouve pas assez de place dans un présent trop controversé. Ce qui va suivre n'est qu'un récit d'un voyageur que le hasard avait voulu qu'il soit là et pas ailleurs. J'ai refusé expressément de prendre des notes. Laissant le soin à mes sentiments réactifs, j'ai privilégié la piste de la mémoire et l'expression des fortes impressions. Comme je n'ai jamais cherché une quelconque source d'inspiration. C'est elle qui comme à l'accoutumée venait taquiner la mienne. Je me suis abstenu pour la narration de ce récit de faire appel à une information que je n'ai pas vécue. La version des faits, des lieux ou des situations racontée ainsi n'est qu'un effort personnel et n'avait pas besoin de recourir à Google.

La destination me paraissait envoutante, tant les légendes et les mystères que ma pauvre culture générale insuffisante stockait. Elle me faisait rêver de voir des palais, de toucher le savoir et de me frotter à la beauté avec en prime cette plongée tant souhaitée dans une histoire des plus envoûtantes de la région et des religions.

Moi, qui tout le temps préférais le trajet à la destination, j'avais beaucoup de peine à contenir ma préférence. Le voyage s'annonçait interminable et pénible. Presque 09 heures de vol. Toute une partie d'une vie, la moitié d'un jour et l'autre d'une nuit que je m'apprêtais à consommer bêtement en plein ciel. Mon enthousiasme s'est vite estompé avec le grand circuit qui me guettait et accroissait davantage mon inquiétude. Alger/Doha au Qatar, puis sans pouvoir grignoter une cigarette, Doha/Téhéran. Si ce n'était cette compagnie de transport Qatar Airways, qui avec son savoir faire et le sourire permanent de ses hôtesses non seulement me faisait oublier les avatars et les retards d'air Algérie mais se déployait à réduire mes soucis de voyage. Affalé dans mon fauteuil de classe économique, je me suis mis à visionner un film de la littérature égyptienne qui se trouvait là dans la mémoire de l'écran qui me prêtait face. Un drame digne des scénaristes connus pour leur éloquence, tel que Ihacene Abdel kaddouss venait de m'empêcher de rêver. A la longue, fatigue en bout ; j'étais pris dans les bras de Morphée. Mes paupières semblaient prendre tous les fardeaux de l'humanité pour se laisser vaincre et aller se poser l'une sur l'autre. Cet assoupissement furtif et léger m'entrainait vers des contes de fées ou ceux des épopées allant des croisades au djihad en Syrie. Je voyais Saladin discutant avec Alexandre le grand, sans pour autant comprendre la langue de conversation. L'on papotait sur le devenir de l'islam et de la liberté de croyance, des empires et des nouveaux cœurs et terrains à conquérir. Les époques se confondaient autant que les trous d'air me diluaient le visage des illustres personnages. Je me voyais bercé par les romances des milles et une nuit où Shahrazade me racontait l'histoire de ce voyageur qui venant de loin, d'Algérie ne savait rien du pays des merveilles. Ce voyageur qui n'avait pour patrimoine que sa patrie, ses guerres et ses propres illusions.

Réveillé par la sensation que l'avion commençait à perdre de l'attitude en plus du message sonore m'informant de l'imminent atterrissage à l'aéroport international de Hamed je trouvais des jets de lumière sous mes pieds. De mon hublot je voyais Doha. Des immeubles gigantesques et lumineux crevaient un décor encore tapi dans les ténèbres et la pleine nuit. Cette nuit qui ne finissait qu'à la descente à l'aéroport de Téhéran allait me poursuivre jusqu'à mon hôtel.

Téhéran, sans son histoire est une ville plate

Le décalage horaire n'était pas important. 2 heures. Mon sommeil s'est vu donc rétréci de ces 2 bonnes heures. L'image que me permettait le panorama de ma chambre, comme un guide figé vient de me faire découvrir un tableau hirsute. Des immeubles dépeignés, inégaux arborant une belle calligraphie persane. Je ne pouvais savoir la raison sociale de chacun d'eux. Le mont Elbourz écrasait la ville et la plaçait impérialement auprès de ses flancs. La neige qui couvrait ses crêtes m'envoyait une délicieuse intuition que ma visite allait rafraichir la sécheresse précédant mon circuit. Il faisait très froid pour ce premier jour. Cette température confirmait les informations recueillies ça et là concernant le climat capricieux de tout l'Iran. Il a l'exclusivité dit-on d'avoir en un temps et espaces identiques cette controverse ; que quand il fait -20 dans une région dans une autre il fait plus de 20 degrés. Premier contraste pour une première journée.

A Téhéran on ne peut se pavaner ni chercher pour trouver une pause à l'algérienne. Non pas par manque d'espaces adéquats mais par absence d'espaces publics selon la définition algérienne que l'on donne aux cafés. On ne peut se permettre de siroter un café-expresso bien chaud tout en étant attablé dans une belle terrasse chauffée.

Il n'y a ni cafés, ni « bars », ni terrasses le long des longs boulevards. Pour se prémunir contre son manque de caféine, votre serviteur s'est armé d'un nombre de bâtonnets nescafé ramené dans ses bagages. Il me suffisait de remplir le gobelet commandé pour un prétendu thé et mon café est prêt à être ingurgité.

La ville de Téhéran est un territoire vaste et plat. Je n'ai pu relever aucun style architectural propre à la région. Hormis certains site historiques ou endroits archéologiques ; le caractère urbanistique semble être une mosaïque fusionnant une construction ordinaire et banale avec une autre un peu futuriste et parfois hybride. La ville s'étend sur des kilomètres que la circulation très dense rendait la traversée d'un point à un autre une mission difficile à accomplir.

Métropole, berceau d'une civilisation ; Téhéran est aussi une ville internationale. Si les touristes ne se voient pas , je suis incapable d'en donner la raison. Si l'amabilité, l'éducation, la citadinité et le bon accueil sont des marques déposées c'est que j'en ai eus à profusion et à mon profit. J'ai su rendre à mon tour et à ma manière la réciprocité.

Le tchador, le blue-jeans et le calme universitaire

Ce qui caractérise les jeunes iraniennes c'est sans doute leur beauté. La simplicité des jeunes garçons reste ainsi l'autre facette de la même beauté. Vifs et studieux, les étudiants que j'avais comme auditoire étaient dans leur entièreté acquis à la thématique proposée. La littérature algérienne d'expression française. Une écriture de quête d'identité, de natalité et de résistance. J'avais préféré dire que lire mon intervention. Je comptais énormément sur le débat et les interpellations. J'avais parlé de Camus, de Mouloud Feraoun, Mammeri, Mohamed Dib, Kateb Yacine, Jean Sénac, Assia Djebar, Boudjedra, Mimouni, Yasmina Khadra et beaucoup de bien d'autres. J'ai évoqué l'avenir de la langue française en Algérie malgré l'émergence d'une littérature qui innove, rayonne et s'universalise. Le français n'exalte point les jeunes algériens, si ce n'est dans la chronique sportive des journaux ou sur les réseaux sociaux. En dehors de la capitale où il est beaucoup plus un signe de classe et de frime, ailleurs il est un langage étranger et peu commode, s'il n'est pas à incruster dans un charabia courant et criard.

Constatant que l'assistance restait quasiment indifférente face à ces noms ; je me suis attelé à faire appel à la révolution algérienne de novembre 1954 et les crimes, tortures et atrocités commis par l'armée française. Là ,une certaine émotion se rendait perceptible notamment à la lecture de l'un de mes poèmes écrit à 18 ans, en 1972 « Novembre notre lait ». Arrivé à ces vers : « quand nourrisson novembre vint?sur les genoux osseux de ma mère, je cherchais mon allaitement? » ; j'ai dis que je suis né en juillet 1954. Ma mère , vu la pauvreté et la malnutrition ne pouvait assurer la tétée ni laisser crier de faim le bébé que j'étais de peur que les soldats viennent le prendre et l'enlever. L'émotion était tout de même partagée et mes larmes, sincèrement trahissaient ma solennité. Mon auditoire était tout ouïe.

J'ai commis mon intervention dans deux universités différentes. A Allameh tabataba'i University et Ezzahra University. L'accueil était des plus chaleureux et une grosse affiche placardée au seuil d'une salle de conférence bien outillée, rédigée en persan annonçait ma présence. Je n'ai pu déchiffrer que mon nom en lettres arabes. Accoudé au podium en compagnie d'une jolie dame mature, docteur ès-lettres françaises chef du département, je scrutais les visages innocents et délectables de ces jeunes hommes et filles, étudiants en français qui me semblaient arborer une extraordinaire beauté dans le visage mais aussi une certaine tristesse dans le cœur. Je présumais comprendre que ces jeunes, formant un échantillon de la société iranienne voulaient plus de liberté et d'expression. Si le sourire marquait leur émerveillement, il en est autrement du ressentiment qui refusait de se dégager de leur poitrine. Porter un foulard à mi-crâne ou un tchador renseignait sur une probable frustration vestimentaire dans la mesure où un fuseau , un blue-jeans ou un palladium est toujours porté mais éclipsé. Les couleurs n'existent pas devant la prédominance de la noirceur. La lueur s'éjectait cependant de ces frimousses toutes pleines d'espoir.

Le maquillage des unes et l'abstinence des autres avaient forcé mon admiration d'homme sacralisant la différence et la diversité.

Un peu curieuse, madame le professeur me questionnait à propos du statut de la femme algérienne. ?voulez-vous que j'en parle franchement ? l'ai-je interpellée. ? mais bien sur Monsieur ! répondit-elle. ?Alors sachez Madame ; que moi, chaque jour j'administre une bonne raclée à mon épouse ! Silence et effarement ! Sourire, le mien en lèvres je rétorquais rapidement par peur d'une mal compréhension : - rassurez-vous, chez nous Madame, la femme est ministre, Wali, députée, sénatrice, maire, pilote et chef d'entreprise? - Un ouf et un soulagement général s'appropriaient de la salle.

Elle n'est pas la moitié d'un homme, elle est tout simplement une femme entière et totale concluais-je.

En fin de propos les élèves, pressés de se prendre en photo avec le « doctor agay Elyazid Dib » me faisaient penser qu'ils allaient les faire publier sur leurs pages facebook. A ma stupéfaction tardive, je saurais hélas que le facebook, le youtube et autres réseaux virtuels ne fonctionnent pas en Iran. Prémunition ou ascétisme ?

Qom : angoisse et spiritualité

Paradoxe, j'étais programmé de concert avec deux de mes compatriotes docteurs en histoire intervenant en arabe pour aller converser à l'Université d'El Moustafa internationale sise à Qom. Déjà cette phonétique de la ville, dans mon inconscient me donnait une certaine réticence. Je l'imaginais comme une grande mosquée radicaliste, privative et sacrée. Finalement mon intuition ne m'avait pas induit en erreur. Les fanions, les étendards et le paysage qu'offraient les artères et les boulevards indiquant l'entrée de la ville me faisaient vivre une période d'une histoire révolue. Je sentais l'air d'Erroumi, Ibn Batouta, Avicenne et tous ces personnages enturbannés et aux amples capes. Comme j'y croyais voir des djihadistes, des auto-flagelleurs et des égorgeurs partout. La cité est calme. Des taxis sillonnent la ville, laissant le soin aux minarets de dessiner le ciel de Qom.

Devant la dérision de mes copains et leur hilarité, je me voyais déjà condamné pour plusieurs raisons. Parlant le français, fumeur incorrigible et de surcroit portant le nom d'El Yazid ! ( El yazid ibnou mou3awiya aurait tué El Hussein ibn Ali) . Ce nom est non seulement honni et maudit mais apostasié et insulté m'avait-on dit. « Alors qu'il est là, venant de son plein gré, que justice soit faite et vengeance assurée! » croyais-je entendre. Mes appréhensions se sont vite atténuées en face de l'accueil très chaleureux et des marques sincères et loyales de bienvenue manifestées à notre égard. Une sérénité remplaçait mes inquiétudes. Jusqu'à l'entrée de l'administration rectorale mon assurance était intacte. Seulement par usage - je ne sais s'il est protocolaire ou religieux- j'étais obligé de me déchausser pour y pénétrer. Je croyais qu'on allait accomplir une prière, ce qui n'aurait point déranger ma morale. Malheureusement le cas n'y était pas. C'était juste une séance de présentation dans un bureau. Là, à cet instant la situation me pourfendait. Moi, l'algérien, le fils de Benboulaid, de Boumedienne, le combattant des libertés, l'homme libre et engagé , en enlevant mes souliers je sentais abandonner tous mes principes et déserter toutes mes valeurs. J'ai vécu un drôle remord et un insupportable état d'âme.

Heureusement pour moi que ce n'était qu'une mauvaise humeur passagère vite supplée par la courtoisie et la gentillesse de nos accueillants. La conférence s'est déroulée dans une ambiance fraternelle et détendue. Une rétrospective de l'histoire du mouvement de libération nationale avait été bien étayée par les docteurs qui m'accompagnaient. Le vice-recteur de l'université chargé des relations internationales, homme sage et disponible n'a pas manqué de citer l'exemple de la révolution algérienne dont les principes ont inspiré et nourri leur « révolution »

Qom de par son statut de ville « sainte » nous invitait en fin de virée à visiter en toute assurance et confiance un lieu hautement sacré et vénéré. Le mausolée de Fatima El Maassouma où plusieurs fideles pratiquaient leurs invocations et multiples rites respectables au demeurant. Moi je m'astreignais à garder les miens. Algérien et musulman tout court.

Le retour du pays au pays des contrastes et des merveilles

Les contrastes et les merveilles font de bon ménage pratiquement dans tous les pays. Le mien n'en échappe pas. Il est impossible de raconter tout le fil du séjour. Il y eut des vertes et des pas mures, des humeurs et phantasmes, des peurs et de la réjouissance. Sur mon itinéraire de retour, apeuré par la longueur des heures de vol, je m'enfouissais dans la souvenance et remémorais le défilement de mes trajets. J'avais une hâte de rentrer, de redécouvrir l'espèce de ma liberté avec ses tares et ses vertus. Au moins chez moi, je peux m'exprimer, fumer, pratiquer ou non mes rituels et parler en n'importe quelle langue.

L'Iran est une puissance dans tous les domaines. L'autosuffisance et l'indépendance économique et technologique ont en fait un exemple de résistance, une négation de l'import et une décision du compter sur soi. Ils ont 14 marques de voitures de fabrication purement iranienne. Ils produisent toutes les molécules, les céréales, les machineries, la téléphonie ?.L'iranien est un être érudit et éduqué. L'on ne crache pas, l'on ne gueule pas, l'on ne se chamaille pas dans la rue. La Bibliothèque Nationale de Téhéran, lieu de la manifestation de la semaine culturelle algérienne en Iran justifiant ma présence de poète et de chroniqueur est un véritable lieu de savoir. Les jeunes et moins jeunes la fréquentent en nombre important. Elle ne se désemplit pas y compris dans les séances nocturnes. Elle a vu s'exprimer sur ses planches des artistes, plasticiens et musiciens algériens. Des habits traditionnels et les bijoux y ont engendré l'admiration des visiteurs. L'ambassadeur et son équipe se sont déployés extraordinairement pour faire réussir l'événement culturel, si ce n'était cette fausse note émanant d'un chanteur zélé et plein de suffisance ne faisant que dans la répétition mal-interprétée du répertoire des grands maitres andalous.

Aéroport Houari Boumediene. Je devais lâcher mes délicieux songes iraniens et oublier mes lassitudes pour réintégrer ma peau de ce citoyen rouspéteur, bousculant, voulant passer le premier, enfreignant l'interdiction de fumer et toujours pressé. Bladi,bladi.