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![]() ![]() ![]() ![]() NEW YORK – La réponse du marché à la victoire de Donald Trump sur Hillary Clinton lors de l’élection présidentielle américaine fut d’emblée négative, et elle était prévisible. Mais dès le lendemain, cette orientation à la baisse s’inversait.
Les rendements des actions et des obligations américaines sont remontés après que Trump a livré un discours de victoire où il semblait vouloir montrer une évolution vers le centre, attendue par les investisseurs dès la nomination du candidat par la convention républicaine, l’été dernier, et l’ouverture de la campagne présidentielle proprement dite, à la fin des primaires. Trump a donc promis, dans cette allocution, qu’il serait le président de tous les Américains ; il a rendu hommage à Hillary Clinton pour ses années passées au service de l’État ; et s’est engagé à mener une politique de relance budgétaire massive, de dépenses d’infrastructures et de réductions d’impôts pour les entreprises et les plus riches. Les marchés accordent pour le moment à Trump le bénéfice du doute. Mais le regard des investisseurs se pose dès à présent sur ceux qu’il nomme dans son administration, et ils ne sont pas moins attentifs au tour que peut réellement prendre sa politique budgétaire et au cap qu’il entend donner à la politique monétaire. Peut-être la politique monétaire est-elle l’objet de plus d’attention encore. Durant sa campagne, Trump s’en est pris à l’indépendance de la Réserve fédérale des États-Unis, et a couvert de critiques la présidente de la Fed, Janet Yellen. Mais Trump est un magnat de l’immobilier ; nous ne pouvons donc considérer d’emblée comme un faucon monétaire, l’homme d’affaires qui pourrait être une colombe inavouée. Sa rhétorique de campagne peut avoir été destinée à séduire une base républicaine volontiers hostile à la Fed et prompte à ne jurer que par l’or. Trump pourrait nommer des faucons aux deux sièges actuellement vacants du Conseil des gouverneurs de la Fed, et il remplacera certainement Yellen lorsque son mandat expirera en 2018. Mais il est peu probable qu’il la contraigne à démissionner avant cette date, car les marchés puniraient une violation aussi flagrante de l’indépendance de la banque centrale. Même si Trump choisit effectivement un faucon pour remplacer Yellen, celui ou celle qu’il nommera ne sera qu’un primus inter pares au sein du Comité monétaire (Federal Open Market Committee – FOMC) de la Fed. Le successeur de Yellen ne pourra pas imposer ses vues aussi facilement au sept membres du Conseil des gouverneurs et aux cinq présidents des banques de réserve régionales (sur douze) qui composent le FOMC. Si la Fed ressemblait, du temps de l’ancien président Alan Greenspan, à une monarchie absolue, elle s’était déjà orientée, avec son successeur, Ben Bernanke, vers une monarchie constitutionnelle. Avec Janet Yellen, on pourrait dire qu’elle est devenue une république démocratique. Cette évolution est irréversible : chacun des membres du FOMC a une idée très nette de la direction qu’il faut imprimer à la politique monétaire, et aucun n’hésitera, le cas échéant, à exprimer son désaccord. Ce qui signifie qu’un faucon radical nommé par Trump pourrait être systématiquement mis en minorité par la majorité de colombes du FOMC. Certes, Trump peut peser, à terme, sur la composition du Conseil de la Fed, en nommant de nouveaux gouverneurs lorsque Stanley Fischer, Lael Brainard, Daniel K. Tarullo et Jerome H. Powells arriveront au terme de leur mandat. Mais s’il emprunte cette voie, le marché n’en continuera pas moins de surveiller la politique de la Fed. Si la faiblesse persistante de la croissance et de l’inflation ne justifie pas de hausses rapides des taux d’intérêt, une Fed va-t-en-guerre qui déciderait de relever malgré tout les taux serait durement rappelée à l’ordre par le marché – ce qui vaudrait, par extension, pour Trump. En outre, un bellicisme monétaire excessif et prématuré renforcerait le dollar et augmenterait rapidement le déficit commercial des États-Unis, ce qui saperait les créations d’emplois et les augmentations de revenus promises par Trump à sa base électorale ouvrière. Si Trump se soucie un peu de cette dernière, ou du moins s’il ne veut pas s’attirer son hostilité, il devra nommer des colombes aux postes de gouverneurs, qui préféreront maintenir les facilités d’accès au crédit, et donc affaiblir le dollar. De sorte qu’ironiquement, ce sont les gouverneurs qu’a nommés le président Obama, comme Brainard et Tarullo, qui correspondent le mieux à l’agenda de Trump. Si Trump opte pour une politique monétaire plus belliciste, elle aura sans doute sur le dollar des effets ambigus, dès lors que ses autres propositions concourent à son affaiblissement. Un assouplissement de la politique budgétaire, associé à un resserrement de la politique monétaire contribuerait, comme ce fut le cas au cours du premier mandat du président Ronald Reagan, à renforcer le dollar ; mais si Trump pousse les États-Unis au protectionnisme, cela augmentera la probabilité d’événements extrêmes (tail risks), tant au plan économique que géopolitique, facteurs, en l’occurrence, d’affaiblissement du dollar et de renforcement du risque-pays. De la même façon, la politique budgétaire de Trump pourrait aussi, à terme, affaiblir le dollar – quand bien même le premier mouvement serait une nette appréciation –, puisque le déficit public, notablement augmenté, devrait être financé soit par des crédits bon marché soit par des émissions obligataires susceptibles d’augmenter le risque souverain des États-Unis. L’effet net de tous ces facteurs sur le dollar dépendra entièrement de l’ampleur du relâchement de la politique budgétaire et, inversement, des proportions que prendra le resserrement monétaire. La gamme de mesures que pourrait prendre Trump s’il nomme des faucons à la Fed, aura aussi un effet ambigu, quoique modeste, sur la croissance. Le relâchement de la politique budgétaire peut encourager à court terme la croissance économique ; mais une politique monétaire plus stricte en fragilisera les gains. De la même façon, si Trump souhaite véritablement redistribuer des revenus du capital vers le travail, et des profits des entreprises vers les salaires (ce qui, à vrai dire, n’a rien d’évident), sa politique pourrait relancer la consommation ; mais des mesures protectionnistes et populistes saperaient la confiance des entreprises et par conséquent retarderaient les dépenses d’équipement, tout en réduisant, car l’inflation repartirait à la hausse, le pouvoir d’achat des consommateurs. Les marchés d’actions accueilleront sans aucun doute favorablement le projet, tel que Trump a pu le formuler, de relâcher la politique budgétaire, de déréguler l’activité et la finance, et de réduire les impôts. Mais les investisseurs resteront vigilants face aux tentatives de protectionnisme, au dénigrement de Wall Street et des immigrants, et à des politiques monétaires trop agressivement bellicistes. Le temps seulement – et les marchés – dira si Trump est parvenu à trouver le bon équilibre. Traduction François Boisivon *Président de Roubini Macro Associates et professeur d’économie à la Stern School of Business de l’université de New York |
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